18.1
Strasbourg, 21 août 1940.
Draco n'ouvrit les yeux pour la première fois qu'un long moment après. La douleur ne se fit pas ressentir immédiatement, comme si Morphée détenait encore ses sens en otage. Le jeune aristocrate profita ainsi d'une minute de répit, ne discernant rien que la lumière qui l'enveloppait.
Puis, ses membres crurent bon de rappeler leur existence. Une souffrance crue traversa l'Allemand qui articula une plainte muette. Les courbatures de ses muscles accompagnaient le tiraillement de ses plaies et de ses hématomes. Vestiges de la torture subie qui heurta son esprit avec violence. Il tenta de se redresser, comme pour échapper aux souvenirs et au mal qu'ils comprenaient, mais échoua. Son corps meurtri s'affala sur le matelas dans un bruit étouffé.
—Vous devriez rester coucher encore un moment, affirma une voix, à la fois suave et ferme.
Draco tourna lentement la tête, grimaçant sous la douleur que ce simple geste éveilla. Potter se tenait juste là, à quelques centimètres à peine. Une expression sérieuse et inquiète sur le visage, il était tout simplement fidèle à lui-même. Il ne manquait plus que la lueur farouche dans son regard et tout y était. L'autre se racla la gorge pour énoncer, avec un brin de sarcasme :
—Et combien de temps le médecin exige-t-il que je reste alité ? Un mois, deux peut-être ?
—Cela dépendra de vous, répondit Harry, depuis son siège. Vous auriez pu mourir, face à cet homme dans la rue.
—Dois-je saluer mon sauveur et lui baiser les pieds ? Tu aurais pu me laisser dans un coin d'une rue, on aurait retrouvé mon cadavre froid le lendemain, qu'importe ! Ou me laisser mourir chez ses résistants ! J'aurais pu mourir de bien des choses. Ces paysans auraient pu décider de régler mon compte et aucune action héroïque de ta part ne m'aurait sauvée ! Nous aurions pu faire une mauvaise rencontre et là, nous serions morts tous les deux. Quelle importance ?
Le plus jeune se tendit. Comment son patient pouvait-il se montrer aussi désinvolte à l'évocation de sa mort ? Celui qui s'était évertué à le maintenir en vie y voyait comme une offense, un mépris des plus vulgaires.
Draco se redressa lentement, prenant appui sur les coussins qui rendaient sa position plus agréable. Il pouvait maintenant se souvenir nettement des événements de la veille. De l'interminable torture, de l'apparition inespérée de son sauveur et de leur fuite jusqu'ici. Les images défilaient sous ses yeux ouverts et il se contentait de feindre l'insensibilité.
—Vous auriez pu ruiner mes efforts.
—Tu devrais me tutoyer, Potter. Tu as sauvé ma peau, la raison me paraît suffisante.
Toujours cette voix traînante, flegmatique. Celle qui irritait Harry plus que tout, encore davantage que ce visage foutrement parfait qui ne laissait échapper aucun traître sentiment. Le Français eut encore la force de le haïr, rien qu'un petit instant. Il dévisagea ce vis-à-vis particulièrement insolent, maudissant cette perfection humaine qui mettait à mal ses intentions. Qui repoussait les certitudes d'un revers de la main.
—Justement, j'ai sauvé ta peau. Et j'ai risqué la mienne avec ça ! J'ai trahi ce en quoi je crois depuis le début de cette foutue guerre pour toi, pour sauver ta précieuse vie. Et tu oses mettre te mettre en danger après ça ? Pourquoi ? Pour une affaire de fierté ? M'avouer que tes jambes n'étaient pas intactes aurait mis en péril ta fierté d'aristo ? C'est pathétique !
Draco sourcilla face à ce discours enflammé. Il retrouvait la lueur farouche dans le regard de son médecin, mais il aurait préféré s'en abstenir. Il avait pourtant intimé l'ordre à Hermione de cacher ce détail gênant. La jeune femme s'était contentée de minimiser la réalité, car ses blessures en haut des cuisses ne se résumaient pas à de simples égratignures. Bien qu'une part de lui comprenait ce courroux, une autre, bien plus forte, lui dicta une toute autre réaction :
—Il ne me semble pas t'avoir forcé à quoi que ce soit, Potter.
Sur ces mots, il attrapa le verre dos posé sur la table de chevet et en but une longue gorgée. Comme pour prouver qu'il n'était en rien la pauvre victime que son homologue s'évertuait à sauver. Comme pour lui montrer qu'il lui tiendrait tête quoi qu'il en coûte.
—Je ne t'ai même rien demandé, reprit-il.
L'inflexion de sa voix manqua d'avoir raison de la patience d'Harry. Il mourait d'envie d'hurler à l'insolent de taire ces paroles offensantes, d'accueillir cette seconde chance sans protester. Il n'était pas assez ambitieux pour espérer sincèrement des remerciements et se contentait de peu.
—Tu as raison. Mais qu'aurait fait Blaise si tu étais mort ? Je suis certain que tu y as pensé.
—Potter, écoute-moi bien. Nous sommes tous les deux dans une situation délicate. Tous les quatre, en y réfléchissant. Parce que Blaise est peut-être sous ma responsabilité, mais en me sauvant comme tu l'as fait, tu as aussi compromis Granger. Y as-tu seulement songé ? dit Draco, d'un ton glacial.
—Elle sait tout. Je ne lui ai rien caché.
Les deux hommes se jaugèrent en silence. La tension qui les habitait avec quelque chose de plus personnel que jusqu'alors. Il ne s'agissait plus d'un Allemand et d'un juif qui se vouaient une haine aussi viscérale que profondément injustifiée. La rage se mêlait à des émotions bien moins identifiables et, surtout, elle portait une intime explication.
Draco se souvint alors du baiser échangé, de ce baiser qu'il avait volé à son cadet. D'une voix blanche, il s'enquit :
—Tout ? Même le baiser que je t'ai donné ?
Malgré tous ses efforts, la langue du jeune homme avait fourché sur les mots prononcés. Comme s'ils représentaient un secret trop important pour être articulé. Comme s'il risquait sa vie à exprimer cette seule pensée.
—L-Le baiser... balbutia Harry, se tendant sur sa chaise alors que le rouge lui montait aux joues.
—Tu as bien compris, Potter. Ne me force pas à le répéter.
—N-Non, je n'ai rien dit à Hermione par rapport à... ça !
La pente empruntée se révélait dangereuse. Ni l'un ni l'autre ne semblait prêt à foncer tête baissée dans ce qui ressemblait fort à un piège. Le Reich proscrivait l'homosexualité, cette tare au même titre que la religion juive. Une maladie dont on envoyait les patients croupir dans les camps et même y mourir. Draco savait quel sort était réservé à ceux que l'on suspectait d'inversion. Ce fut pourquoi son ton se durcit légèrement alors qu'il énonçait :
—N'imagine pas quoi que ce soit, Potter. Ce n'était qu'une manière comme une autre de te remercier.
—Je n'imaginais rien, je sais ce que les Allemands pensent de ce genre de... pratique, rétorqua Harry, avec autant de force qu'il le put.
—Parce que vous, les Français, vous le tolérez ?
La raillerie frappa le juif de plein fouet. Il se leva, toisant le blessé avec une animosité qu'il s'efforçait de contrôler. Comment pouvait-il tenir de tels propos ? À les entendre, le médecin ne pouvait que regretter cette étreinte, maudire de se souvenir de son cœur palpitant et des lèvres douces contre les siennes.
—Nous n'envoyons personne mourir dans des camps, Malfoy. Ni homosexuel, ni juif, ni tsigane. Personne.
—Si le Reich en décide autrement, vous serez bien forcés d'ouvrir des camps. Ne sois pas si naïf ! Et si tu es comme ces... erreurs de la nature, eh bien tu finiras dans l'un d'eux !
La conversation leur échappait et Harry le sentit tout clairement. Pourquoi cet homme portait-il une telle rancune ? Et surtout, pourquoi s'acharner à la déverser sur lui ?
—Je finirai quoi qu'il advienne dans un camp de la mort. Je suis juif, je n'ai pas besoin d'être... homosexuel pour y crever !
Il réajusta ses lunettes sur le haut de son nez. Même blessé, Draco ne perdait rien de sa répartie et de son mépris. Il ferma les yeux une seconde seulement, réorganisant quelques idées qui se seraient égarées. Le regard rivé sur son interlocuteur, il lança :
—J'étais venu vérifier que tu allais bien. D'après ce que je vois, je pense que j'ai ma réponse. Je vais te laisser te reposer, Malfoy !
—Potter...
—Je ne veux plus t'entendre ! le coupa Harry, sourdement.
Malgré lui, Draco accusa un léger mouvement de recul. Il tut la douleur qui ne l'avait quitté jusqu'à présent d'un clignement de l'œil, tout comme la moindre parole. Le plus jeune s'élança à grands pas en direction de la porte, visiblement décidé à couper court à ce semblant de conversation.
—Je regrette, Malfoy. Je regrette d'avoir sauvé la vie à quelqu'un comme toi, à quelqu'un qui n'hésiterait pas à sacrifier la mienne.
Il se retourna vers le blond pour lui asséner le coup de couteau final :
—Je regrette, et j'en suis désolé, crois-moi !
Je vous souhaite à tous une belle année 2020 !
Le Drarry, ou le couple explosif par définition ! Selon moi, ce ship ne peut pas se limiter à une relation sans engueulades et qui file le parfait amour. En voilà donc un léger aperçu :3
Un petit mot concernant un aspect de la conversation : la collaboration. Harry y fait allusion en prétendant que les Français n'envoient personnes mourir dans des camps. C'est peut-être encore vrai à l'été 1940, mais la situation va rapidement s'inverser. Le régime de collaboration du général Pétain n'est pas un secret, et bien des Français profondément antisémites vont être ravis d'obéir aux ordres d'Hitler. C'est ce qui va mener à la Rafle du Vel d'Hiv, notamment, et bien d'autres événements moins tristement célèbres, mais tout aussi terrifiants pour les populations juives vivant en Hexagone.
(c'était le petit ajout, j'imagine que bon nombre d'entre vous n'ignorent pas l'objet de ces précisions, mais la France a longtemps nié avoir collaboré, parfois de plein gré, avec l'ennemi ^^)
Je vous embrasse <3
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