17.2

Strasbourg, 20 août 1940.

Harry n'avait guère tardé à s'abandonner aux bras de Morphée à son tour. Ses membres lourds lui suppliaient le repos et il finit par lâcher prise pour ne s'éveiller que de longues heures plus tard. Hagard, il remarqua la lumière vive du jour qui baignait la petite chambre à l'étage, comprenant qu'il venait de s'octroyer un sommeil bien mérité.

Il se redressa alors subitement, ignorant les courbatures de ses cuisses et de ses bras. Draco ! Comment se portait-il ? Il se souvenait de l'avoir vu s'effondrer au sol, Hermione se jetant à sa suite pour vérifier son état. Malgré la bonne volonté du Français, il n'avait pu résister bien longtemps et son amie l'avait envoyé se coucher sans même lui laisser le choix. Un ordre auquel il n'avait pas intérêt à désobéir.

Il se tira de la douce chaleur des draps défaits, abandonnant le lit à regret. Il luttait contre une profonde envie de s'allonger à nouveau et de laisser le néant l'envahir. Un néant dépourvu d'interrogations et de pensées douloureuses. À défaut d'exaucer ce souhait, il se vêtit rapidement, les mouvements fébriles quoi que l'expression de son évidente fatigue.

—Mione ? héla Harry, sortant de la pièce avec mille précautions.

Il traversa le couloir désert où plusieurs portes s'alignaient. Une demi-douzaine de chambres semblables à la sienne. L'esprit encore embrumé par l'épuisement, il ne songeait plus qu'à l'homme qu'il avait sauvé. Pas encore au baiser qu'ils avaient échangé, préférant garder ce détail pour une réflexion ultérieure. Celui-ci et tout ce qui s'apparentait à l'acte de trahison qu'il avait commis. Il savait pourtant pertinemment qu'Hermione devrait en avoir l'écho, tôt ou tard. Simplement ne pas y songer semblait représenter la solution la plus douce, la plus enviable.

—Harry ? Tu es déjà levé ? Je croyais t'avoir dit de te reposer, le sermonna la jeune femme, sortant de la petite cuisine, un gâteau à la couleur inquiétante entre les mains.

—Quelle heure est-il ? riposta Harry, se frottant frénétiquement le front où perçait les premiers signes d'une migraine.

—Un peu plus de dix-sept heures.

—Tu ne crois pas que ces dix heures de repos sont suffisantes ? railla le juif, un sourire qui se voulait léger au coin des lèvres.

—Non, contrairement à ce que tu peux penser. J'ai pu lire ta fatigue sur ton visage depuis l'extrémité du couloir alors ne crois pas une seconde me duper !

Elle déposa le gâteau sur la table, admirant son œuvre avant de fermer la porte derrière elle et de s'asseoir, invitant son ami à l'imiter. Une fois installés, Hermione étudia l'inquiétude qui le rongeait. Une sorte d'angoisse corrosive dont elle doutait de l'origine. Les sourcils froncés, elle s'enquit, d'une voix qu'elle espérait détachée :

—Comment tu te sens ?

—Bien, et parfaitement reposé, Mione.

—J'attendais une réponse sincère, pas celle destinée à me rassurer.

—Mione, qu'est-ce que ce... ce...

—C'est un gâteau, Harry. J'ai pensé que ça nous changerait du pain, tu ferais bien de goûter un morceau. Et maintenant, si tu le veux bien, tu vas arrêter de jouer à ce petit jeu. Tu sais très bien qu'il ne prend pas et que je ne te laisserai pas t'en sortir à si bon compte. Réponds-moi, j'ai besoin de savoir.

Harry déglutit péniblement, le regard soudain absorbé par l'œuvre de son amie. Aucune odeur de brûlé ne s'en dégageait, bien que la chose ne soit pas des plus appétissantes. Le jeune homme ferma les yeux un court instant avant de se reprendre, s'humectant les lèvres avec précaution pour répondre, de manière plus ou moins satisfaisante :

—Comment va Draco ?

—Il est à l'étage, il...

—Hermione ! la morigéna Harry, s'agitant sur sa chaise avec virulence.

—Il dort, Harry ! Il se repose, rien de plus. Il a bien besoin de repos après s'être traîné sur des kilomètres dans son état. De la folie !

L'intéressé laissa échapper un soupir qui avait tout d'un profond soulagement. Hermione put observer tous ses muscles se détendre, ce qui lui tira un sourcillement étonné. Elle n'eut pas le loisir de se pencher sur ce probant mystère, son ami l'interrogeant encore, l'inquiétude réapparaissant comme si elle n'avait jamais disparu :

—Il va bien alors ?

—Je... Ce n'est pas le terme que j'aurais employé... objecta l'Alsacienne, d'un ton incertain qui ne manqua pas d'alerter son homologue.

—Qu'est-ce que tu veux dire, Mione ? s'enquit-il, s'efforçant de dégager sa voix et de ne pas laisser transparaître les effluves d'angoisse.

—Tu as bien vu l'état dans lequel il est arrivé, je ne peux pas te dire moins de vingt-quatre heures plus tard qu'il se porte à merveille ! Il va lui falloir du temps, comme pour Blaise. Mais il vivra, sa vie n'est plus en danger.

Hermione venait de s'emporter, elle aussi rendue à fleur de peau par des nuits trop courtes. Elle n'avait pas dormi depuis le départ d'Harry, à peine justifié par quelques paroles que Luna n'avait même pas tenté d'expliciter. Si son père s'interrogeait déjà sur son absence régulière, elle n'osait imaginer les remontrances qui l'attendaient une fois de retour au domicile. Le vieil homme ne s'était pas montré particulièrement curieux, mais qui pouvait affirmer que cela durerait ?

Harry, les yeux rivés sur ses poings fermés sur la table, réfléchissait à toute allure. Ses capacités cérébrales signaient leur grand retour et il regrettait déjà les sombres réflexions qu'elles apportaient avec elles.

—J'ai tout fait pour que les dégâts ne soient pas trop importants. Je... Je ne suis pas médecin, qu'est-ce que je pouvais faire de plus ? s'exclama-t-il, ses doigts noueux se perdant dans ses épaisses mèches sombres.

—Tu as fait ce qu'il fallait ! rétorqua Hermione, dont la main recouvra celle de son ami dans un geste de réconfort. Je n'aurais pas été plus utile que toi ou qu'un véritable médecin. Les dégâts sont importants, je ne te le cache pas. Mais tu lui as sauvé la vie, Harry, tu ne crois pas que c'est suffisant ?

Le juif conserva un mutisme buté, certainement dicté par le sacrifice que cela lui avait coûté et la peur des dernières heures. La jeune femme caressa le dos de sa main à l'aide de son pouce, dessinant de petits cercles sur sa peau. Elle pouvait aisément ressentir l'émotion grandissant d'Harry, et opta pour une sincérité à toute épreuve doublée d'un professionnalisme saisissant :

—Il souffre de multiples contusions sur l'ensemble du corps. Les plus visibles sont évidemment celles sur son visage, mais d'autres sont apparues sur son ventre et sur ses tibias. Elles pourraient mettre des semaines à disparaître complètement. Deux côtes sont cassées, et là encore, on ne peut compter que sur un rétablissement qui va certainement être long. Son épaule gauche était déboitée. Heureusement pour lui, l'articulation n'était pas endommagée, mais j'ai été obligée de la remettre en place.

—J'ai préféré ne pas aggraver les choses, marmonna Harry, prêtant une oreille attentive au discours de son amie.

—Je vais me procurer une attelle, il en aura besoin. Ce genre de blessure peut entraîner de graves complications.

L'os avait bien retrouvé sa cavité avant les soins prodigués par le médecin, comme le Français l'avait présagé. Toutefois, la bosse qui s'était formée démontrait que la blessure n'était ni anodine, ni proprement en état de guérir. L'intervention d'Hermione s'était donc révélée nécessaire.

—C'est tout ? demanda encore le jeune homme, conscient que ce terme n'avait rien de judicieux dans ce type de situation.

—Non. Les contusions sont nombreuses et il faudra les surveiller jusqu'à leur guérison. Et...

—Et ?

Elle sembla hésiter, se mordant la lèvre inférieure avant de reprendre, avec une farouche assurance :

—Et c'est tout. Des saignements aux cuisses, de grosses égratignures qui auraient pu le mettre en danger. C'est bien suffisant, l'épuisement aurait pu le tuer étant donné son état. Vous avez eu de la chance d'arriver ici sans dommages.

Malgré l'assurance d'Hermione et sa connaissance du domaine, elle ne parvint pas à masquer les tremblements de sa voix. Le regard que son interlocuteur braquait sur elle la déstabilisait. Elle y lisait une lueur farouche qu'elle ne lui connaissait pas. Presque identique à celle de Blaise, quelques heures plus tôt, alors qu'il la suppliait de le laisser assister aux soins de son précieux ami. Si elle s'était empressée de refuser pour des raisons parfaitement audibles, elle ne pouvait s'empêcher de reconnaître l'attitude du métis dans le comportement d'Harry. Pourtant, la nature de leur relation était loin d'être la même. Du moins, de ce qu'elle en savait.

—Harry... souffla-t-elle, d'une voix qu'elle voulait d'un calme parfait. J'ai besoin que tu me racontes exactement ce qu'il s'est passé.

—Je vais aller voir Malfoy, riposta le susnommé, sans même prêter attention à la directive.

—Laisse-le se reposer !

Sans le vouloir, sa main s'était dangereusement crispée sur celle de son vis-à-vis, comme pour l'empêcher d'accéder à sa volonté. Ils se jaugèrent d'une œillade butée, Hermione ne cilla même pas, refusant de se laisser abattre pour si peu. Ses yeux reflétaient une détermination sauvage, que rien ne saurait entraver.

Harry se réinstalla à sa place à contrecœur, ignorant le gâteau qui trônait toujours sur la table pour se concentrer sur de bien troublantes explications. Celles-ci s'éternisèrent de longues minutes durant lesquelles il exposa les événements des dernières heures. Il insista sur sa découverte et l'horreur qu'elle lui avait procurée, la torture de Draco et l'abandon des autres prisonniers. En d'autres termes, ce qui l'avait mené à trahir la Résistance.

Hermione l'écouta sans l'interrompre, un pli barrant son front. Finalement, elle dit, à l'image d'un commentaire illustrant sa pensée :

—Harry, est-ce que tu as vraiment pensé aux conséquences de ce que tu as fait ?

—Non, répondit-il, secouant la tête de droite à gauche. Pas vraiment en tout cas. J'aurais abandonné Malfoy là-bas si je l'avais fait et je m'en serais voulu toute ma vie. Je n'ai pas pu m'y résoudre, Mione, et pourtant je t'assure que j'ai essayé.

—Je ne sais pas pourquoi je suis étonnée... soupira l'Alsacienne, l'ébauche d'un sourire sur les lèvres. Je ne pensais pas que tu foncerais au devant du danger. Tu sais qu'ils ne tarderont pas à remonter ta trace et à venir jusqu'ici ?

—Je sais. Je...

—Je vais réfléchir à une solution. On trouvera quelque chose, je te le promets !

La déclaration d'Hermione s'était imposée avec aplomb. Sa compréhensibilité avait de quoi étonner, et Harry lui en fut sincèrement reconnaissant. Il opina très lentement, dans un remerciement silencieux. Lui ne se trouvait en mesure d'y songer, ne possédant pas le recul nécessaire. Un court silence s'installa avant que le juif ne se lève pour affirmer, avec fermeté :

—Je vais veiller sur Malfoy, merci Mione.

—Mais...

—Je serai discret, je t'assure, promit le jeune homme, embrassant furtivement la joue de son amie avant de s'en aller.

Il traversa le couloir, le cœur lourd. Il mettait en danger deux personnes en souhaitant en sauver une, sans considérer les prisonniers qu'il avait choisi de laisser derrière lui. Quelle sorte d'égoïsme était-ce là ? Le besoin viscéral de préserver une existence justifie-t-elle le sacrifice de bien d'autres ? Il ne saurait dire.

Il croisa la route de Blaise qui lui octroya un sourire. Un misérable sourire. 

Retour à la normale, les personnages sont enfin en sécurité, ou presque :p

Et c'était le dernier chapitre de cette année 2019 (déjà). Cueillir les étoiles se poursuivra sur encore de longs mois sur l'année 2020, puisque l'histoire devrait compter une soixantaine de chapitres répartis en deux grandes parties. Eh oui, nos héros ne sont pas au bout de leurs peines :3

Belles fêtes de fin d'année à vous <3

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