16.2

Harry soigna ainsi tous les rescapés du train, à peine cinq personnes, les autres de la seconde classe ayant été laissés sur place. Cela lui prit de longues heures et, inconsciemment, il prolongea la manœuvre jusqu'à ce que la nuit soit tombée. Il dîna alors aux côtés des autres résistants, une soupe consistante et une épaisse tranche de pain. De quoi satisfaire son estomac vide bien que son appétit ait été compromis par les événements de la journée.

Il participa très peu aux conversations qui, pourtant, allaient bon train. On discutait de la guerre, des récoltes de l'année qui suivrait, des Allemands, de la chaleur excessive de ce mois d'août. Harry ne se prêta pas au jeu, il réfléchissait. Il réfléchissait à une solution rapide, efficace et, surtout, qui ne lui coûterait pas sa vie ou celle de Draco. Son cerveau fonctionnait à toute allure, mais ce fut sur un coup de tête qu'il demanda à surveiller les prisonniers pendant la nuit. Cette initiative fut bien accueillie et acceptée, tous étant satisfaits du travail de ce nouveau venu sur les blessés quelques heures plus tôt.

La nuit était tombée depuis longtemps lorsque les résistants rejoignirent leurs draps et qu'Harry monta les marches menant au grenier. La fatigue tutoyait l'insupportable, mais il ne faiblit pas, certain que cette occasion serait la seule qu'il n'obtiendrait jamais. Il ne pensait pas à la trahison qu'il était sur le point de commettre, du moins il essayait. Il tournait le dos à tout ce en quoi il avait toujours cru et cela lui coûtait énormément.

Il ouvrit la porte qui émit une plainte avant de s'engouffrer à l'intérieur et de la refermer soigneusement derrière lui. Draco se tenait toujours assis sur sa chaise, comme s'il n'avait pas bougé d'un cheveu depuis le départ du médecin. L'épuisement le gagnait pourtant, comme pour dévorer ce qu'il restait d'une enveloppe charnelle bien abimée.

—Tu es revenu... constata-t-il, très bas.

—Et vous n'avez pas bougé.

—Impossible de désobéir, Potter.

L'estomac du blond émit une plainte bruyante qui alerta Harry. Celui-ci balaya la pièce d'un coup d'œil circulaire. Les récoltes de toute l'année y étaient stockées et il trouva des biscuits secs sous un linge blanc. Draco l'avala sans rien ajouter, bien heureux de cette initiative. L'autre en enfourna d'autres dans sa sacoche, par simple prévision, l'estomac pourtant noué par la terreur et par cette prise de risque inconsidéré.

Il se pencha pour trancher les liens qui entravaient les mouvements de l'aristocrate. Cette corde épaisse qui brûlait l'épiderme sensible avait été ajoutée par le fermier comme précaution supplémentaire. L'Allemand frémit avant de bouger lentement les muscles de ses bras qui protestèrent virulemment. Il frotta la peau fine de ses poignets avec une lenteur douloureuse, un peu hébété par ce geste. Il finit par demander, interdit :

—Pourquoi, Potter ?

—Ne posez pas de questions.

—Qu'est-ce que tu fous ? répliqua Draco, sans maîtriser cet excès de langage.

Harry interrompit son geste, courroucé. Pourquoi ne lui facilitait-il pas la tâche ? Il ravala un commentaire sur son foutu caractère, redessinant les traits blessés de son vis-à-vis comme pour calmer cette rage sourde.

—Pourquoi tu me libères ?

—Parce que c'est le seul moyen de vous sauver ! Vous n'êtes pas idiot, vous savez très bien qu'ils ne vous laisseront jamais la vie sauve.

—C'est de la folie... murmura Draco, sa résistance se muant en un mouvement de recul effaré.

—Je me serais contenté de remerciements, maugréa Harry. Levez-vous, il n'y a pas de temps à perdre.

Seule l'incompréhension poussa le blond à obtempérer. Son cadet l'aida à se redresser alors qu'il titubait dangereusement. Chaque parcelle de son corps le faisait souffrir, comme pour lui rappeler les heures sombres qu'il avait traversées. Il revoyait ces hommes abattre leurs mains larges sur lui, leurs pieds contre son ventre avec violence inouïe. La lame entaillant sa peau, tout ce qu'Harry ignorait encore et qu'il se plaisait à cacher. Comme un animal cacherait ses blessures de peur de se faire dévorer par les prédateurs rodant aux alentours.

—Je ne t'ai rien demandé, articula Draco, d'une voix blanche.

—Je n'ai pas besoin de votre autorisation, rétorqua le juif, sans élever la voix mais les pieds fermement plantés dans le sol.

—C'est de la folie, vous ne comprenez pas ? Vous avez bien vu l'état dans lequel je suis, jamais nous ne pourrons nous échapper tous les deux ! Je peux à peine marcher !

—Le soleil ne se lèvera pas avant plusieurs heures, nous pouvons y arriver. Arrêtez de faire l'enfant !

Il songea brièvement aux autres prisonniers, à tous ceux qu'ils abandonnaient par ce choix égoïste. Était-ce ce à quoi la guerre les forçait ou ces décisions arbitraires et injustes leur étaient-elles naturelles ? Harry aida son patient d'infortune à marcher jusqu'à la porte devant laquelle Draco s'arrêta pour coller son dos au mur pour un ultime répit. Il soupira profondément, éveillant la douleur vivace de ses cotes brisées.

—Répondez-moi sincèrement, Malfoy. Vous pensez pouvoir y arriver ? C'est votre seule chance alors soyez sérieux. Votre ami compte sur vous et je suis certain que ce n'est pas le seul à vous attendre.

L'intéressé réfléchit rapidement, envisageant avec davantage de recul la question et la chance qui se présentait à lui. Il finit par opiner lentement, avant de rectifier :

—Ne te fais pas d'idées Potter, personne exceptée ma mère ne s'inquiète pour mon sort.

—Alors essayez de ne pas la décevoir ! s'exclama-t-il, s'étonnant silencieusement de cette révélation. Accrochez-vous et survivez.

—Allons-y !

Ils franchirent le seuil de la porte. Harry soutenant tant bien que mal Draco par son épaule valide. Ils descendirent les escaliers sans un mot, le cœur battant à tout rompe. Et si quelqu'un les attendait juste en bas ? Qu'arriverait-il alors ? Chaque pas sonnait comme une délivrance, comme un calvaire menant à l'agonie. Les marches grinçaient sous leur poids, comme pour dénoncer ceux qui s'apprêtaient à fuir aussi lâchement.

Un soupir de soulagement ébranla le Français lorsqu'ils furent enfin dehors. L'air frais pénétra dans ses poumons et il octroya un regard aux étoiles qui perlaient dans la nuit noire. Ces milliers d'astres orphelins de nom qui brillaient chaque fois un peu plus pour l'enseignement des hommes.

—Tu vas le regretter, n'est-ce pas ? l'interrogea Draco, dans un chuchotement.

—De vous avoir sauvé ? Non, jamais.

—De les trahir alors ?

Harry manqua de s'étouffer, le souffle soudain court. Il ne put se résigner à jeter un regard en arrière, se forçant à marcher et à soutenir le corps lourd de douleurs qu'il sauvait d'une mort certaine. Il préservait une vie humaine, pourquoi devrait-il s'en blâmer ? Lui-même n'aurait jamais songé tirer un Allemand d'un mauvais pas. Il risquait désormais sa vie pour l'un d'eux et plus encore, ce en quoi il croyait ardemment.

— Ils sauront que c'est toi qui m'as aidé à... m'enfuir, poursuivit Draco, haletant sous l'effort et la souffrance qui irradiait l'ensemble de son être.

—Je sais, Malfoy, et j'essaie de ne pas trop y penser. J'envisagerai toutes les conséquences une fois que nous serons de retour sains et saufs.

Et Mione aurait détesté ça ! songea-t-il, sombrement.

Ils suivaient la route, butant parfois sur des pierres et n'avançant que bien trop lentement. Draco avalait ses plaintes, un même objectif inscrit en lui au fer rouge : survivre. Sa respiration erratique comblait le silence que la nuit avait amené avec elle. De longues minutes venaient de s'écouler sans qu'ils n'échangent la moindre parole. Le regard rivé sur une volonté de s'en sortir farouche et commune.

Deux phares brisèrent l'uniformité monochrome qui s'étendait à perte de vue. Deux sources de lumières menaçantes qui avançaient dans leur direction. Harry réagit le premier alors que son cœur ratait un battement :

—Vite ! Ils vont nous voir !

Il tira brusquement son vis-à-vis dans le fossé qui longeait la route. Draco s'effondra dans un grognement de douleur, roulant le long de la pente jusque dans le champ qui la bordait. Le Français se laissa emporter par sa chute, se moquant éperdument des branches qui éraflaient sa peau et du corps du blessé qui heurtait le sien. Enfin, il plaqua son dos contre la terre, espérant cacher sa présence aux regards extérieurs. D'une main ferme pressée contre le torse du blond, il le força à l'imiter.

Les secondes s'éternisèrent alors qu'ils n'osaient même plus respirer. L'homme au volant les avait peut-être aperçus avant qu'ils ne sautent se mettre à l'abri ? Le conducteur ne tarderait pas à les débusquer et étant donné l'heure tardive, il ne pouvait s'agir que d'un Allemand. Les yeux clos, Harry priait. Il ne s'autorisa à prendre une grande inspiration que lorsque le bruit provenant du ronflement du moteur ne s'éloigna.

—Il est parti ?

—Oui, on peut continuer.

—Attends, Potter.

Cette phrase coupa net le jeune médecin dans son élan. Il s'apprêtait déjà à gravir ce talus de terre, abandonner ce fossé pour la route et poursuivre son chemin pour en finir une fois pour toutes avec cette course contre la montre. La main de Draco venait d'empoigner la manche de son cadet. Celui-ci aurait pu se dégager sans le moindre effort mais il suspendit son geste.

—Aide-moi à me relever.

Harry obéit, non sans ignorer la grimace qui déforma le visage de l'Allemand lorsqu'il tira sur son bras valide. Sans doute avec trop de force puisque, une fois debout, le blond se retrouva définitivement trop proche de lui. Un regard les unit. L'acier glacial contre l'absinthe brûlante. Draco n'avait pas lâché la main du juif, ce contact ne se décidant pas à le répugner. Il déglutit, peinant à trouver les mots qui forçaient la barrière de son esprit. Le contrôle abandonnant lentement ses sens, il se complaisait dans cette contemplation muette avant qu'il n'articule :

—Merci, Potter.

Le susnommé eut un faible sourire sans se défaire du contact visuel, se perdant dans l'orage qui grondait férocement au creux de ses prunelles. Le jeune aristocrate sourcilla et reprit, avec le plus grand sérieux :

—Merci, Harry.

La vie aurait pu s'arrêter ainsi, dans un éclat d'injustice violent, ôtant l'existence comme un rien. Cette pensée traversa l'esprit déjà troublé de Draco comme une évidence. Alors, il ravit les lèvres d'Harry, portant dans ce baiser toute sa reconnaissance et certainement bien au-delà que sa seule gratitude. 

Le premier baiser en avant-première ! Il aura fallu attendre une trentaine de parties pour y parvenir. Alors, qu'en avez-vous pensé ? 

On peut parler d'un tournant dans leur relation, évidemment. Je vous laisse imaginer à quel point ça va soulever des interrogations des deux côtés :3

Je vous embrasse <3

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top