16.1
Aux alentours de Strasbourg, 19 août 1940.
Harry recula d'un pas alors que son cœur ratait un battement. L'horreur s'éprenait de lui et, tout à coup, il était incapable de se tirer de cette effroyable vision.
Draco sembla retenir une plainte, un grondement, peut-être même un gémissement. Son œil gauche était tellement gonflé que sa vue se restreignait à son œil encore valide. La douleur, insupportable, l'empêcha de reconnaître ce visage familier. Un maigre soulagement l'étreignit, mais il ne parvint pas à porter cette réflexion à terme.
Soudain, le poing d'un des deux tortionnaires s'abattit contre la mâchoire de l'Allemand. Le choc le projeta contre le dossier en bois et il se laissa choir, sonné. Des étoiles colorées obscurcissaient sa vision et un goût de sang envahit sa bouche. Encore.
Il ne vit pas l'expression horrifiée d'Harry qui tentait, tant bien que mal, de demeurer impassible. La réalité était qu'il en était incapable. Il ressentait une pitié vivace pour cet homme et un désir de le sauver, bien plus fort que tout le reste. Cette loque humaine était un être doué de sentiments et d'humanité, cela ne faisait aucun doute et il refusait de l'abandonner ainsi. Ce fut certainement à cet instant que sa décision s'arrêta. Il ne le laisserait pas périr ainsi !
—C'est bon, j'pense qu'il a eu son compte, dit l'un des deux geôliers.
—Il a rien dit ! C'est qu'un gamin qui s'est fait dessus, il va finir par balancer c'qu'il sait ! On va pas s'arrêter maintenant quand même !
Dean ne perdait pas une miette du spectacle. Le prédateur devenait proie parfois, et il n'y avait rien de plus jouissif que cela. Il ne connaissait guère le soldat Allemand que l'on mettait en pièce. Non, mais il ferait l'objet de la vengeance des opprimés par le régime nazi, le reste était sans importance.
—Justement, c'est qu'un gamin. S'il avait quelque chose à dire, ça ferait longtemps qu'il l'aurait fait.
—On s'en débarrasse alors ? Si on peut rien en tirer, ça sert à rien de le garder en vie, objecta l'un d'entre eux, proche de la quarantaine.
—Non, tempéra le fermier. Faut le rafistoler, il pourrait encore nous servir.
Voyant dans la tournure que prenait la conversation un moyen de les sortir de cette sinistre impasse, Harry intervint :
—Je suis médecin, je peux m'en occuper si vous avez besoin de le remettre en état.
Tous se retournèrent en direction du concerné, jaugeant ce nouveau visage pour estimer s'il pouvait lui confier une tâche aussi primordiale. Le juif déglutit péniblement, conscient que cet instant serait décisif. Il garda l'air déterminé, espérant faire bonne figure et qu'ils ne posent aucune question sur une profession qu'il n'avait jamais véritablement appris sur les bancs d'une école.
—Tu peux t'occuper de lui.
—Il s'est proposé pour soigner les autres prisonniers, ajouta Dean, avec un regard entendu. Après celui-là.
Une once de haine s'était imprégnée de ses dernières paroles. Il jeta un regard de dégoût à la loque humaine qui pendait misérablement contre le dossier de la chaise. Harry se contenta d'opiner pour tout remerciement, tâchant de demeurer neutre et parfaitement détaché, fuyant la vue du corps meurtri de l'Allemand.
Les hommes sortirent un à un, abandonnant le nouveau venu. Dean demeura encore près de la porte, si bien qu'Harry se sentit forcé de préciser :
—Tu peux me laisser seul avec lui. Vu son état, il ne fera rien.
—On ne sait jamais de quoi ils peuvent être capables, riposta l'autre, fermement.
—Regarde-le ! Il est incapable de faire quoi que ce soit, il est aux bords de l'inconscience.
Dean pinça les lèvres avant d'obtempérer. Il quitta la pièce, laissant seul Harry face à ce patient en bien triste état. Le fermier ramena, une poignée de secondes plus tard, une bassine d'eau chaude accompagnée d'un linge propre. Le médecin le remercia brièvement avant de sortir le matériel dont il avait besoin de sa besace. Il s'était empressé d'enfourner le tout avant de partir, son instinct lui dictant qu'il en aurait besoin.
Alors qu'un silence définitif et décidé se déployait sur la petite pièce, Draco se redressa et planta ses orbes gris dans celles d'Harry. Ce dernier lut derrière l'orage une souffrance surpassant encore la haine, une douleur sans nom. Avant que le plus jeune n'ait eu le temps de faire le moindre mouvement en sa direction, l'Allemand siffla :
—Je ne t'attendais plus... Potter !
—Vous êtes dans un sale état, laissez-moi vous soigner, répliqua l'intéressé, balayant la provocation d'un revers de main.
—Pas la peine de faire de la charité avec moi.
Draco venait d'avoir un mouvement de recul, minuscule, certes, mais bel et bien réel. Il ne ressemblait qu'à un animal blessé qui préférait mourir dans son coin plutôt que chercher de l'aide et de risquer d'attirer l'attention des prédateurs. Harry considéra les blessures visibles de son visage, certain qu'il ne s'agissait là que d'une maigre part des dégâts subis. Il refusa net de laisser la fierté dicter les décisions du blond, s'emparant du linge mouillé pour l'approcher lentement du visage de son patient.
—Restez tranquille, Malfoy, je ne fais que mon travail.
—Alors... c'est pour ça que tu es venu, pour faire ton travail ? s'enquit l'aristocrate, une amertume dans la voix.
—Épargnez votre salive et laissez-vous faire.
—Depuis quand... tu donnes les ordres, Potter ?
—Depuis que vous n'êtes plus capable de faire quoi que ce soit d'autre que râler.
Enfin, il se tut. Le tissu effleurait sa joue, grattant le sang séché sur son épiderme. Il sentit bientôt la brûlure de l'alcool sur son arcade coupée et il serra les dents pour avaler une plainte. Les soins se poursuivirent sur l'ensemble du visage, désinfectant les plaies sans que Draco ne laisse échapper le moindre son. Un hématome s'étalait sur le bas de sa mâchoire et un autre sur son œil gauche qui avait considérablement gonflé. Harry ne commenta pas la vision qui l'assaillait, bridant les émotions qui s'agitaient en lui pour se cantonner au rôle de simple médecin.
—Vous m'autorisez à retirer vos vêtements ? demanda-t-il, finalement, et au terme de longues minutes.
—Pourquoi poser la question ? Je serais incapable de me défendre s'il te prenait l'envie de le faire contre mon gré, gronda l'Allemand.
—Je ne compte rien faire contre votre gré, je ne serais pas là si ça avait été le cas.
—Qui me dit que tu n'es pas venu finir le travail ?
Cette fois, Harry interrompit tout mouvement. La mâchoire serrée, il prit le menton de Draco entre ses deux doigts, ignorant la grimace qui traversa son visage, et articula avec une certaine véhémence :
—Bon, maintenant vous allez m'écouter. Je ne suis pas venu pour vous faire plus de mal, vous êtes déjà suffisamment amoché pour ça, je ne suis pas venu non plus pour supporter vos remarques mal senties. Je suis venu pour vous aider alors vous arrêtez ce petit jeu et vous me laissez faire. C'est clair ?
Le blond le défia d'un regard dur. Il finit par capituler dans un soupir, comprenant qu'il ne gagnerait pas à ce jeu-là étant donné son état. Ses mains se perdirent sur les premiers boutons de sa chemise qu'il dénoua avec difficulté. Harry, dont le courroux était vite retombé devant la mine abattue de son patient pourtant récalcitrant, dit :
—Laissez-moi m'en occuper.
—Je peux le faire seul, protesta Draco, s'acharnant sur l'attache qui glissait entre son index et son pouce.
—Vous récupérerez votre fierté mal placée une fois que vous serez sorti de là.
L'Allemand sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. Si seulement cela arrivait un jour. Les heures de torture qu'il venait d'endurer étaient venues à bout de toute espérance. Il cessa de résister, sentant à peine l'étoffe tomber au sol dans un bruit mou.
Harry, quant à lui, prenait conscience de la portée de ses gestes. Il se comportait comme un amant et cette seule pensée le troubla profondément. Le regard qu'il portait au corps dénudé de son patient n'avait rien de professionnel. Il y avait de la pitié, évidemment, mais pas seulement. Le jeune homme ne parvint pas à mettre le mot sur ce sentiment alors que ses yeux redessinaient les abdominaux fins qui se dévoilaient, impudiques. Il lui fut impossible d'ignorer les hématomes violacés qui contrastaient avec la peau pâle de Draco.
—Est-ce que respirer est douloureux ? questionna le juif, plus pour combler le silence empli de tensions que pour l'interrogation elle-même.
—Oui.
Harry parcourut des doigts les côtes de l'aristocrate qui n'ajouta rien de plus, se contentant d'encaisser cette sensation désagréable. Le médecin sentit une bosse légère sous la peau, puis une seconde, il poursuivit la manœuvre longuement et finit par affirmer :
—Vous avez deux côtes cassées, c'est pour cette raison que respirer vous fait si mal.
—Il n'y a rien à faire, n'est-ce pas ?
—Je peux vous faire un bandage serré, mais il vous faudrait du repos dans une position allongée. Et surtout, que...
—Qu'ils ne décident pas de remettre ça dès demain. C'est là ce que tu souhaitais dire, Potter ?
Harry déglutit, incapable de masquer le malaise qui le faucha. Cela lui était insupportable d'imaginer qu'on allait s'en prendre à lui encore une fois, que l'on allait faire plus de dégâts encore. D'une voix blanche, il prononça :
—D'autres endroits sont douloureux ?
—J'exclue l'ensemble du corps ? renchérit Draco, acerbe sans même s'en rendre compte. L'épaule. Certainement déboitée.
L'autre examina la zone, tâtant la peau pour à la recherche d'une réponse. L'Allemand semblait incapable d'effectuer le moindre mouvement et un simple toucher lui arracha une grimace. Il lui semblait que l'os se soit remis en place, certainement pas de la bonne manière, mais il ne se risquerait pas à y toucher au risque d'aggraver la blessure.
—Rien au reste ? Pas de douleurs spécifiques ?
—Rien que tu aurais envie de voir.
—Rien aux jambes ?
—Non, rien.
Harry rangea alors soigneusement le matériel usagé, l'esprit encore troublé et l'âme en peine. La violence qu'avait subie cet homme, il ne saurait le supporter. Alors qu'il se perdait dans ses sombres pensées, la voix traînante de Draco s'éleva :
—Potter... Harry... Tu n'aurais pas de l'eau ?
L'intéressé se saisit de la petite gourde qu'il avait crue bon d'emmener avec lui. Il la porta aux lèvres de son vis-à-vis avant même qu'il ait eu l'occasion de protester contre ce geste. Il but de longues et délicieuses gorgées, appréciant la saveur du liquide qui coulait abondamment dans sa gorge.
—Je suis désolé pour tout ça, finit par dire Harry, sincèrement.
Draco eut un sourire. Un sourire infiniment triste. Lui aussi l'était, il l'était tellement. Tout son corps le criait mais c'était son âme qui hurlait ces mots plus forts que tout le reste. Il arrêta le médecin avant qu'il ne passe le pas de la porte :
—Tu reviendras ? Tu ne me laisserais pas mourir ici seul, Potter ?
—Non. Je ne vous laisserai pas mourir ici tout seul, vous avez ma parole.
L'Allemand prit une grande inspiration, se moquant éperdument de la douleur qui s'éveilla dans sa poitrine. Il lança un regard empli de désespoir à son cadet, l'observant comme s'il s'agissait de la toute première fois. Il n'avait plus la force de pleurer, le cœur au bord des lèvres et une peur viscérale au creux du ventre. Le calvaire prenait des allures d'agonie.
—Veille sur Blaise, veille sur lui quand je ne serai plus là. Ne l'abandonnez pas.
—Vous veillerez sur lui.
—Tu ne comprends pas...
—Restez sage, je reviendrai vous chercher.
Alors, il quitta la pièce, laissant Draco derrière lui. Un homme dévoré par la peur et la douleur, certain qu'il ne pourrait jamais tenir parole et que ce misérable endroit serait sa tombe.
Une très longue partie.
Draco dans un piteux état et Harry forcé de jouer les médecins. La situation est plus que délicate et Harry va devoir prendre une décision dans les plus brefs délais.
Je me suis prêtée à une courte réécriture de cette fanfiction. J'y ai ajouté des détails historiques en plus de corriger les coquilles que j'y ai trouvées.
Bonne semaine :)
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