15.2

Harry avait quitté son domicile sans un regard en arrière, désormais persuadé de donner raison au meilleur choix possible. Dean l'accompagnait tandis que Luna avait prétexté une urgence et n'avait pas quitté Strasbourg. Juste avant de partir, le juif avait glissé à son amie de préciser à Hermione qu'il ne serait peut-être pas de retour avant un moment. Simple précaution.

Ils atteignirent enfin une petite ferme à quelques kilomètres des premières habitations de la zone urbaine. Un lieu isolé, à l'abri des regards, constata sombrement le médecin. Tout cela ne laissait rien présager de bon et son estomac se contracta, douloureusement vide. Il sentait l'horreur le rattraper, pas après pas. Que n'aurait-il pas fait pour mettre un terme à ce cauchemar.

—Ils ont été prévenus de ma venue ? s'enquit-il, imaginant sans mal la teneur de la réponse.

—Nan, mais c'est des braves types ! T'as pas à t'inquiéter.

Harry en doutait sérieusement. Dans la cour, une femme entre deux âges ramassait les œufs du jour, gênée par son embonpoint dans sa tâche journalière. Elle se redressa à la vue des deux visiteurs matinaux, un sourire discret ourlant ses lèvres pleines.

—Bonjour, Madame !

—Bonjour, je me doutais bien qu'il en arriverait encore. Mais ça me fait sourire, va ! On a besoin de bras.

Ce bout de femme semblait chaleureuse, comme une part de vie à peine épargnée par cette affreuse guerre. Son accent alsacien mangeait le moindre de ses mots, comme pour lui accorder un charme supplémentaire, de quoi donner le sourire et amuser quiconque se trouverait à proximité.

Harry avait toujours témoigné son plus profond respect aux Résistants, à ceux qui risquaient jusqu'à leur vie pour les tirer des griffes acérées des Allemands. En cet instant, son estime pour la vie humaine reprenait le dessus et il était incapable d'approuver de tels agissements. Ce que l'on qualifiera plus tard de crime de guerre le répugnait, qu'il soit infligé d'une main allemande ou française.

—On vient prêter main-forte, assura Dean, avec franchise.

—C'est bien, approuva la femme, son seau rempli d'œufs à la main. Ils sont à l'intérieur, vous pouvez y aller.

—Merci !

Harry la remercia d'un simple hochement de la tête, le cœur n'y étant pas. Il aurait sans doute préféré ignorer toutes ces horreurs. Le déchainement de la violence ne souffrait aucune frontière, la brutalité s'installant dans les cœurs sans la moindre distinction.

Ils pénétrèrent dans l'humble demeure et le médecin dévisagea sans jugement l'ensemble rustique. Les épaisses poutres au plafond côtoyaient le bois solide qui forgeait cette maison. Une odeur agréable flottait dans la cuisine, des arômes de beurre, de cannelle et de sucre chatouillèrent les narines du jeune homme. Son ventre protesta, éveillé par ces délicieuses flagrances.

—Vous voulez manger un morceau ?

—Ça ira, merci, refusa poliment Dean.

—Vous avez raison, faut avoir l'estomac bien accroché ! opina vigoureusement la fermière. Mais si vous avez faim dans une heure ou deux, vous goûterez à ma tarte, et vous m'en direz des nouvelles ! Les prisonniers sont au grenier, quelqu'un devrait surveiller la porte.

Ils acquiescèrent comme un seul homme avant de descendre les escaliers. Le cœur d'Harry battait irrégulièrement dans sa poitrine, heurtant sa cage thoracique avec la force des émois. Un homme barrait l'entrée au grenier et il devrait avoir le même âge que ses homologues. Une tignasse brune emmêlée se dressait sur sa tête et ses yeux bruns pétillaient de malice, il semblait comme dénoter avec un décor aussi sombre que celui-ci. Il vint directement à leur rencontre :

—Tu en as mis du temps !

Il gratifia Dean d'une accolade amicale avant de saluer le nouveau venu et de lancer :

—Je ne savais pas que tu nous amenais un nouveau. Moi, c'est Seamus.

—Harry, je me suis dit que vous auriez besoin d'un coup de main.

—On en a toujours besoin ! Et ça fait plaisir de voir de nouvelles têtes.

Ce premier contact rassura quelque peu Harry, qui éprouva dès lors une sincère sympathie pour ce garçon. Il ouvrit la porte sans rechigner, laissant entrevoir ce morceau d'obscurité et de terreur. Les prisonniers se tendirent, leurs respirations se bloquèrent dans leur poitrine et leurs yeux exorbités trahissaient leur angoisse.

Le regard du médecin traversa la petite pièce, cherchant la blondeur d'un homme disparu. Il crut que son cœur allait s'extirper de sa prison de chairs et d'os lorsqu'il ne le reconnut pas dans la petite assemblée. Se pourrait-il que... Non ! C'était impossible, cela ne pouvait pas être arrivé !

—Ils ne sont que quatre. Où est le dernier ? s'enquit Harry, sans parvenir à sembler parfaitement détaché.

—Ils sont en train de s'en occuper. Ça doit faire plus de deux heures que ça dure. Impossible de dire dans quel état il est, répondit Seamus, avec simplicité.

Cette fois, le juif fut sur le point de vomir, peu importait que son estomac soit entièrement vide. Tous les efforts du monde ne parvinrent pas à masquer l'horreur qui marqua son visage. Dean ajouta, sans quitter les prisonniers gémissant des yeux :

—Ces types nous auraient pas fait mieux.

—Je le sais, approuva l'autre, d'une voix blanche.

Il embrassa la petite pièce. Qui étaient tous ces gens ? Peut-être bien haïssait-il autant cette maudite guerre qu'eux ? Il recula d'un pas, pressé de quitter cette pièce et d'en finir avec ces affreuses visions. Du bout des lèvres, car il refusait d'abandonner des êtres humains en sacrifice, il annonça :

—Ils ont tous besoin de soin. Je suis médecin, je peux m'en occuper.

Dean et Seamus échangèrent un regard. Ils prirent en compte cette proposition très peu masquée sans réaliser qu'elle servait également à cacher le malaise certain de leur vis-à-vis. Ils quittèrent les prisonniers, les abandonnant au silence insupportable et inquisiteur de leur propre supplice. La porte se referma brusquement, comme pour former une barrière hermétique entre deux mondes.

—Alors l'autre... commença Harry, conscient de son épouvantable maladresse. C'est le soldat de la SS ?

—Ouais, un putain de boche ! gronda Dean, une lueur de haine pure coulant dans ses yeux.

—Ils vont sûrement lui régler son compte, admit Seamus.

—On va passer voir ! ajouta son ami, avec une détermination que rien ne saurait mettre en déroute. Compte sur nous pour rien rater !

Et, à nouveau, ils gravirent les marches. Des marches les menant tout droit à ce qu'Harry répugnait d'observer. Ils quittaient les atrocités pour gagner l'enfer. Les pas semblaient condamner tout semblant d'humanité et le médecin se fit la réflexion que s'il existait bien quelque chose d'universel, c'était bien la violence. Dans quoi le monde était-il en train de sombrer ?

Une nouvelle porte se dressa devant les deux hommes. Pas de quoi décourager les ambitions de Dean, il toqua trois fois contre le bois solides à quelques secondes d'intervalle. Un silence. Puis...

—Ouais ?

—C'est Dean, annonça placidement l'intéressé, sans trahir la moindre émotion.

—Entre, on en a presque fini !

La voix, bien qu'étouffée par le mur les séparant, était claire. Harry serra les dents, son courage mis en déroute devant une telle épreuve. La profession qu'il avait choisie par passion lui avait mis sous les yeux des corps abimés, voire détruits. Pourtant, il doutait d'être capable d'en supporter davantage. Pourquoi dont ? Pourquoi dont cela lui était-il tant insupportable ?

Dean ouvrit la porte et pénétra à l'intérieur, le juif sur les talons. Ce dernier se figea dès qu'il aperçut la raison de sa venue. Face à lui, une loque humaine tenait tant bien que mal sur une chaise qui tanguait dangereusement. Plusieurs hommes robustes l'entouraient, menaçant une vie déjà mise en péril. Le sang maculait le corps dont les membres semblaient pendre misérablement et le visage était désormais méconnaissable.

—Mon dieu... souffla Harry, dans un silence.

Draco, puisqu'il s'agissait forcément de lui, releva la tête en direction de cette voix familière. L'hémoglobine recouvrait une majeure partie de ses traits, collant les mèches fines contre la peau meurtrie. L'être torturé qui se tenait là n'avait plus rien en commun avec le Draco Malfoy qu'il avait connu !

Un aperçu sombre de la Résistance. Si les résistants ont fait les frais de la torture nazie, le réseau de résistants, très désorganisé (on en est qu'au début de la guerre, et il n'y a pas eu, en Alsace, de réseaux très hiérarchisés et organisés comme dans les autres grandes villes françaises, libres ou occupées). 

Dites-moi si ce genre de précisions vous intéressent en tant que lecteurs. Ces suppléments historiques que je n'ajoute pas forcément aux chapitres :3

Autre chose : je suis en train d'opérer une brève réécriture, afin d'agrémenter le récit de détails historiques supplémentaires et effacer les éventuelles erreurs à ce niveau. 

Une belle semaine à vous <3

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