15.1

Aux alentours de Strasbourg, 19 août 1940.

Draco Malfoy ne possédait plus la moindre notion du temps depuis un long moment déjà. Certain d'avoir perdu connaissance, il s'était éveillé au milieu des décombres un court moment avant de sombrer dans le néant une nouvelle fois.

Il avait à peine eu le temps de distinguer les corps dispersés et les quelques gémissements brisant le silence. Avant de cesser de lutter contre la douleur qui irradiait l'ensemble de son être, une silhouette sombre s'était penchée en sa direction, refermant l'étau autour de lui. L'obscurité s'était éprise de Draco. Encore.

Ce ne fut que quelques heures plus tard qu'il s'éveilla pour de bon. La pièce humide dans laquelle il se trouvait ne lui était pas familière. Il frissonna. Où se trouvait-il ? Pas dans un hôpital visiblement, bien que sa condition nécessite des soins urgents. Que s'était-il passé ? Il se souvenait très nettement de l'accident, du choc qui avait ébranlé toute la carcasse du wagon, mais ensuite ?

Il se redressa péniblement, étouffant une plainte quand ses membres hurlèrent de protestation d'un long cri commun. Une sévère migraine empêcha le moindre mouvement brusque et, après un rapide coup d'œil circulaire, Draco remarqua de nombreuses silhouettes allongées ici et là. Malgré le vertige qui le submergea, il parvint à reconnaître cinq des six voyageurs du train direction Strasbourg. Il n'était donc pas seul. Était-ce censé le rassurer ? Non, au contraire, cela ne fit que l'effrayer davantage. Quelqu'un leur voulait du mal et la solution à cette énigme paraissait, tout à coup, douloureusement évidente.

L'attente commença sans qu'il ne sache quelle heure il se faisait. Le temps s'écoulant comme pour le narguer de son évidente supériorité. Il ne pouvait lutter contre une telle force et se laissait envahir par ses pensées, sombres illustrations des perversités de son esprit.

Le sort qui l'attendait n'avait rien d'enviable et Draco ne se permettait aucun sursit. Il ne devait en aucun cas se montrer idéaliste, les personnes qui les avaient parqués ici comme du bétail n'auraient pas la moindre pitié pour eux tous. Ils finiraient par les abattre un par un et la mort leur apparaîtrait comme une bien délicieuse délivrance.

Le jeune aristocrate regroupa ses membres contre sa poitrine, le dos pressé contre le mur glacé. Bien que conscient de la saleté qui l'entourait, ce constat lui sembla immédiatement bien dérisoire. Si les gémissements de ses congénères l'importunaient, il se garda bien de s'en plaindre. Bientôt, il n'aurait plus à s'en soucier alors les excès de zèle étaient inutiles.

Draco songea à Blaise, honnêtement navré de l'abandonner de la sorte au milieu d'un monde qui n'hésiterait pas à dévorer ses restes encore chaud. Au milieu d'une terre qui ne le méritait pas. Que lui adviendrait-il ? Quelles étaient ses chances de survie ? Presque nulles, il ne fallait pas rêver à l'impossible. L'Allemand s'excusa aussi auprès de sa mère, à peine conscient de brûler les étapes et dramatiser la gravité de sa situation. Narcissa ne méritait pas cette guerre et la manière délicate dont elle était impliquée. La tendresse qu'il éprouvait pour elle étreignit son cœur douloureusement alors que le visage d'Harry s'imposait à lui. Il ne regrettait pas un seul instant d'avoir sauvé sa vie à de multiples reprises certain, au fond de lui, que le juif le méritait. Il espérait seulement qu'il protégerait son meilleur ami et pensa qu'il aurait dû les payer plus grassement, cela leur aurait permis d'être à l'abris du besoin.

Et de se montrer plus fidèles, même par-delà la mort, lui souffla perfidement une petite voix dans son esprit.

Draco passa une main lasse et tremblante sur son visage. La poussière recouvrait ses traits ainsi que des coupures légères et quelques hématomes. Le reste de son corps ne faisait pas exception, le choc avait été rude et la souffrance ne semblait pas prête à renoncer à lui.

—E-Est-ce que... quelqu'un sait ce qui va nous... arriver ? s'enquit une voix chevrotante à laquelle le blond n'octroya même pas un regard.

—J-Je n'en sais rien, répondit l'homme particulièrement bavard de tantôt, ayant perdu toute sa belle assurance et ayant abandonné son flot de paroles.

Un court silence s'imposa et Draco soupira sans parvenir à masquer son agacement. La peur le rongeait, dévorant ses entrailles et le plus insupportable encore était d'entendre ces inconnus geindre sur leur misérable sort. Il articula, le ton trainant et froid :

—Croyez-moi, vous avez aucune envie d'entendre la réponse.

—On va tous mourir ici, c'est exact ? glapit une voix féminine.

—Ils vont nous abattre comme des porcs, ces vauriens ! Le Reich aurait dû s'en occuper pendant qu'il en était encore temps, cracha un homme grand et sec, le regard vicieux.

—On sera vengés, ils les retrouveront et ils en feront de la bouillie ! scanda l'autre homme, avec véhémence.

—Et ça vous avancera à quoi une fois que vous serez six pieds sous terre ? dit Draco, pas une intonation plus haute que l'autre. À rien, ça vous ramènera pas à la vie.

Des protestations sourdes montèrent à ses oreilles, échos d'une terreur viscérale qui détruisait la moindre once d'intelligence. Il ne restait là plus que les instincts primaires et plus rien, pas même la parole, ne les différenciait des animaux, de vulgaires bêtes. C'en était pitoyable !

—Taisez-vous ! Je crois qu'ils approchent !

—Silence, silence ! Ils vont nous entendre !

Draco ne sut estimer s'il en tirait une sorte de soulagement, heureux de recouvrer un semblant de calme, ou si cette nouvelle l'effrayait plus que tout. On les amenait à la mort et les chances d'y survivre étaient si minces qu'il préférait ne pas les envisager. Il souffrirait bien assez, inutile de prolonger son agonie avec de tels espoirs.

La porte s'ouvrit en fracas et les corps se figèrent. Un simple réflexe pour se protéger, des bras enlaçant les genoux et se collant contre une poitrine tremblante, des prières muettes dans l'obscurité glaçante, ou même des œillades larmoyantes. Rien qui ne saurait amadouer un homme avide de vengeance. Ceux qui pénétrèrent dans la pièce balayèrent rapidement celle-ci du regard, accrochant péniblement les silhouettes misérables parsemant le sol. Draco sentit leurs yeux s'arrêter sur lui avec une détermination qui lui fit oublier le moindre trait de leur visage. Pétrifié, il attendait le verdict, que l'on mette fin à cette attente. Une voix s'éleva, coupant court à la moindre de ses sombres réflexions :

—Toi, debout ! Tu viens avec nous !

Le jeune aristocrate ne perçut même pas la vague de soulagement qui submergea ses compatriotes. La peur glaça ses membres à tel point qu'il peina à se redresser sous les ordres aboyés de ses geôliers. L'un d'entre eux empoigna son bras sans la moindre délicatesse et le tira à l'extérieur de la pièce. Ils empruntèrent ainsi un escalier et les jambes endormies du prisonnier heurta à plusieurs reprises les marches, manquant de s'écrouler dans la poussière.

—Traîne pas !

—Allez, avance !

Les dents serrées, Draco obéit. Il traversa une salle à manger déserte mais de laquelle s'émanait une odeur réconfortante de beurre et de sucre. Il s'accrochait à ses sens, à chaque sensation comme si celles-ci étaient destinées à être les dernières qui parcouraient jamais son corps. Un frisson l'ébranla alors qu'il franchissait un nouvel escalier, la gorge nouée par une terreur vivace. Son visage d'ordinaire parfaitement impassible trahissait désormais cette émotion qui s'écoulait en lui tel un venin.

Ils traversèrent un couloir étroit et, au fond de celui-ci, le blond aperçut une porte. Un éclair de compréhension accompagna une volonté féroce de survivre. Cela n'avait plus rien de rationnel, plus rien d'humain, et il se mit à se débattre. La poigne des deux hommes ne flancha pas et il eut beau forcer les muscles, rien n'y fit.

On ouvrit la porte et Draco vit, au centre de la pièce, une chaise à côté de laquelle se tenait un autre homme au visage fermé. Une plainte échappa au prisonnier. La torture. Pouvait-il en être autrement ? Avait-il vraiment espéré y échapper ? Parviendrait-il à résister à la douleur ? Aux limites du corps humain et peut-être même au-delà ? Il en vint à haïr cette guerre, plus fort que jamais jusqu'alors. Quelle misérable invention de l'Homme, quelle déplorable folie !

Le cœur au bord des lèvres, le jeune homme cessa de se débattre. À l'instant où il franchit le pas de la porte, un souffle lui échappa :

—Pitié...

Il sut par avance que ces hommes n'en auraient pas la moindre à son égard. 

Draco entre mains ennemies et dans une délicate situation.  

Qu'imaginez-vous pour la suite ? Un sauvetage inespéré de la part d'Harry ? Une tentative d'évasion désespéré de la part de Draco ?

J'espère que la tournure que prend cette histoire est à la hauteur de vos attentes <3

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