14.2

Strasbourg, 19 août 1940.

Le soleil se levait seulement, teintant de ses premières lueurs toutes les facettes de l'azur. L'obscurité laissait place aux faibles couleurs de l'aurore. Un spectacle émouvant dont peu de privilégiés avaient la chance d'être les témoins. Les rouages du temps se mettaient en place, à l'image d'une mécanique splendide, abandonnant la noirceur nocturne pour les nuances blafardes et pastelles de l'aube.

Harry était des seuls à se tenir ainsi, éveillé, en une heure si matinale. Hermione dormait encore sur ses deux oreilles de l'autre côté de la ville, bien au chaud entre ses draps blancs. Blaise aussi se reposait, profitant du silence parfait que la nuit emporterait avec elle. Tous étaient inquiets, Draco avait deux jours de retard. Deux longues journées sans la moindre trace de nouvelles. Lui était-il arrivé malheur ?

Harry luttait contre le sommeil, la fatigue des derniers jours guettant le moindre signe de faiblesse de sa part. Il mourait d'envie de rentrer se coucher, de laisser son corps glisser sur le matelas et fermer les yeux pour s'abandonner au néant, sans même frémir. Deux coups portés sur la porte le tirèrent de ces douces pensées et il se déplaça jusqu'à la porte, espérant voir se dessiner la silhouette de son amie sur le seuil. Il déverrouilla la porte d'un mouvement, tentant de paraître moins épuisé qu'il n'en avait l'air. Il ne parvint néanmoins pas à masquer sa déception en découvrant l'identité de ses visiteurs matinaux.

Luna se tenait sur le pallier, un sourire flottant sur ses lèvres rosées. Plongée dans la contemplation des quelques plantes qui bordaient les murs de la modeste demeure, elle ne remarqua même pas le regard étonné de son vis-à-vis.

—Luna ?

—Oh, bonjour Harry Potter, le salua-t-elle, coulant sur lui un regard pur, rêveur et immense.

Un court instant succéda ces paroles. Le juif dévisagea l'homme qui se tenait légèrement en retrait. Il arborait une couleur de peau presque similaire au blessé qui se reposait quelques mètres plus loin. Une lueur d'intelligence brillait dans ses yeux, contrastant avec ses traits durs qui, à eux seuls, l'auraient rendu peu avenant. Il accorda un sourire poli à l'égard d'Harry qui le lui rendit de bonne grâce.

—Qu'est-ce qui vous amène ? Il y a un problème avec le Chicaneur ?

—Non, aucun, répondit-elle.

—Alors que se passe-t-il ? Ton père est malade ? Il a besoin d'aide, peut-être ?

—Non, il se porte à merveille.

Percevant le point de rupture de la conversation approcher, l'inconnu prit les devants pour annoncer, calmement :

—Je m'appelle Dean Thomas. Nous sommes désolés de vous déranger à une heure aussi... matinale, mais pourrions-nous discuter à l'intérieur ?

—Oh, oui. Entrez, je vous en prie.

Harry avait immédiatement compris le message. Le sujet ne pouvait pas être évoqué ainsi, en pleine rue. En ces temps de guerre, il n'était pas bon de faire confiance à n'importe qui, les dénonciations étaient déjà monnaie courante et les oreilles traînaient là où l'on s'y attendait le moins. Ce fut donc de bonne grâce que le Français obtempéra et mena ses invités dans le salon, veillant à refermer la porte menant à la chambre de Blaise pour ne pas le déranger.

Ils s'installèrent autour d'une table, la mine grave de Dean contrastant avec l'air perpétuellement léger, presque mutin, de Luna. Dans l'optique de reprendre la conversation tout en conservant un semblant de politesse, Harry proposa :

—Vous voulez quelque chose ? Un café peut-être ?

Ils refusèrent tous deux et ce fut au tour de la jeune femme de s'exprimer, peinant malgré tout à ne pas s'égarer dans ses propos :

—Il est un peu tôt, mais j'ai pensé que tu voudrais être au courant avant que les journaux ne s'en mêlent. Mon père ne sait pas encore s'ils vont en faire une affaire publique et moi, je ne sais pas vraiment non plus. Tu peux évidemment compter sur le Chicaneur pour publier un article là-dessus, mais...

—Luna, est-ce que tu peux me dire clairement ce qu'il se passe ? finit par s'impatienter le juif, taisant tant bien que mal l'angoisse qui l'étouffait.

—Ce qu'elle essaie de dire, c'est qu'un train a déraillé avant son arrivée en gare à Strasbourg hier, dans le milieu de journée.

Harry resta sans voix. Il se doutait par avance qu'il ne s'agissait pas d'un simple accident, que les raisons ne se limitaient pas une simple erreur ou à un tour du destin. Il avait peur de comprendre, que son esprit ne l'emmène trop vite à la déduction suivante, celle qui s'imposait mais qui l'effrayait au-delà des mots.

—Ce n'est pas un simple accident, n'est-ce pas ? s'enquit-il, bien que certain de la réponse.

—Non, des explosifs ont détruit les rails. Des résistants de la première heure dont tu fais apparemment parti.

—Je ne fais que vendre quelques journaux, protesta Harry.

Dean eut un hochement de tête indulgent. Si seulement d'autres comme lui acceptaient modestement ces tâches à forts risques. Le jeune homme qui se tenait face à lui avait son âge et il lui portait déjà une grande sympathie, de celles, inexplicables, exacerbées par un visage ou par une première impression.

—Nous avons sous la main des Allemands.

—Vous avez fait des otages ? s'insurgea Harry, comprenant que cet homme était directement impliqué.

—Plus des prisonniers, mais qu'importe le nom. Des fils à papa, de bourgeoises allemandes et même un soldat de la SS. On en a cinq, l'un d'entre eux n'a pas supporté le choc, c'est une bonne pêche.

Harry ne pouvait que difficilement haïr son homologue pour ses paroles. Après tout, il pouvait aisément imaginer la souffrance que les Allemands pouvaient infliger à un homme tel que lui. Le racisme nazi n'était un secret pour personne, et il pouvait sans mal imaginer la rancune que nourrissait ce garçon. En réalité, il la partageait.

—Ce train, d'où venait-il ?

—Munich, dit Luna, se balançant sur sa chaise de droite à gauche.

Oui, il la partageait mais quelque chose influençait son jugement. Un élément inattendu qui, à présent, hérissait un frisson d'horreur sur l'épiderme d'Harry. Son visage se décomposa sans que personne ne relève le trouble singulier qui le fauchait avec la violence de la marée. Non, faites que cela ne soit pas réel ! Faites que cela soit un mensonge, un affreux cauchemar !

Le Français serra durement les poings, une ombre se déposant sur ses traits, gagnant l'absinthe de son regard pour éveiller une multitude d'émotions exaltées par l'urgence de la situation. La peur suivait le choc, bientôt accompagnée par la panique. Que pouvait-il faire ? Quelle décision s'imposait-il en cet instant ? Devait-il agir seul ou, au contraire, attendre l'avis éclairé d'Hermione et prévenir Blaise, l'un des principaux concernés ?

—Vous comptez en faire quoi, des prisonniers ?

Dean haussa les épaules, se mordit la lèvre inférieure avant de répondre :

—Je n'en sais rien, ça ne tient pas qu'à moi. Certains veulent les descendre tous, d'autres les torturer pour obtenir des réponses.

—Ces idées ne font pas l'unanimité, fit remarquer Luna, de sa voix fluette détonnant avec la gravité du moment.

Harry ne saurait déterminer si de telles perspectives ravissaient son interlocuteur ou si, au contraire, elles le répugnaient. Lui cherchait une solution, la fatigue n'aidant pas au fonctionnement de sa matière grise. Chaque seconde écoulée l'étouffait, raréfiant l'air de la pièce alors qu'il s'imaginait avec horreur Draco entre les mains de résistants qui le haïssaient et bien souvent à raison. Il ne pouvait abandonner cet homme, mais la moindre tentative s'apparenterait à une trahison pour une cause à laquelle il croyait corps et âme. Que faire ?

—Pourquoi être venu m'en parler ? demanda-t-il, d'une voix blanche, sachant pertinemment qu'ils ignoraient tout de la présence de Blaise en ces lieux.

—Je pensais que ça t'intéresserait peut-être, énonça Luna, dardant un regard insistant sur le médecin.

—Nous allions les rejoindre quand Luna m'a fait remarquer qu'un médecin serait plutôt utile. Elle m'a dit que tu étais de confiance, ajouta Dean, avec un grand sérieux.

—Je le suis, assura Harry, fermement.

Il réfléchit rapidement à l'étonnante proposition de ses invités. L'occasion était rêvée tout en se distinguant par son caractère terriblement dangereux. Il se pinça l'arrête du nez, fort de ce dilemme très partagé. Il finit par reprendre, moins assuré qu'il aurait aimé se montrer :

—Hermione s'attend à me trouver ici ...

—Tu peux lui laisser un mot si tu y tiens, répliqua Dean, dont ce genre d'arguments ne semblait pas émouvoir.

—Elle n'approuverait pas tout ça. J'en suis certain.

Luna sembla opiner sans un geste. Hermione témoignait un respect immense à ces braves hommes, mais son esprit vif envisageait trop facilement l'issue de tout cela. La mort, bien souvent. Un jour viendrait où, peut-être, elle parviendrait à fermer les yeux sur cette douloureuse réalité pour l'accepter. Personne ne souhaitait mourir en lâche, encore moins elle qui n'admettait aucune demi-mesure. Harry songea à Ron. Il ne pouvait simplement pas refuser une telle offre, c'était désormais certain.

—Comment saviez-vous que j'étais ici ? interrogea-t-il, encore.

La jeune Alsacienne sourit d'une telle manière que son vis-à-vis frémit. Savait-elle ? Il rejeta loin de lui la perspective que cet endroit soit compromis. Après tout, il appartenait à Draco Malfoy et non à lui. Il se reprit, avant d'annoncer, dans l'atmosphère trop paisible de l'aube, dans les menaces muettes et au rythme des battements furieux de son cœur :

—Je serai des vôtres !

Et voici la deuxième partie du chapitre qui marque un tournant de l'intrigue. Harry ne peut pas lutter contre le besoin de venir en aide à notre pauvre otage. Et c'est évidemment dans notre intérêt, cela promet des scènes difficiles, mais aussi quelques éléments intéressants du point de vu relationnel. Je ne vous en dit pas plus :p

Je vous souhaite une belle semaine à tous <3

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