14.1

Munich, 18 août 1940.

Draco patientait presque sagement dans un wagon de première classe. Le train s'apprêtait à partir, les adieux accomplis, arrachant les amoureux à leurs étreintes enflammées. Cette idée manqua de voler un sourire au jeune aristocrate.

L'habitacle ne comptait pas plus d'une demi-douzaine de privilégiés, certainement partis rendre visite à des proches dans la lointaine Alsace. Un silence religieux régnait, entrecoupé par le grondement sourd de la puissante machine. Draco détestait l'engin censé le ramener sain et sauf à Strasbourg, il haïssait ses gémissements bruyants et la fumée étouffante qui s'échappait de son armure de ferraille.

Le départ de son fils unique avait été retardé par Lucius d'une journée, si bien que la journée était déjà bien avancée et que le concerné avait eu bien du mal à masquer son mécontentement. On l'attendait, là-bas, à quelques centaines de kilomètres de là.

Son voisin, plongé dans sa lecture, relevait un regard cerné de lunettes rondes sur lui. Des lunettes qui lui rappelaient étrangement quelqu'un, un homme dont il ne savait que penser et qu'il s'apprêtait à retrouver. La ressemblance s'arrêtait là. Bien que cachée derrière l'imposant journal, la silhouette rebondie de l'homme s'imposait, tout comme la petite moustache ourlant des lèvres trop fines. Draco mit fin à sa contemplation, résigné à se complaire dans son ennui.

Le paysage défilait sous les yeux de l'Allemand alors qu'une heure venait de s'écouler. Il quittait une nouvelle fois le berceau de son enfance et tout ce qui pouvait s'y apparenter, de près ou de loin. Malgré cela, il ne ressentait pas le chagrin de son premier exil forcé, seulement un trouble indescriptible. Un mélange de peine légère et de soulagement certain. Alors que le blond se plongeait corps et âme dans ces misérables réflexions, une voix faussement enjouée le héla :

—Vous êtes en route pour rendre visite à votre fiancée ?

Draco haussa sensiblement le sourcil, offrant un regard hautain à la créature osant s'adresser à lui de la sorte. Il faillit ne lui apporter aucune réponse, mais se ravisa. Ses vêtements impeccables et sa manière d'observer par la fenêtre du train avaient dû trahir l'attitude d'un amoureux impatient et transi d'amour. C'en était risible !

—Non, je viens de la quitter, le corrigea-t-il, de son éternel voix traînante.

—Les adieux sont toujours une chose difficile... compatit l'autre, un sourire jovial dévorant son visage joufflu.

Cela n'avait pas été le cas. Sa mère lui avait donné une brève étreinte, rien de plus que les convenances l'exigeaient. Ses yeux humides trahissaient sa tristesse maternelle, contredisant subtilement ses traits froids et presque sévères.

Pansy, quant à elle, avait laissé éclater son déchirement au grand jour. Pendue au cou de son fiancé, elle lui avait fait promettre de revenir à la première occasion et la prévenir dès lors. La gorge nouée par l'émotion, elle avait serré contre elle un homme rendu mal à l'aise par cette exposition publique d'affection. Il avait répondu poliment à toutes ses requêtes, cherchant à s'échapper des bras inquisiteurs de la jeune femme. Sa montée dans le train, après un baiser fiévreux, l'avait soulagé d'un lourd poids. Alors que l'on agitait son mouchoir à son départ, il fermait les yeux et s'imaginait loin. Très loin.

—Vous travaillez pour le Reich ? s'enquit encore le plus âgé, instamment.

—Nous travaillons tous pour le Reich, rectifia Draco, sans égard pour l'uniforme qui le trahissait.

Surpris par une émotion sourde, celle de retirer ces vêtements qui auraient dû faire sa fierté. Les événements qui avaient failli coûté la vie à son meilleur ami ne parvenaient pas à sortir de sa mémoire. Tout comme les paroles enflammées d'un certain Harry Potter, écrasantes de vérités imprononçables. Quelle était la nature du trouble qui l'envahissait si vivement ?

—Mais vous avez raison, mon père m'a poussé à travailler en Alsace.

—C'est une opportunité pour vous, pour prouver votre valeur, opina énergiquement le quadragénaire.

Une opportunité... Voilà tout ce que son père avait pu voir en son fils unique ? L'avait-il poussé à se rendre à Strasbourg dans cette seule optique ? Pourquoi l'impression qui le submergeait était celle d'un poignard que l'on plongerait en direction de son cœur ? Lucius savait-il seulement que son enfant était sur le point de lâcher prise ? D'oublier les leçons que le cœur ne saurait accepter ?

—Moi, je prends quelques vacances. Les temps sont calmes, les Français ne renchériront pas avant un moment. Il faut dire qu'après leur défaite, ils ne peuvent pas faire autrement. Nous sommes débarrassés d'eux pour quelques mois et ensuite, ils se feront bien à l'idée. Vous n'êtes pas d'accord ?

—Oui, vous avez raison, acquiesça mollement Draco, conscient que l'homme souhaitait seulement s'attirer ses faveurs.

Il monologua ainsi durant de longues minutes sur son parcours, sur l'entreprise qu'il dirigeait depuis le décès de son père. Son homologue faillit le couper pour lui glisser une sage parole : il fallait toujours se méfier d'une eau trop calme. L'onde ne tarderait pas à perturber la surface parfaitement lisse, emportant l'illusion avec elle.

—Si mon vieux père avait pu voir ça ! Il en rêvait de tout ça après la grande guerre, il aurait donné sa main pour nous voir marcher sur la France !

—Mon père a eu la chance de le voir de ses yeux, articula Draco, sa langue buttant sur chaque mot comme si ils consistaient un aberrant mensonge.

La conversation sembla destinée à s'arrêter ici, comme située à son point de rupture. L'inconnu, secrètement mis mal à l'aise par la froideur de son interlocuteur, se rabattit sur sa prochaine proie :

—Et vous, qu'est-ce qui vous amène en Alsace ?

La jeune femme fut décontenancée par cette entrée en matière peu accrocheuse. Ses mains sagement posées devant elle, tout en son comportement révélait son statut de haut rang. Tout, jusqu'à sa coiffure impeccable et compliquée où s'entortillaient des mèches blondes comme les blés. Elle déposa un regard neutre sur Draco, mais s'attarda trop pour que cette simple œillade soit totalement désintéressée. Elle répondit, d'une voix claire et mesurée :

—Je m'en vais rejoindre mon fiancé à Strasbourg.

—Ah, vous voyez ! s'écria-t-il, à l'égard de l'aristocrate. J'en étais sûr ! Félicitations, mademoiselle !

—Je vous en remercie, vous êtes bien aimable.

Et les discours reprirent de plus belle. L'inconnu s'acharna à entretenir une conversation alors que son interlocutrice se contentait de réponses évasives. Heureuse de revoir son fiancé qui était parti depuis de longs mois, elle brûlait de retrouvailles tant espérées. L'homme en question avait profité d'une opportunité alléchante pour plier bagages, au grand dam de sa future épouse. Une situation complexe à faire larmoyer n'importe qui et sur laquelle son aîné se lamenta sans avoir l'air d'exagérer les circonstances. Pauvres jeunes gens !

—Si vous saviez à quel point ces mois ont été longs ! s'exclama-t-elle, ayant fait fi de toute retenue dès lors que l'on avait plaint son aimable personne.

—Je n'ose imaginer à quel point tout ceci doit être affreux à vivre pour une jeune femme telle que vous.

—Oui, affreux ! C'est bien cela, bien au-delà du supportable ! Il me faut attendre jour et nuit l'une de ses lettres et espérer qu'il m'envoie le billet pour venir jusqu'à lui. J'en perds le sommeil !

Draco lutta pour ne pas lever les yeux au ciel. Pourquoi s'infliger de telles inepties ? Il n'était pas de ceux à se pâmer quoi que ce soit, encore moins d'une telle sorte. Il replongea dans ses pensées, ne prêtant plus oreilles aux jérémiades de ses voisins. Ceux qui voyaient en la guerre une opportunité florissante d'amasser un grand nombre d'argent, voire de se faire un nom ne cessaient jamais de se plaindre, de crier à l'injustice. Le ridicule de tout ceci lui aurait presque donné matière à rire.

Soudain, alors qu'ils approchaient à pleine vitesse de ce qui avait, pendant longtemps, été la frontière française, le train ralentit son allure. Doucement d'abord, de sorte à ce que seule l'attention assidue de Draco ne le ressente. Puis, une secousse ébranla le wagon tout entier avant qu'un freinage particulièrement brutal n'ait lieu. Le cœur de l'Allemand bondit dans sa poitrine alors qu'il absorbait tant bien que mal la secousse. Alors que de multiples interrogations jaillissaient de son esprit, des voix s'élevèrent, dans un excès violent de panique :

—Qu'est-ce que c'est ?

—Un animal sur la voie ?

—Mais que se passe-t-il enfin ?

Les prochaines exclamations de mécontentement n'eurent pas le loisir de se déchaîner. Tout le train subit un choc colossal qui propulsa les corps contre sa surface dure, étouffant les cris et les plaintes de ses occupants. 


Pas de jour férié pour moi, voici donc le chapitre du jour !

J'ai adoré l'écrire, réellement. Le fait de présenter les pensées de ceux qui nous souffrent pas de la guerre, ou pas autant que les autres. Et même ceux qui profitent du malheur du reste de la population. C'était quelque chose de réel, et ça m'a semblé très fort à exprimer. J'avais hâte d'en arriver là pour le présenter et je suis impatiente d'avoir vos avis dessus :3

L'histoire prend une toute nouvelle tournure et j'ose espérer qu'elle saura vous convaincre. 

Je vous dis à la semaine prochaine <3


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