13.2

Strasbourg, 16 août 1940.

La journée touchait à sa fin et Hermione rangeait soigneusement chacune de ses affaires. Les quelques heures qu'elle venait de passer à surveiller son patient avaient été d'un calme plat, mais reposant. Cela la rassurait dans un sens, alors qu'autrefois elle aurait haï cette douce accalmie. Aujourd'hui, elle lui permettait d'espérer en silence, de prier pour que tout rentre dans l'ordre avant qu'ils n'y laissent leur peau.

Blaise Zabini se portait mieux, bien mieux qu'à son arrivée. L'hémorragie interne avait été maîtrisée et les os brisés commençaient à se ressouder. Le processus serait long encore malgré toute la bonne volonté du blessé qui espérait se revoir sur pied le plus rapidement possible. Il cachait habilement la souffrance qu'il traversait par un sourire ravageur, mais les deux médecins voyaient les grimaces qu'il ravalait à chaque inspiration trop forte ou à chaque quinte de toux. Une douleur aiguë qu'une fierté purement masculine rendait honteuse.

Harry pénétra dans l'antre, sur son front perlant de grosses gouttes de sueur. Il passa une main dans ses cheveux humides, interceptant le sourire narquois de son amie. Il crut bon de se justifier :

—La chaleur dehors est épouvantable !

En réalité, ces températures restaient élevées même à l'intérieur et tout le monde vivait dans une éternelle économie de mouvement, limitant les efforts inutiles. Chaque geste était synonyme d'inconfort, encore davantage lorsque l'on était convalescent.

—Tu vas pouvoir profiter de la fraîcheur cette nuit, ne pense pas une seule seconde à te plaindre, rétorqua Hermione, menaçant son homologue à l'aide du torchon qu'elle pliait plus tôt.

—Très bien, je ne me plains pas. La journée était si longue ?

—Pas tant que ça, j'exagère un peu. Il a insisté plusieurs fois pour se lever et faire quelques pas.

—Et tu songes très sérieusement à l'attacher à son lit ? s'enquit Harry, un sourire en coin sur les lèvres.

Elle rit légèrement, rassemblant le reste de ses affaires. L'attacher au lit ? Elle préférait ne pas songer au sens caché de cette drôle d'expression. Il n'y avait que le Français pour imaginer une telle répartie sans la moindre pensée à son égard. Ses joues rosirent alors qu'elle s'apprêtait à quitter les lieux, sans rancune.

—Je ne pense pas qu'il apprécierait que je l'attache au lit. N'y pense pas, Malfoy te tuerait.

—Malfoy n'est pas là, la contredit le juif, une sorte d'amertume servant d'inflexion à sa voix.

Hermione secoua la tête de droit à gauche, ses boucles brunes absorbant le mouvement docilement. Ce garçon était impayable, quoi que l'on lui dise. Elle lui lança encore, en guise de salut :

—Tu ferais bien d'oublier cette idée, Harry. Et ne t'endors pas cette fois !

—Hé ! Pourquoi je m'endormirais ?

—Tu n'avais aucune raison la dernière fois !

Et elle disparut. La nuit serait longue et il fallait se montrer discret, les rideaux et les volets rabattus pour que personne ne voie la lumière qui baignait les lieux. Des précautions que les deux médecins suivaient scrupuleusement jour après jour.

Il entra dans la chambre du métis qui observait droit devant lui, bien éveillé. Il n'était pas un patient particulièrement difficile, mais avait la fâcheuse manie de souhaiter se remettre plus vite que son corps le lui autorisait. Une volonté salutaire qui allait à l'encontre des possibilités humaines.

—Déjà réveillé ? Tu te sens mieux ? l'apostropha Harry, s'approchant de l'alité.

—Bien, je vais bien, assura le métis. Même si...

—Même si tu t'ennuies comme un rat mort ?

Blaise sourit, son sourire éclatant dévorant son visage sombre. Son médecin avait vu juste, l'ennui était rapidement devenu son pire ennemi en ces lieux. Un prédateur qui avait fondu sur sa proie et ne se décidait plus à la relâcher. Son corps s'échappait de sous les draps immaculés, marquant un contraste étonnant. Harry s'assit sur la petite chaise, s'emparant du bras blessé du jeune homme avec un sérieux professionnel.

—C'est de moins en moins douloureux.

—Le pire est passé maintenant, acquiesça son interlocuteur.

Alors qu'un silence s'installait lentement, comme un être fraîchement arrivé qui observerait son territoire et les dégâts qu'il pourrait y faire, Blaise articula :

—Draco a appelé.

—Quand ? Maintenant ?

—Non, ce matin.

Harry dévisagea son vis-à-vis, les yeux ronds. L'incompréhension le prit de court et l'empêcha de formuler la moindre parole pendant de longues minutes. Pourquoi cela ? Pourquoi n'avoir rien dit ? Il parvint enfin à interroger son patient, d'une voix mal assurée :

—Hermione le sait déjà ? Elle ne m'a rien dit pourtant.

—Non, je ne lui ai rien dit, avoua Blaise, son regard noisette fuyant momentanément celui du Français.

—Pourquoi ça ?

—Je ne voulais pas l'inquiéter.

Ainsi voulait-il la préserver de la vérité. Elle aurait haï une telle attention plus que tout et le métis en avait bien conscience. Il avait honte de ce comportement puéril qu'Hermione aurait tout le loisir de lui reprocher. Harry se retint de le lui faire remarquer, pousser par une curiosité dévorante :

—J'imagine que c'est grave si tu as préféré ne rien dire à Mione. Qu'est-ce qui se passe exactement ?

Blaise se rembrunit, sa main valide se crispant sur le drap alors qu'il cherchait en vain les mots justes. Il humecta ses lèvres trop sèches, tenta d'oublier cette chaleur étouffante, mais n'eut pas le privilège de répondre. Le médecin poursuivait déjà, son imagination nourrie par ce court silence :

—Draco a des soucis ? Ou...

—Non, Draco va bien. Il revient demain dans la journée.

—Oh, opina Harry, sans savoir si cette nouvelle le réjouissait ou le répugnait.

Le blessé se lança alors dans son sombre récit. Il conta avec précision les paroles effarantes de son ami d'enfance. Les Alsaciens ne présentant pas un enthousiasme convaincant à leur annexion seraient expulsés de leur région natale. Le nombre de juifs qualifiés de disparus se voyait également être exorbitant, bien au-delà de ce que Draco avait pu avoir connaissance jusqu'ici. Les mesures déjà prises ne pouvaient que se raffermir et ces sombres prévisions tendaient à devenir réalité. C'était ce que les décisions prononcées laissaient présager, un avenir plus sombre que tout ce qu'ils avaient pu envisager de pire.

Harry n'eut ni le culot ni le courage d'interrompre le métis. Il nageait en plein cauchemar, priant pour que rien de tout cela ne soit réel. Survivre dans un tel climat relevait de l'exploit et on s'apprêtait à leur rendre la tâche plus pénible encore. Pour la première fois, et sans raison exacte, il envisagea sa mort potentielle. Le régime nazi aurait peut-être raison de lui un jour, un jour où il en aurait assez de lutter.

—Je... Je n'arrive pas à y croire... C'est... C'est tellement...abject !

Ces nouvelles effaçaient le peu d'espoir qu'il avait réussi à rassembler. Les expulsions s'ajoutaient aux menaces et aux coups bien connus des Alsaciens. Des actes répugnants que les Allemands s'acharnaient à effectuer, œuvrant dans l'ombre comme en pleine lumière.

—Tu sais ce que ça signifie, n'est-ce pas ? demanda Blaise, un air désolé inscrit sur son visage fatigué.

—Oui.

Oui, il comprenait tout à fait. Les nazis se plaisaient à rendre leur existence toujours plus pénible. Jusqu'où cette folie allait-elle les emmener ? Le pire était encore loin d'être atteint et Harry réalisait qu'il s'était allié à deux des leurs. Pourquoi n'y avait-il aucun regret ?

—Oui, et nous devrons bien faire avec !


De mauvaises nouvelles pour Harry et pour bien des Alsaciens. 

Blaise se charge de lui transmettre l'information et elle n'est pas agréable à entendre. Il semblerait que l'avenir s'assombrisse encore davantage. 

Le prochain chapitre signe le retour de Draco. La première partie est l'une de mes préférées, pour son ambiance notamment. Je ne vous en dis pas plus :3

Bonne semaine à tous ceux qui ont repris les cours (et aux autres, évidemment :p)

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