13.1

Munich, 16 août 1940.

Draco tournait comme un lion en cage. La ville de son enfance, celle qu'il avait tellement enviée durant son exil forcé, l'étouffait dans ses tumultes purulents.

Seule la présence de sa mère l'empêchait de rejoindre Strasbourg sur le champ, de fuir lâchement l'ombre oppressante de son paternel. Narcissa remarquait sans peine les tourments de son fils, les apaisant de son mieux au milieu de cette atmosphère irrespirable. La chaleur rendait les corps moites, alourdissait les membres et endolorissait les esprits jusqu'à les rendre inertes. Tout cela dans une effervescence presque outrageante.

L'après-midi touchait à sa fin et la température tendait à chuter, paresseusement. Draco profitait d'un moment rien qu'à lui, libéré des réunions imposées par son père par cette heure tardive. Un journal entre les mains, il se délectait des derniers rayons du jour alors qu'un crépuscule sanglant s'apprêtait à transfigurer le ciel en traînées vermeilles.

Tout était calme, tranquille. Il entendait à peine les bruits de la ville qui vit ses dernières heures. Cette idée traversa son esprit avant de disparaître dans les dernières nouvelles du pays. Les caractères en gras servant de titre et illustraient de nombreux articles. L'aristocrate lisait tout ceci rapidement, captant les termes importants tout en faisant abstraction du reste. Il avait appelé Blaise le matin même, lui exposant sa situation et la leur, insistant sur le danger qui planait sur leurs vies. Il ignorait si son ami avait déjà touché un mot à ses sauveurs et, à vrai dire, il aurait préféré s'en moquer.

—Draco ?

L'interpellé reconnut immédiatement la voix féminine et cette manière particulière de prononcer son prénom. Il se tira de sa lecture à regrets pour cueillir l'instant où Pansy Parkinson se détacha des plantes colorées de la roseraie.

—Pansy, déclara le blond, ne sachant pas si cette visite le ravissait ou, au contraire, l'ennuyait profondément.

—Tu as l'air fatigué, constata-t-elle, avec une retenue dont il ne l'avait jamais vue pourvue.

Elle était vêtue selon la mode de l'époque, d'une robe luxueuse et de couleur vive, ses cheveux lâchés étaient courts et foncés, ils narguaient ses épaules découvertes. Des pommettes hautes surplombaient un nez retroussé et soulignaient des yeux sombres. Elle s'était toujours montrée excessive dans son comportement envers son fiancé et celui-ci avait fini par s'y habituer.

—C'est si horrible que ce que l'on raconte, là-bas.

—Sans doute moins que l'on essaie de le faire croire, la contredit Draco, avec un recul surprenant.

Pansy sourit tandis que son homologue déposait le journal ouvert sur la petite table. Le silence qui les séparait avait tout pour les étonner, jamais il n'y avait eu pareille gêne entre eux.

—J'ignorais ta venue. Je suis surpris de te voir.

—Je viens seulement d'apprendre ton retour. J'imagine que tu ne vas pas rester bien longtemps, ajouta la jeune femme, d'un air peiné.

—Non, je devrais repartir d'ici un jour ou deux, selon l'humeur de mon père.

Pansy eut un sourire indulgent avant de s'asseoir aux côtés de l'homme. Le dévorant d'un regard impudique, tentant vraisemblablement de contenir certaines de ses ardeurs. Elle chercha ses mots un court instant avant d'annoncer, gravement :

—J'ai appris ce qui est arrivé à Blaise. C'est terrible...

—Oui, vraiment terrible... renchérit-il, d'une voix éteinte.

Elle ne savait pas que leur ami commun s'était vu transféré en Alsace dans le plus grand des secrets et sous l'ordre de Narcissa. Elle pensait, comme tous les autres, que Blaise se trouvait toujours ici, à Munich et que personne n'osait lui rendre visite. Un si beau mensonge.

—Tu n'es pas venu le voir une seule fois, n'est-ce pas ? s'enquit Draco, regrettant immédiatement ses paroles.

—N-Non, je n'en ai pas vraiment eu le temps. Je pense beaucoup à lui, j'espère qu'il s'en sortira.

—Les espoirs sont minces.

L'aristocrate endossait un rôle à la perfection, proliférant un mensonge qui n'éveilla pas une once de culpabilité en lui. Il éteignait les soupçons avec une facilité déconcertante. Un jour viendrait où Blaise Zabini serait mort aux yeux de tous. Sa disparition n'avait pas dû faire d'écho, quelle importance avait un homme dont la peau imitait la couleur du cuir ? Personne ne s'était posé de question et la nouvelle de son malheureux décès parviendrait bientôt aux oreilles des intéressés.

—Et toi, raconte-moi comment est la vie ? Morne ? Fade ?

L'égocentrisme de son fiancé sembla rassurer l'Allemande qui sourit avant de se lancer dans le récit haletant de ses aventures. Celles-ci se résumèrent à quelques sorties entre amies, à des invitations officielles qui faisaient rosir Pansy de plaisir et autres futilités qui obnubilaient tant les jeunes gens bien nés.

Draco prêta une oreille distraite à toutes ces inepties. Il se fichait pas mal de tout cela, de la liste d'activités récapitulées par celle qui était destinée à devenir sa femme. Pourtant, forcé de faire bonne figure, il la laissa conter ses exploits. Savait-elle que, à quelques centaines de kilomètres, la guerre emportait des centaines et des centaines de vies ? Que les soldats qui mouraient au front n'avaient que faire de la couleur d'une robe ou du battement coquet des cils ? Que le monde était plongé dans les mois les plus sombres de son Histoire ?

Non, ces personnes avaient été épargnées par le récit épouvantable de toutes ces horreurs. Ils préféraient vivre sans savoir, prétextant que cela ne les atteignait pas directement et qu'ils préféraient ne pas en entendre parler. La solution de facilité, voilà leur plus grand privilège.

Et, doucement, au détour d'une pensée, Draco réalisa qu'il avait fait partie de ceux qu'il blâmait aujourd'hui. Malgré son statut, il n'avait pu s'empêcher de se sentir invulnérable, protégé par le Führer et même par la fortune de son père. Son départ pour l'Alsace avait signé sa première déchéance, son retour brutal à la réalité. Cela fut douloureux, presque insoutenable et cela ne faisait que commencer. L'Allemand entrevoyait les difficultés qui l'attendaient encore, comme un clin d'œil du destin. Harry Potter, Hermione Granger, Blaise Zabini, tant de personnalités qui ne le quitteraient pas et qui forgeraient son âme. Un esprit qui avait cessé de lui appartenir le jour où son paternel avait prêté allégeance à Hitler.

—Draco, tu m'écoutes ?

—Bien sûr, assura le blond, persuasif dans son piètre mensonge.

—Tu as l'air un peu ailleurs, releva Pansy, penchant la tête sur le côté pour mieux le dévisager.

—Ce doit être la fatigue.

Une excuse que la jeune femme avala sans égard. Était-elle naïve ou rendue aveugle par les sentiments brûlants qu'elle nourrissait pour son fiancé ? Ce dernier savait qu'il avait en face de lui une femme qu'il valait mieux duper avec de grands mots, elle qui ne supporterait pas de se voir ignorer d'une quelconque manière.

—Tu dois beaucoup travailler, reprit Pansy, souriant avec une empathie bien marquée. Tu sais, mes amies sont impressionnées lorsque je leur dis que mon fiancé travaille en Alsace. Tu es une sorte de héros pour elles, et pour moi. Un véritable héros !

Draco accepta le compliment avec plaisir, celui-ci gonflant son estime déjà excessivement grande. Un héros... Un héros du quotidien, il y aurait cru quelques mois plus tôt. Il aurait endossé ce rôle sans rougir, sans même songer au sens du terme avec lequel on le qualifiait. Mais aujourd'hui, il réalisait qu'un héros pouvait être pour certains celui qui tuait sans vergogne, qui frappait des hommes sans défense. Un héros... Qu'est-ce qu'un héros aux yeux du monde ?

Les doigts fins de Pansy caressaient la peau pâle de son bras et ce contact le reconnecta avec cette étouffante réalité. Elle faisait balader ses ongles longs sur son épiderme, l'observant sous ses cils recourbés de son regard fiévreux. Draco aligna quelques paroles, dépeignant grossièrement le travail qu'il accomplissait. Tantôt des dossiers à remplir, tantôt des courageux à briser avec l'aide de quelques brutes sans remords. La jeune aristocrate buvait ses paroles avidement et se rapprocha lentement de l'homme qui s'adressait à elle.

—Ce doit être éprouvant... commenta-t-elle, dans un hochement de tête éperdu.

—Ça l'est.

—Quand auras-tu droit à des vacances ? Je veux dire... sais-tu quand tu reviendras ?

Le blond déglutit difficilement. Il n'en avait pas la moindre idée et ne songeait plus qu'à rejoindre Blaise, assurant sa protection comme il se le devait. Pansy l'indifférait presque totalement, elle qui n'avait jamais su accepter totalement la couleur de peau de leur ami commun. Elle qui ne rêvait que du mari parfait, qu'elle présenterait fièrement à ses parents et à ses amies. Une simplicité de l'existence que son fiancé enviait désormais.

—Je n'en ai pas la moindre idée. Bientôt, j'imagine.

Elle mourait d'envie de le lui faire promettre, de le pousser à le jurer sur son honneur de Malfoy. Son emportement naturel la poussait à le faire, mais elle se retint de justesse. Elle aurait encore le temps de le supplier de l'appeler vite et régulièrement, de lui donner de ses nouvelles. Elle inspirait la douce flagrance du bonheur, éphémère et délicieuse.

—Tu es forcé de partir ?

—Tu le sais bien, répondit l'autre, avec raideur.

Alors, dans les premières lueurs vives du crépuscule, dans un geste douloureux, Pansy ravit les lèvres de son fiancé. Elle l'embrassa comme elle l'avait déjà fait par le passé, avec une sensualité étudiée et une envie renouvelée. Elle ne sentit pas que le cœur de cet homme échappait à son emprise, ne laissant qu'indifférence dans cette étreinte qu'il ne désirait pas. La souffrance et le doute s'alliaient à la mélancolie pour couler sur les lèvres offertes de Draco. 

Et je vous présente Pansy !

Il était question de son personnage plus tôt, mais la voici. Ravie de retrouver son fiancé, une joie que ce dernier ne semble pas partager. 

Dans la prochaine partie, retour à Strasbourg. Je vous présente Harry et Blaise dans une conversation des plus sérieuses. La guerre n'a pas cessé malgré l'absence de Draco. 

Je vous embrasse <3

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