11.2
Le Français avait conscience de franchir des limites, encore des nouvelles qui entamaient la patience de son homologue et permettaient la construction de liens amicaux qu'ils se refusaient tous deux à envisager. Un secret qui se creusait dans un silence douloureux, une volonté interdite que la conscience écrasait sans égard pour le cœur qui protestait sans voix.
—Qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Tout le monde se fichera de son existence comme ça a toujours été le cas. Seul le nom de mon père comptait et maintenant, plus rien ne pourra le protéger. Alors que veux-tu que je fasse, Potter ? Je ne peux rien y faire à part espérer qu'il vive !
Harry resta muet, soufflé par la force désespérée qui animait les paroles de son interlocuteur. Ce dernier s'était retourné avec violence, défiant son cadet de dires qui éraflaient sa bouche délicate. Ses yeux lançaient la foudre et elle manqua de faucher la bonne volonté du garçon.
—Je souhaite qu'il survive, rien de plus ! Le reste n'a aucune importance, j'aurai tout le temps d'y penser plus tard.
—Votre père ne peut pas demander à...
—Mon père lui a trouvé un médecin qui a bien failli le laisser mourir. Bon sang, que veux-tu que je lui demande ? Il estime certainement en avoir fait assez pour lui, qu'il salit la famille Malfoy et que le Führer ne l'accepterait pas. Que veux-tu que j'y fasse ?
La mention du dictateur à la tête de l'Allemagne tira un frisson d'horreur et de dégoût à Harry qui se rembrunit considérablement. Il ravala une réflexion qui lui mordit les lèvres, forçant le passage avant d'y mourir. Le moment n'était pas propice et il ne s'y risquerait pas. Il pouvait sentir la fébrilité qui rongeait Draco alors qu'il lisait dans ses yeux une douleur inédite. Celle du cœur laconique et qui pleurait ses larmes vermeille. Il ferma les paupières une fois encore comme pour chasser les sombres pensées qui l'assaillaient. À moins que ce soit la nausée qu'il tentait d'oublier.
Le Français lui-même ne comprenait pas pour quelle raison la pitié s'invitait ainsi en son sein. Ce type méritait-il ces sacrifices ? Le plus jeune n'arrivait pas à se convaincre que non. L'être qui se tenait face à lui était bien fait de chair et de sang et il souffrait dans une plainte quasi muette.
—Vous devriez vous asseoir, l'opération pourrait bien durer plusieurs heures, prétendit-il, avec tout le calme qui lui était permis.
Draco lui offrit un regard voilé par une angoisse terrible. Celle qui circulait dans ses veines jusqu'à sa poitrine où battait frénétiquement son organe vital. Dans sa tête hurlait une voix, elle hurlait à s'en briser les cordes vocales et lui ne parvint plus à jouer les sourdes oreilles. Sans un bruit, il s'effondra sur l'imposant fauteuil qui trônait dans un coin du petit salon.
—Des heures ? reprit-il, avide de détails qu'il aurait pourtant préféré ne pas entendre.
—On ne peut pas savoir à l'avance, exposa Harry, soutenant les orbes atypiques de son vis-à-vis. Ça varie en fonction de beaucoup de choses.
Pendu à ses lèvres, Draco avait vaguement conscience de se montrer parfaitement ridicule. À l'extrême limite du pathétique. Voilà à quoi Draco Malfoy était réduit.
—Il pourrait y avoir des complications, poursuivit le jeune médecin, avec précautions. On ne peut rien prévoir dans ce type d'opération. C'est très délicat.
—Des heures, répéta le blond, sans relever la maladresse évidente de l'autre.
—Je sais que ça peut paraître interminable, mais c'est nécessaire.
Il enfouit son visage entre ses mains. Harry l'observait, se balançant d'un pied à l'autre sans parvenir à camoufler le malaise qui s'éprenait de lui. Que pouvait-il faire pour soulager la douleur de cet homme ? Il avait toujours eu de grandes difficultés à rassurer la famille d'un patient, encore davantage à leur annoncer le décès de celui-ci. Il priait silencieusement pour que la mort l'épargne, qu'elle ne le cueille pas avant l'aube.
Le juif ne put masquer sa surprise lorsque des soubresauts incontrôlables secouèrent les épaules de Draco. Était-il possible ? Il s'approcha pour en avoir le cœur net, une expression déconfite s'invitant sur son visage. Alors que des sanglots muets lui parvenaient comme en écho, il se risqua à articuler :
—Malfoy ?
—La ferme, Potter !
L'intéressé accusa un mouvement de recul, surpris. La virulence de ses propos était celle d'un animal pris au piège, d'un animal cachant sa douleur aux prédateurs. Harry ne comprit pas. Qui était cet homme si ce n'est le prédateur ? Une nouvelle fois, la réponse lui échappa.
Draco pleura longuement, le visage enfoui entre ses longs doigts fins, comme pour masquer son impardonnable faiblesse. Il se haït pour cela, pour laisser libre cours à sa peur et pour s'y abandonner ainsi, à la manière d'un enfant. Que dirait son paternel s'il le voyait dans un tel état ? Personne n'osait imaginer les terribles représailles que cela lui coûteraient.
L'aristocrate s'étouffait lentement, agonisait sans blessure apparente. Ce fut d'une voix étranglée qu'il dit :
—I-Il ne mérite pas de mourir.
Déstabilisé, Harry ne sut quoi faire pour apaiser les sanglots incontrôlables. Il réduisit l'espace qui le séparait de l'âme en peine, pris d'une forte hésitation quant à la réaction de celle-ci. Maladroitement, sa main se perdit sur le dos de Draco qui se tendit à ce contact sans se dérober. Encouragé par cette réponse purement physique, le Français exerça une caresse aérienne et réconfortante.
D'une voix suave, il murmurait des mots sans suite, des paroles dépourvues de sens que l'autre n'entendait qu'à moitié. Jusqu'à ce que le blond ne redresse sur lui un regard baigné de larmes. Le plus jeune crut que son cœur se brisait, que les pleurs qui striaient le beau visage de cet homme ne représentaient rien de plus que les débris fumants de l'humanité.
Un appel à l'aide. Une complainte déchirante. Un hurlement silencieux.
L'instant d'après, Harry retrouva le corps de son ennemi juré, de cet être qu'il aurait dû haïr plutôt que prendre en pitié, entre ses bras. Et il le serra fort contre lui, le nez enfoui dans les mèches blondes qui chatouillaient son visage.
Il chuchotait de nouvelles paroles rassurantes lorsque le silence ne se décidait pas à régner. Le juif pouvait sentir son cœur battre contre le sien, une symphonie assourdissante qu'ils partageaient pudiquement. Draco ne releva rien de blâmable dans sa condition. Absolument rien dans le simple constat qu'il étreignait son interlocuteur avec force, installé sur l'accoudoir du fauteuil où il était lui-même assis.
Il finit par échapper à l'emprise de son cadet, reniflant bruyamment tout en reprenant le semblant de contenance qu'il avait abandonné derrière lui. Il dit, à l'égard d'Harry qui se relevait déjà :
—Si tout cela pouvait rester ici, Potter, ce...
—Ça vous arrangerait ? tonna l'intéressé, étonné de se montrer si furibond.
—Ce serait préférable, rectifia Draco, sans sourciller.
Le Français eut un rire sans joie. Son vis-à-vis se cachait à nouveau derrière le masque qui lui plaisait tant. Cela aurait-il dû l'étonner ? Non, Harry trouva seulement la force de s'en vouloir personnellement. Qu'y avait-il à espérer d'un tel homme ? De la reconnaissance, du respect ? Non, la fierté surplombait le reste tandis que le jeune médecin s'emportait dans un débat puéril et sans fin.
D'un geste rageur, le dos tourné, l'aristocrate sécha les larmes traîtresses. Lui aussi se voyait ronger par une tonnante culpabilité. Il venait de fauter de bien des façons, trahissant son père par ses larmes et ses idéaux par cette longue étreinte.
Une heure s'écoula. Interminable et douloureuse. Les deux hommes eurent tout le loisir d'imaginer l'échec de cette opération désespérée. Draco trembla encore, prêt à chuter une nouvelle fois dans les méandres, elles qui viendraient lui tirer la plus terrible des humiliations. La peur était la plus terrible des douleurs, rongeant la raison pour y laisser des ruines désolées. Dehors, pourtant, la guerre battait son plein. Fallait-il y songer ? Fallait-il en pleurer ?
Une heure et quelques dizaines de minutes, au terme de laquelle Hermione émergea de la pièce close. Le visage fatigué, les traits tirés, elles ne laissaient entrevoir rien de bien réjouissant. Le cœur de l'Allemand manqua un battement avant qu'elle ne daigne le soulager pour de bon. D'une voix lasse mais faiblement heureuse, elle annonça :
—L'opération s'est bien passée. Il est sauf.
Alors, soulagés ?
Blaise est sauf et Draco a... craqué pour de bon. Une démonstration de faiblesse étonnante de sa part et qui pourrait bien servir à construire l'ébauche d'une relation avec Harry.
Le prochain chapitre sera dans un ton légèrement différent, avec une nouvelle qui viendra bouleverser les choses. J'attends cet événement avec impatience pour la simple et bonne raison qu'il va changer le cours de cette histoire :3
Intrigués ?
Une belle semaine à vous <3
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