11.1
Strasbourg, 10 août 1940.
Draco se laissa glisser contre le mur dans un profond soupir. Ses membres tremblaient nerveusement tandis que ses forces l'abandonnaient lentement. Le regard fixé devant lui sans rien y distinguer, il ne remarqua même pas qu'Harry avait disparu. Il se redressa légèrement lorsqu'il réapparut, un morceau de chocolat entre les doigts.
L'Allemand ferma les paupières un court instant, reprenant péniblement le contrôle de son corps. De cette enveloppe corporelle traîtresse qui avait soudain décidé de lui faire défaut. Son visage exprimait son malaise par une pâleur effrayante, presque morbide. Il déglutit péniblement, observant l'autre homme comme une bête curieuse, sans comprendre le fondement de son geste. Le Français se sentit forcé de se justifier, la main ouverte toujours tendue devant lui :
—J'ai trouvé ça dans la cuisine.
Devant le silence dubitatif de Draco, l'autre reprit doucement, comme s'il s'adressait à un enfant :
—C'est du chocolat, ça devrait vous faire du bien.
Un ton professionnel en toutes circonstances. Le blond cessa de lutter contre sa fierté qui lui hurlait à pleins poumons de refuser l'offre pourtant alléchante. Il se saisit d'un morceau de chocolat avant de savourer la saveur sucrée et réconfortante. Une seconde à peine s'écoula avant qu'un profond soulagement s'éprit de lui. Il ferma les yeux de plaisir.
Harry ne fit aucune manière, s'asseyant par terre aux côtés de son vis-à-vis. Il tenait toujours dans le creux de sa main quelques carreaux de la précieuse sucrerie. Presque timidement et après une longue minute, il s'enquit :
—Est-ce que je peux en prendre un morceau ?
L'intéressé opina gravement, fidèle au mutisme alarmant qu'il affichait depuis qu'ils étaient sortis de la pièce principale, abandonnant son meilleur ami aux mains du médecin.
Harry tâcha de ne pas trop angoisser. Il mordit dans la friandise avec joie, dégustant lentement ce petit plaisir simple devenu rare. Depuis combien de temps n'avait-il pas mangé de chocolat ? De longs mois. Son enfance n'avait d'ailleurs pas été propice à ce type de petits bonheurs. Il en gardait un souvenir amer, une pensée fugace qu'il s'efforçait d'obscurcir sitôt l'avait-elle atteint.
Un dur silence les pesait et, à la surprise générale, ce fut Draco qui le brisa, articulant ce simple mot comme une complainte :
—Merci.
—Pourquoi ? Pour le chocolat ? demanda Harry, le regard concentré sur ses doigts.
—Certainement pas pour m'avoir traîné dehors, grommela le plus âgé, de son éternelle voix traînante, un poil méprisante.
—Je n'avais pas le choix. Mione avait raison, ça ne servait à rien de ...
—C'est mon meilleur ami.
Ces quelques mots avaient jailli, coupant court au récit du juif qui lui octroya un regard légèrement étonné. La sécheresse de ses mots n'aurait pourtant pas dû le surprendre après tout, ne devrait-il pas s'y sentir habitué ? Il s'était maintes et maintes fois interrogé sur son choix. Au fond, il se trompait peut-être et cet acte de générosité pourrait bien lui coûter la vie sitôt celle du métis sauvée. La peur ne s'était pas éteinte. Ses braises ardentes reposaient dans les méandres de son esprit, prêtes à s'enflammer dès lors qu'une brise viendrait les raviver.
Il se surprit à fuir à nouveau le regard de l'Allemand, avant de déclarer fermement :
—Et il est entre de bonnes mains.
—Celles de cette femme, ironisa Draco, d'un ton mauvais.
—Vous auriez préféré le laisser mourir ?
Draco sourcilla. Ses yeux gris brillaient d'une tristesse qui s'était fait colère sans le moindre préavis. Il déglutit péniblement, un nouveau vertige mettant à mal un équilibre déjà précaire. Le mur derrière son dos tangua violemment et il retint sa respiration le temps que le mal s'en aille.
—Vous auriez préféré que moi, un juif, m'occupe de lui sauver la vie ? Mais c'est contraire à vos idées, je me trompe ?
Il cherchait un argument de taille, celui qui ferait battre en retraite la désagréable protestation du Français. Malgré son acharnement, il ne trouva rien de satisfaisant, ce qui l'agaça prodigieusement et qui laissa le loisir à Harry de rappliquer une nouvelle fois :
—C'est à cause de ces foutues idées que votre ami a failli mourir. Et sa mort n'aurait rien changé. Comment pouvez-vous encore y croire ?
—Pas un mot de plus, Potter ! siffla Draco, entre ses dents.
Il avait à nouveau touché une corde sensible et en avait pleinement conscience. Peut-être même était-ce intentionnel ? Au mépris de tout danger, il se plantait face à cet homme dangereux, devant cette véritable menace dont le courroux pourrait bien se montrer impardonnable.
L'aristocrate se redressa brutalement, se hissant sur ses pieds avant de toiser le juif. Un mépris palpable s'inscrivit dans ses prunelles claires comme de l'onde de l'eau. Un trouble constant qui se glissait à la surface immobile pour y créer un mouvement rendu éternel. Il prononça, d'un air supérieur qui lui seyait si bien :
—Je ne te permets pas de t'adresser à moi de la sorte.
—C'est ridicule, répliqua Harry, sa conscience lui hurlant de mettre un terme à ses paroles irréfléchies.
Draco s'éloigna à grands pas jusqu'à atteindre la fenêtre. Il repoussa les rideaux d'un mouvement sec avant d'admirer la noirceur environnante avec une passion feinte. Il alluma fébrilement une cigarette qu'il porta immédiatement à ses lèvres pour en extraire une épaisse fumée opaque.
Malgré tout, les paroles de son interlocuteur se frayaient un chemin jusqu'à un esprit enchevêtré dans des beaux discours. Vestiges des paroles d'Adolf Hitler, de son père et de celui qui l'avait entraîné jusqu'à ce qu'il soit envoyé ici. Des dires forts qui s'étaient inscrites dans son âme au fer rouge et qui ne sauraient disparaître pleinement. Ils avaient fait de l'enfant d'autrefois le monstre sans pitié d'aujourd'hui.
Et puis, lui revinrent les mots plein de sagesse de Blaise. De son ami de toujours. Lui n'avait jamais contredit les idéaux nazis mais n'avait jamais appuyé ce type de pensées de son propre gré. Il n'affectionnait pas non plus particulièrement la violence, y répondait lorsqu'elle s'avérait nécessaire. La gorge de Draco se noua douloureusement alors qu'il s'enquit, sans se retourner et dans un murmure :
—Il va survivre ? Tu penses qu'il survivra, Potter ?
—Je ne sais pas, répondit honnêtement le dénommé.
L'homme souffrait visiblement, le plus jeune pouvait voir la douleur fissurer le masque de plâtre qui épousait la ligne sévère de ses joues. Une expression qui ne pouvait pas être celui d'un être comme lui, supposément sans une once d'humanité. Cette ombre que le visage pâle du soldat abritait contre sa volonté et qui émouvait profondément Harry, sans qu'il ne s'en doute.
—Il va mourir, n'est-ce pas ? insista son aîné, inspirant une dernière bouffée de nicotine.
—Ses blessures sont graves, énonça le Français, s'approchant prudemment. Mais Hermione est un bon médecin et il a l'air solide. Il a de bonnes chances de s'en sortir.
Draco passa une main nerveuse dans ses cheveux presque blancs. La fatigue l'empêchait de raisonner correctement. Le juif sentait aussi l'épuisement poindre, mais il s'empressa de le repousser. La vie d'un homme était en jeu, se reposer n'apparaissait pas comme secondaire.
Harry songeait inopinément à la valeur de cette âme. Tant d'autres avaient déjà été sacrifiées au nom de cette guerre. Tant d'autres ne manqueraient pas de venir grossir les rangs mortels avant que la paix ne s'élève haut dans le ciel. Cela le révoltait profondément et, un court instant, il eut envie de s'époumoner. De hurler à cet homme, l'un des innombrables responsables de ce massacre, à quel point son comportement était égoïste. Qu'il ferait bien d'avoir honte, honte à en crever.
Pourtant, il se tut. Le jeune médecin se refusa à emprunter une telle folie. Il réorienta son attention sur l'être qui se tenait face à lui, en effleurant la douleur bien humaine.
—Malfoy ? reprit Harry, à la vue du tremblement irrépressible des mains du jeune adulte.
—Quoi, Potter ? cracha l'intéressé, bien moins aimablement qu'il ne l'aurait souhaité.
—Que ferez-vous s'il survit à l'opération ?
Une conversation pleine de gravité. Un prétexte au rapprochement des deux personnages ? Vous vous méprenez :p
Et vous, pensez-vous que mon côté sadique reprendra le-dessus ? Blaise survivra-t-il à ses blessures ?
La prochaine partie répondra à toutes ces questions en plus de poursuivre sur la lancée de cette ébauche de conversation. Remarquez que Draco se trouve moins antipathique :)
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