Le gouffre

Le vide se trouvait face à elle. Un pas de plus et elle tomberait dans la l'ouverture béante qui se trouvait au sol. Comment avait-elle fait pour se retrouver ici ? Que fallait-il qu'elle fasse ? Trop de questions se bousculaient dans sa tête et elle était bien incapable d'y trouver une réponse, ou, plutôt, elle ne voulait pas y répondre.

« Pourquoi ? murmura-t-elle en écrasant du plat de sa main les larmes qui avaient commencé à perler le long de ses joues blêmes. J'étais si bien au début. »

Avant que tout commence, elle était heureuse, amoureuse, avait un brillant avenir devant elle. Puis ils étaient apparus dans le ciel. Cela avait fait la une des informations, tout le monde en avait parlé, avait émis des théories plus ou moins farfelues. Mais comme rien ne semblait bouger en haut, petit à petit, plus personne n'y avait plus fait attention. Ils faisaient partie du paysage et rares étaient ceux, comme elle, qui levaient encore la tête pour les regarder suspicieusement.

La jeune fille se retourna, il lui avait semblé avoir entendu un bruit. Son ventre se serra, ainsi que sa poigne sur la crosse de l'arme qui ne la quittait plus. Elle ne savait même pas si elle était utile, mais elle la rassurait. Elle scruta l'obscurité, en plissant les yeux, à la recherche d'un quelconque mouvement, prête à se défendre. Mais le silence résonnait entre les antiques ruines, elle aurait été même plus rassurée si elle avait pu entendre des bruits. Le silence lui perçait les tympans et la rendait folle. Il n'y avait apparemment qu'elle et le gouffre.

Un jour, alors que personne ne s'y attendait, ils étaient descendus. Enfin, c'était ce que l'on pensait, mais selon elle, ils étaient là depuis le début. Ce qu'on appelait le « début de l'attaque » avait été quand le nombre des disparitions était devenu trop inquiétant pour que l'on passe à côté.

« Ils sont parmi nous ! criait-on dans le monde entier. »

Mais qui ça « ils » ? Personne ne savait répondre à cette question. Certains disaient qu'ils nous ressemblaient, qu'ils prenaient nos apparences, nos places, nos vies. Mais qui voudrait de nos pauvres petites et insignifiantes vies ? Et puis s'il y avait des disparitions, pourquoi nous remplacer ? En tout cas, c'était la version la plus répandue, celle qui plaisait le plus. Elle en avait entendu une autre, une qui l'arrangeait presque : ils prenaient la forme d'un beau souvenir et nous attiraient doucement, sans peine, dans la joie.

« Ce serait une meilleure fin, murmura-t-elle en contemplant le vide.

Les personnes étaient devenues folles. Beaucoup se terraient dans leurs habitations, espéraient être épargnées. Mais si ils ne mouraient pas de faim ou de maladies, ils finissaient à leur tour par disparaître. Ceux qui restèrent décidèrent qu'il fallait se rassembler et des petits groupes se formèrent un peu partout sur la planète. Puis, ils commencèrent à se regrouper et à grossir pour former des camps itinérants et une nouvelle vie était née des décombres de l'ancienne. Chacun avait son histoire à raconter, sa théorie, sa rumeur.

Ah ! Elle regrettait même cette époque, elle regrettait d'avoir trop écouté ces élucubrations dignes des personnes les plus folles et d'y avoir cru. Il était si facile de mentir et d'inventer. Mais au fond d'elle, une petite voix lui soufflait à cet instant « Et s'ils n'étaient pas fous ? Et s'ils avaient raison ? » C'était la même petite voix qui l'avait poussé à se lancer dans cette aventure, qui lui avait donné le courage de continuer malgré tous les problèmes auxquels ils avaient fait face. Elle ne pouvait s'empêcher de lui donner du crédit.

Un trésor, des armes capables de vaincre leurs envahisseurs, voilà ce qu'on lui avait murmuré à l'oreille, promis. Cette perspective les avait faits tous rêver, leur avait donné de l'espoir. Elle leur permettait d'espérer une vie meilleure, où personne n'avait à fuir, où les enfants pouvaient grandir sans craindre qu'eux ou les parents ne disparaissent, où ceux qui avaient perdu des proches pouvaient faire pleinement leur deuil et passer à autre chose. Un groupe c'était alors formé, des jeunes gens, forts, courageux et volontaires, et ils étaient partis en direction de cet endroit, ces ruines dans le désert.

Ils avaient traversé des plaines, des montagnes, des déserts, des lacs, des mers. Ils avaient vu des ruines d'antiques cités, ainsi que de modernes. Ils avaient vu des pays déserts, des plantations desséchées, mortes, des incendies, des animaux malades, abandonnés. Ils avaient croisé de nouveaux groupes, et leur équipe avait grossi malgré les disparitions qui continuaient. Mais plus ils se rapprochaient de leur but, plus le nombre de disparus augmentaient, plus ils avaient eu du mal à trouver des vivres, de l'eau, plus les épreuves, les obstacles, les difficultés étaient présents, plus le doute s'emparait de chacun d'entre eux. Ils se demandaient si cela valait la peine de continuer, s'ils arrivaient un jour au terme de leur mission que beaucoup qualifiaient de vaine, de suicide. En même temps, ils se disaient que si cela devenait de plus en plus difficile, c'est qu'il y avait quelque chose.

La dernière épreuve avait été le fait qu'il y avait plusieurs lieux possibles, plusieurs gouffres. Lequel était le bon ? Ils ne le savaient pas. Les rares survivants s'étaient séparés pour couvrir tous les sites. Ce qui la ramenait à son gouffre, à son doute. Cela valait-il la peine de sauter dans le vide ?

D'un côté, sauter voulait dire peut-être se tuer, ou, si ce qu'on lui avait raconté était vrai, atterrir sur une passerelle qui l'amènerait à ces fameuses armes. Et si ce qu'on lui avait raconté était vrai, quel était le pourcentage de chance que ce soit le bon gouffre ? Vraiment très bas.

Elle allait se rétracter quand elle pensa à ses compagnons de voyage, à ceux qui avaient disparu. Est-ce qu'ils auraient eux aussi hésité ? Ils s'étaient engagés dans ce voyage, car ils y croyaient, par ce qu'ils voulaient que le reste des habitants de cette planète est un avenir. Et ceux qui se trouvaient devant les autres gouffres, est-ce qu'ils hésiteraient ? Peut-être au début, mais elle était certaine, qu'ils finiraient par sauter. Elle devait le faire pour ne pas être celle qui abandonnerait, pour eux, pour ceux qui avaient disparu, pour ses proches.

Elle allait sans doute mourir, mais la petite voix qui l'avait poussé à toujours avancé était toujours là et lui disait « Tu peux le faire ! ». Elle recula, regarda une dernière fois autour d'elle. Le Soleil n'allait pas tarder d'apparaître à l'horizon. Existe-t-il une plus belle mort qu'un sacrifice pour l'espoir d'une libération ? Elle s'élança et sauta dans la fosse béante.

***
Ce texte a aussi été écrit dans le cadre d'un des concours de Coeur-de-Neige dont la consigne était d'écrire un texte de science-fiction exprimant un doute, une difficulté, un obstacle. Je vous annonce donc que cet ensemble de 1111 mots (je voulais le préciser car ce chiffre m'a fait beaucoup rire) est arrivé le premier ! J'espère que vous l'avez apprécié !

A.

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