Les premières notes s'envolent dans la salle obscure. Tous les regards sont posés sur le cygne, trompé, blessé, entouré par le halo lumineux, qui vient d'apparaître sur la scène.

Seule sur les planches, Odette se débat entre le souvenir de son aventure, la passion qui l'envahie, la souffrance, le désespoir et la mort qui approche à grands pas. Elle agite ses bras, désespérément, tentant de garder au plus profond d'elle-même les quelques bribes de mémoire heureuses qui lui restent. Doit-elle vraiment s'en aller ? Elle n'en est pas sûre.

Dans la fosse de l'orchestre, une larme s'échappe des yeux clos d'une violoncelliste, pour aller terminer sa course sure le bois vernis de l'instrument. Elle n'est pas Odette, elle n'a pas vécu les mêmes épreuves qu'elle, mais cette musique fait remonter en elle des souvenirs lointains, joyeux ou non. C'est sur un de ces airs qu'elle a appris à danser, qu'elle a décidé de son avenir, qu'elle a annoncé à ses proches ses choix décisifs. Mais, ce sont également sur ces mêmes harmonies qu'elle appris et pris conscience de certains problèmes et qu'elle a dit au revoir à des êtres chers. L'archet vibre entre ses doigts. Il glisse, virevolte, et accompagne la danseuse, en suivant, comme elle, le rythme de la métrique. Le morceau doit-il vraiment se terminer ? Elle ne l'espère pas.

Dans la salle sombre, au milieu du public, une vieille femme serre les doigts de son mari. La musique de Tchaïkovski a, depuis longtemps déjà, le pouvoir de faire jaillir du plus profond de son être un élan de nostalgie et de mélancolie. Sa tête se balance lentement, portée par les notes et de vieux souvenirs apparaissent des tréfonds de sa mémoire. Elle ne peut s'empêcher de penser à ses propres cours de danse, quand elle aussi se mouvait au son de la musique avec son amie Sarah. Mais, une vague dévastatrice est passée, emportant dans son flot cette petite fille, son avenir et sa triste étoile jaune. Ses yeux suivent les gestes du cygne, les battements de ses bras, ses petits pas sur pointe, les accompagnant dans leurs derniers instants. Doivent-ils vraiment se figer, emportant avec eux tout ce qu'ils représentent ? Elle ne le veut pas.

Mais le cygne est mourant, la musique a une fin et la vie doit continuer. Dans une unique note, l'âme d'Odette s'envole, entraînant avec elle souvenirs partagés et larmes versées.  

***

La vie en cours n'est pas toujours passionnante. Il faut bien s'occuper.

Bien à vous,

A.