Chapitre 6

Je suis devant mon casier, préparant mes affaires pour la matinée, quand je suis attirée par ce mec... Il est bizarre, petit, baraqué, il passe en me fixant d'un air effrayé.

Alors je sors rapidement mon miroir de poche de mon sac, regarde mon reflet, mais non... À part mes racines, que j'imagine être la seule à voir, je suis toujours aussi belle.

— Bien dormi ?

C'est Alex qui déboule...

— Bien dormi, oui...

Mon cauchemar me revient, le visage de Doria, ses yeux qui s'ouvrent, le cri...

— À part un rêve bizarre... En parlant de « bizarre », tu connais ce mec ? demandé-je en montrant du doigt le type qui vient de passer.

— Douglas ? Pas plus que ça... Il est en quatrième année et fait partie de la bande des footeux, un mec plutôt sympa, je crois !

— Il m'a regardé étrangement, comme si je l'effrayais...

Alex m'observe avec un grand sourire, avant de reprendre :

— C'est normal ! Tu as vu ta tête ?

— Quoi ma tête ? C'est quoi ? Mes racines ?

— Mais non, je déconne ! finit-il par répondre. T'es toute mignonne, même ta coiffure bizarre te va bien !

Je ne relève pas le compliment, qui me paraît lui aussi bizarre sortant de la bouche d'Alex.

— Mais alors ce serait encore ma ressemblance avec cette Doria qui l'effraierait ? Tu sais s'il avait un lien avec elle ?

— Pas que je sache, à part qu'ils avaient le même âge, ils étaient peut-être dans la même classe... Mais je croyais que tu t'en fichais de cette fille ?

— Ce n'est pas que je m'en fiche...

Et puis mince, j'en ai marre de ne parler que d'elle, déjà que je me mets à en faire des cauchemars !

— Je change de voiture ! dis-je, histoire de changer de sujet, tout en fermant la porte de mon casier pour rejoindre la salle de cours.

— Ah ouais, tu vas avoir quoi ? me demande Alex en me suivant.

— Je ne sais pas encore, je vais faire le tour des voitures d'occasion cet après-midi chez l'escroc du coin.

— Chez l'escroc du coin ?

— Le vendeur auto en centre-ville, réponds-je.

— Mon père est un escroc, quoi !

— Quoi ton père est un escroc ? Je n'en sais rien, moi !

— Celui qui tient la concession de voitures d'occasion en centre-ville, c'est mon père. Celui que tu appelles l'escroc.

— Il y a peut-être plusieurs vendeurs auto à Laneford, non ? demandé-je.

— Il n'y en a qu'un et c'est mon père, insiste-t-il.

— OK... Alors c'est ton père, oui.

Quelques heures plus tard, je sors enfin de cours. Nouvelle voiture, me voilà ! Enfin, après avoir déjeuné...

Car sur mon portable, je découvre un message de mon père qui me propose de le retrouver pour déjeuner dans le diner du centre-ville avant de nous rendre à la concession.

— Tu veux que je vienne avec toi, cet après-midi ?

Je me retourne, commençant à m'habituer à la façon qu'a Alex de m'aborder.

— Pourquoi est-ce que je voudrais que tu m'accompagnes ?

— Parce que je te rappelle que c'est mon père, et que je peux peut-être t'obtenir une petite remise.

— Il va me faire une remise si j'y vais avec toi ?

— Ben oui !

— Tu vois que c'est un escroc !

— Qu'est-ce que tu racontes ? C'est normal, je suis son fils !

Je m'arrête et me tourne vers lui, toujours au pas de course pour me suivre. Car oui, lorsque mon père s'apprête à m'offrir une nouvelle voiture, je suis pressée et quand je suis pressée, je suis rapide.

— OK... Tu seras à la concession vers 14 h ? lui demandé-je.

— Je peux y être !

— Alors on se retrouve là-bas.

***

Je débarque au diner, qui m'a l'air plutôt sympa. Un style de restaurant assez rare à New York. Et ceux qui s'y trouvent sont généralement plus petits que celui-ci. Mais bizarrement j'aime bien, je trouve que les couleurs dénotent avec les diners habituels. Le sol est gris, esprit ciment, il y a un bar rouge et noir, à la fois classe et mystérieux. Les tables sont rouges et les banquettes en cuir noir. Le bar ne va pas jusqu'au bout et laisse deviner sur sa droite une seconde salle ou des sanitaires, mais peu importe, je n'irai pas vérifier, puisque j'aperçois mon père assis à la table du fond sur la gauche. Je m'approche et le trouve en pleine discussion avec la serveuse.

— Hum...

— Ah, te voilà Alice ! s'exclame-t-il d'un air gêné. Je vous présente ma fille, Alice, elle est au lycée ici à Laneford.

Qu'est-ce qui se passe là ? Il me présente à la serveuse...

— Je vous laisse choisir, je reviens dans cinq minutes.

J'attends qu'elle soit suffisamment éloignée avant d'agresser mon père :

— Elle aurait l'âge d'être ta fille ! Et donc ma sœur !

— Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ?

— Cette fille que tu dragues, elle a quoi ? 20 ans ?

— Tu plaisantes ! Elle doit avoir la trentaine, et je ne la draguais pas !

Oui, c'est vrai, elle doit avoir la trentaine, mais j'ai tendance à exagérer quand je m'énerve.

— Tu ne la draguais pas ? Et ton air gêné quand je suis arrivée ? Et son sourire de...

— Arrête, me coupe-t-il.

— OK, j'arrête.

Je m'emballe, je m'emballe... Il ne faudrait quand même pas que j'oublie qu'il est sur le point de m'offrir une voiture !

C'est le plus long déjeuner de ma vie... La serveuse revient, mon père hésite, et j'en oublie complètement de faire mon choix. Ensuite, les plats mettent des heures à arriver, et j'ai l'impression que les aiguilles de ma montre se sont arrêtées.

— Tu veux vraiment prendre un café ? demandé-je à mon père.

— Oui, je veux un café.

— Tu peux peut-être le prendre à emporter...

— Ce n'est pas un fast-food ici, Alice ! Et tu peux me laisser le temps, on n'est pas à la minute, là.

Il a raison, il n'est même pas 14 h, la concession ne doit pas encore avoir rouvert.

La serveuse revient.

— Vous prendrez un café ?

— Oui, s'il vous plaît, répond mon père.

— Et vous mademoiselle ?

Rêvassant à la fenêtre, je tourne la tête vers elle :

— L'addition, merci.

— D'accord..., répond-elle avant de s'éloigner.

— Ah, tu m'invites ? me demande mon père, le sourire aux lèvres.

— J'aurais bien voulu, mais je dois aller chez le coiffeur et je sens que je vais devoir dépenser ce qu'il me reste d'argent de poche pour le payer...

— C'est vrai qu'il te faut une couleur qui tienne quand tu auras les cheveux au vent au volant de ta nouvelle décapotable.

— Tu es sérieux ? Tu vas me payer un cabriolet ?

Je suis folle, j'ai envie de pleurer, de danser, de chanter !

— Je plaisantais..., reprend-il. Enfin, sauf si tu en trouves un à moins de 5 000 dollars.

— Tu plaisantais ? Tu plaisantais sur ça ? Vraiment ? Papa, on plaisante sur des choses drôles. Ça, ça ne l'était pas. Je me suis vue au volant d'un cabriolet, là ! Tu ne te rends pas vraiment compte, je crois... J'aurais pu être populaire, mais ça, je vois que tu n'en as rien à faire !

— Ah, parce que ma fille veut être populaire, maintenant ?

— Non... Je disais ça comme ça.

La serveuse arrive enfin avec son café.

— Papa, il est presque 14 h, on y va.

— Attends deux secondes, mon café est brûlant.

Alors brûle-toi la gorge qu'on en finisse.

Je l'ai seulement pensé, mais oui quand je suis pressée, je suis pressée... Et peut-être un peu méchante.

Il est 14 h 15 lorsque nous arrivons à la concession.

C'est un grand parc, il y a des voitures partout avec leurs prix affichés sur les toits. Et des promotions en veux-tu en voilà !

Alex vient à notre rencontre.

— Bonjour, dit-il en tendant la main à mon père.

Ils se saluent et Alex reprend :

— Je suis Alex, Alice a dû vous parler de moi !

Mon père se tourne vers moi.

— Il s'appelle Alex, m'exclamé-je, il est en cours avec moi, et c'est le fils du patron de la concession...

Voilà j'ai parlé de lui, retard rattrapé ! Passons aux voitures, maintenant !

— Euh... Oui c'est ça, reprend Alex.

Il se tourne vers moi :

— J'ai parlé à mon père pour la remise, il est d'accord pour te faire bénéficier de 5 % de réduction.

— Cool, réponds-je. Alors allons-y, j'ai déjà repéré la voiture grise, là-bas !

Nous nous rendons tous les trois à la voiture en question.

— J'avoue que c'est un très bon choix ! s'exclame-t-il. Une superbe berline allemande, et elle n'a que 50 000 miles au compteur !

— Et elle est étiquetée à 15 000 dollars, Alice, reprend mon père, de manière TRÈS désagréable.

— Oui mais je te rappelle que l'on a une « remise famille » de 5 % papa...

— Alex, ôte-moi d'un doute, lui demande mon père, Alice se rend bien à ses cours de mathématiques ?

— C'est bon, je plaisantais !

Monsieur peut faire des blagues autant qu'il veut, mais moi...

— OK..., reprends-je à destination d'Alex. Il me faut une voiture sous la barre des 5 000 dollars, à plus ou moins 5 %, vu la remise...

— En dessous de 5 000... Ah, c'est par là-bas ! s'exclame-t-il en me montrant un coin tout au fond du parc.

— Tu es sûr de toi Alex ? Parce que toutes celles qui me plaisent sont plutôt dans ce coin-là.

— Elles sont presque toutes à plus de 10 000 dollars par ici, répond-il d'un air gêné.

— Je rigole ! Pourquoi est-ce que ça ne fait rire personne quand c'est moi qui plaisante ? Allez, on va là-bas, on va bien trouver une voiture à mon goût ! Surtout grâce à ta « remise famille » de 15 %.

— De 5 %..., se sent obligé de corriger Alex.

Mais cette fois-ci mon père a souri !

— Je veux celle-là !

— La rouge ? me demande Alex d'un air étonné.

— Oui, la rouge, je peux l'essayer ?

— Oui enfin, c'est que...

— Je peux l'essayer, oui ou non ?

— OK... Je vais chercher les clés.

Alex s'éloigne en direction de la boutique.

— Tu en dis quoi, p'pa ?

Mon père est déjà en train d'en faire le tour.

— Dodge Dakota, second modèle... À ce prix-là, il y a un problème !

— Comment ça, un problème ?

— C'est le genre de modèle qui se vend plus cher que ça d'habitude. Enfin je ne m'y connais pas beaucoup, mais il me semble...

— Eh bien, on ne va pas s'en plaindre, elle est à moins de 5 000 dollars !

— Oui, 4 999...

Alex revient avec les clés et nous montons. Moi au volant, mon père sur le siège du mort, c'est le plus vieux donc c'est sûrement mieux ainsi, même si j'aurais préféré y mettre Alex.

Au démarrage, tout va bien ! Bon, je cale, mais c'est le temps de m'habituer. Au second démarrage, pareil ! Au troisième, nous avançons ! Je vois un homme sortir de la boutique, se demandant sans doute s'il y a un problème avec la voiture ; il doit s'agir du père d'Alex. Mais il retourne dans la boutique lorsque ce dernier lui crie par la vitre arrière que le problème vient de la conductrice.

Charmant...

Nous sommes enfin dans la rue !

— Planquez vos enfants, s'exclame Alex à l'arrière.

— Tu as ton permis ? lui demandé-je.

— Je le passe en ce moment.

— Alors ferme-la!

À notre retour, et une fois stationné, mon père se décrispe et se retourne vers Alex :

— Je viens de regarder sur mon smartphone, 5 000 dollars c'est en dessous de la cote pour ce kilométrage. C'est quoi le problème ?

— Elle est en promotion, elle était à 7 000 dollars il y a encore deux semaines. Mais cela fait deux ans que nous l'avons à la vente, et mon père baisse les prix lorsque c'est le cas. Il se doit de faire tourner ses stocks, c'est ce qu'il dit.

Mon père se retourne, il n'a pas l'air entièrement convaincu. Mais moi je le suis !

Chèque signé, assurance prévenue, me voilà au volant de mon pick-up ! Je suis aux anges, j'en profite tout l'après-midi et passe chez le coiffeur pour fêter ça.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top