Chapitre 3

Il est 15 h 30 lorsque j'arrive chez moi. Je n'ai rien suivi des cours de l'après-midi, j'étais trop obnubilée par cette histoire de ressemblance.

Je me jette sur mon ordinateur. J'ai pourtant passé mon après-midi à regarder des photos de Doria Miller sur mon portable, je n'arrive toujours pas à réaliser. C'est trop bizarre. J'ai vraiment l'impression de me voir... Et en même temps je sais bien que ce n'est pas moi, il y a tout de même quelques différences.

Il faut que je parle à mon père. Je regarde l'heure, saisis mon téléphone et l'appelle. Pas de réponse. Mais merde, qu'est-ce que je fais ?

Je ne tiens plus en place, fais les cent pas dans ma chambre, descends au rez-de-chaussée, allume la télé et ne la regarde pas. Je jette un œil sur l'heure ; j'ai l'impression que l'aiguille recule !

Je me dirige vers la cuisine, ouvre un placard et attrape un paquet de gâteaux que je grignote frénétiquement. Je fixe le jardin en espérant voir arriver mon père. Au bout d'un moment, je repose le paquet sur la table et remonte dans ma chambre. De nouveau face à mon ordinateur, je relis les quelques articles encore disponibles qui traitent de la disparition de Doria Miller. Je prends mon téléphone pour essayer à nouveau de joindre mon père, quand j'entends sa voiture se garer devant la maison. Je me précipite dans les escaliers et me jette sur lui dès son arrivée.

— Tu ne me devrais pas quelques explications ?

Il me regarde, perplexe.

— À quel sujet ?

Est-ce qu'il se fout de moi ?

— D'après toi ? De Doria Miller !

— Doria Miller ? Qui t'en a parlé ?

— Qui m'en a parlé ? C'est limite si on ne m'a pas prise pour elle !

— Je suis désolé ma chérie, j'ai également été surpris aujourd'hui lorsqu'on m'a montré sa photo.

— Donc tu as vu son visage ?

— Oui, je te l'ai dit, j'ai vu une photo. J'ai d'abord cru à une blague...

— Alors, le coupé-je, tu peux m'expliquer ?

— T'expliquer quoi ?

— La ressemblance ! Est-ce que c'est une cousine ? Est-ce que la mère de cette fille est de ta famille ? Ou de la famille de maman ?

— Non...

J'ai l'impression que je l'inquiète. Je l'attendais avec impatience, j'espérais de lui qu'il me rassure et au lieu de ça, il paraît embarrassé. Lui qui d'habitude a réponse à tout.

— Écoute, je peux comprendre que la situation puisse te paraître bizarre...

C'est le moins qu'on puisse dire !

— Mais tu sais, reprend-il, beaucoup de personnes se ressemblent et il n'y a pas forcément d'explication à cela.

— Tu es en train de me dire que ce serait le fruit du hasard ?

— Oui.

— Tu es sérieux, là ?

— Oui. Écoute Alice, j'ai du travail...

— Tu sais forcément quelque chose !

— Mais que veux-tu que je te dise ? s'énerve-t-il.

Je ne dis rien, j'attends qu'il continue. Mais il profite de mon silence pour poser ses affaires et rejoindre son bureau.

Je passe le reste de la soirée enfermée dans ma chambre. D'habitude, c'est comme ça que j'obtiens réparation lorsque j'estime avoir été traitée injustement. Je prends mon rôle très à cœur et fais la sourde oreille lorsque mon père m'appelle pour le dîner, tout en écoutant malgré tout attentivement ses faits et gestes au rez-de-chaussée, attendant qu'il monte me voir. Mais au lieu de ça, je l'entends de nouveau s'enfermer dans son bureau. Généralement quand il s'y installe le soir, c'est pour y travailler durant des heures. Je comprends alors que mieux vaut ne pas compter sur des explications aujourd'hui et m'installe alors sur mon lit pour réfléchir à cette histoire.

°°°

Après une autre journée dans mon nouveau lycée, je suis plutôt contente de rentrer. Personne ne m'adresse la parole ­– mis à part Alex­ – du coup j'ai suivi les cours silencieusement dans mon coin, en attendant avec impatience chaque sonnerie.

Au volant de mon camion, je traverse les rues mortes de Laneford... Et même après une semaine, le choc reste saisissant. Passer de New York à cette petite ville, quelle idée !

Laneford et ses quelques milliers d'habitants sont un peu pauvres en boutiques sympas, du coup je n'ai pas trop de questions à me poser et rentre directement chez moi.Comment perdre du temps sur le retour quand la seule distraction de la ville est un cinéma avec une seule salle dans laquelle passent des films sortis il y a au moins trois semaines ? Le genre de ville où le téléchargement illégal devrait être encouragé par la loi.

Ah non, j'oublie : il y a aussi un beau bar super à la mode, ici ! Un style, une musique, d'une époque que j'ai eu la chance de ne pas connaître ! Non, vraiment, New York me manque.

J'arrive à la sortie de la ville, j'ai encore une dizaine de kilomètres avant d'arriver chez moi, mais ces kilomètres sont peut-être ceux qui me font supporter le fait d'être arrivée ici. La route est bordée d'arbres et l'arrivée de l'automne a donné une teinte orangée à leurs feuilles. Je n'ai pas encore eu l'occasion de me promener dans le coin, mais j'imagine déjà les sentiers s'enfonçant dans les profondeurs des bois. Et si je demandais une moto à mon père, plutôt qu'une voiture ? Ou en plus de la voiture... J'arrive enfin chez moi. Mon paternel a eu la bonne idée de louer une maison en bordure de forêt, assez éloignée de cette ville moche, assez perdue, mais pas non plus trop reculée au milieu des arbres, de manière à ce que ce ne soit pas trop flippant la nuit. Je me gare à côté de son 4x4, c'est d'ailleurs étonnant qu'il soit déjà rentré.

Je débranche mon téléphone de l'autoradio et enfile mes écouteurs pour entrer chez moi, du rock plein les oreilles.

— Salut p'pa !

Je continue à avancer vers les escaliers, je vois ses lèvres qui bougent, j'imagine qu'il me dit bonjour en retour...

— ...

Il continue de parler... Je hoche la tête et me retourne vers les escaliers. Mince ! Il m'a peut-être trouvé une vraie voiture ? Je cloue le bec à Simple Plan, les paroles sont pourries de toute manière.

— Tu disais ?

— Retire tes écouteurs, s'il te plaît.

— C'est bon, la musique est coupée.

Devant sa moue, je les retire malgré tout, pour lui faire plaisir. Il ne s'agirait pas de le froisser avant qu'il m'ait trouvé une voiture. Ou une moto...

— Assieds-toi, Alice.

— Oh là ! C'est une annonce solennelle ? Genre tu t'es trouvé une pouf avec qui tu veux refaire ta vie ?

— Alice, est-ce que tu peux être sérieuse, deux minutes ?

J'ouvre de grands yeux et ne dis plus rien.

— Ce que j'ai à te dire est important...

— Ça tombe bien, moi aussi ! Je commence. Tu sais, la voiture que tu dois me trouver, tu l'as peut-être déjà trouvée d'ailleurs... Quoique je t'avoue que je préférerais être avec toi pour choisir. Ce n'est pas que je n'ai pas confiance en tes goûts, mais disons que tu as ton âge et moi le mien, enfin tu vois, quoi !

— Tu permets ? me dit-il.

— Non attends ! Je voulais aussi te dire, tu sais je me plains pas mal d'être arrivée ici, que c'est désert par rapport à New York, que les concerts me manquent... Enfin bref, je me disais que ça me manquerait un peu moins si j'avais une moto !

Je me répète ma phrase dans la tête, est-ce que je m'y suis bien prise ? Mouais, ça me paraît bien.

— Ma chérie...

Oh merde... Quand il m'appelle « ma chérie », premièrement je déteste ça, et deuxièmement c'est souvent mauvais signe. Le deuxième point pouvant peut-être expliquer le premier, d'ailleurs...

— J'aimerais revenir sur ta ressemblance avec cette Doria Miller.

— Putain, je le savais, tu t'es tapé la mère de cette fille ! Tu n'as pas pu t'en empêcher. Pourtant tu étais déjà avec maman à l'époque. Mais non, qu'il soit en couple ou veuf, monsieur se dit que c'est rendre service à la gent féminine délaissée que de toutes les sauter !

J'y suis peut-être allée fort là...

— Ça fait longtemps que tu ne t'es pas pris une gifle, mais je pourrais te rappeler l'effet que ça fait, alors ne me pousse pas trop, Alice...

Ça me confirme que j'ai été trop loin. Et le fait qu'il reste impassible ne me plaît pas du tout.

Je décide de m'asseoir.

— Tu t'es calmée ? Tu m'écoutes, maintenant ?

J'acquiesce, n'osant plus rien dire. Mais je ne peux pas m'empêcher de penser à des trucs trop trash. J'en viens à espérer qu'il me fasse son coming out... Mais ça n'aurait aucun rapport avec ma ressemblance avec cette fille.

— Je me rends compte que je n'ai peut-être pas été à la hauteur, hier, dit-il.

Je me tais, attendant la suite.

— Tu arrives dans un nouveau lycée, dans une nouvelle ville, avec tout ce que ça implique de chamboulements pour une jeune fille de ton âge... Et tu t'inquiètes pour cette ressemblance qui, je l'imagine, doit être déstabilisante ou du moins déconcertante.

— OK... Tu vas m'en donner la raison ? demandé-je.

— Il faudrait pour ça que je la connaisse.

— Tu dois bien avoir une petite idée, cette fille, tu la connaissais ? Ou tu connaissais au moins ses parents ?

— Non, Alice.

— Alors qu'est-ce que tu as à m'annoncer ?

Je le sens gêné, mais il répond :

— Je voulais surtout m'excuser de ne pas t'avoir écoutée hier. Et je veux que tu saches que je suis là si tu as besoin de parler.

— Mais tu ne m'apprends rien, là...

— Je vais chercher la raison de cette ressemblance.

— Mais tu n'en as aucune idée ?

— Non.

— Vraiment ? insisté-je.

— Puisque je te le dis.

— OK...

Je le regarde, hésitant à lui avouer ce que j'ai sur le cœur. En même temps, je sens des larmes monter, je ne suis pas sûre de réussir à articuler ma question. Mon père doit le sentir, car il m'observe, l'air anxieux.

J'ai besoin de courage. Je me redresse, saisis le verre de whisky de mon père et en avale une gorgée, tandis qu'il me regarde avec de grands yeux.

— Raahh c'est dégueulasse ! Eh, mais t'es pas bien de boire ça !

Je cours vers l'évier pour vider le verre et remplacer ce liquide qui brûle la gorge par de l'eau, rafraîchissante, elle.

Dès mon retour sur le canapé, mon père reprend :

— Ça va ?

Je ne sais pas si c'est l'effet du whisky, mais je ne me sens plus l'envie de pleurer. Alors je demande :

— Tu me le dirais si j'avais été adoptée ?

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