Chapitre 1
J'arrive devant le lycée et me gare en prenant soin de ne pas érafler la voiture déjà stationnée. Je me concentre tout particulièrement, car j'ai pour habitude de me faire remarquer dès mon arrivée...
Je n'en reviens pas, j'ai réussi ! Enfin, je suis à peu près sûre de ne pas avoir touché le véhicule à côté du mien...
Je prends mon temps et observe le lycée, un grand bâtiment qui paraît démesuré par rapport à la ville. Il paraît encore plus grand que mon ancien bahut à New York ! En même temps, c'est le seul, ici...
Bon, d'aspect, il ressemble un peu à un hôpital : une grande entrée hexagonale et deux longs bâtiments partant perpendiculairement de chaque côté. Pas d'herbe, seulement le bitume d'un immense parking. J'espère que l'intérieur est plus fun que l'extérieur.
— Sympa le camion ! me lance un mec en me regardant descendre.
« Ce n'est pas un camion, c'est une voiture ! », ai-je envie de hurler, mais je me retiens. Preuve que je m'améliore.
Cette voiture, grosse, moche – et qui ressemble légèrement à un camion, je l'avoue – c'est tout ce qu'est parvenu à me trouver mon père afin de me permettre d'être un minimum autonome dans ce coin paumé. Cet achat s'est fait dans la précipitation et il m'a promis de me dénicher un véhicule plus présentable dans les semaines à venir. Et je sais qu'il le fera, parce qu'il se sent redevable du fait de ce nouveau déménagement, seulement six mois après le précédent... Alors que je commençais à peine à me faire des amis !
Enfin non, ça, c'est ce que je lui ai dit. Seulement en réalité, ça fait bien longtemps que je ne m'en suis pas fait. Sauf que pour ma défense, c'est ma cinquième école en trois ans.
Bref, j'avance vers ce que j'imagine être l'entrée du lycée, et comme d'habitude tout le monde me regarde.
Pas de gaffe, pas de gaffe...
Les inconnus me mettent mal à l'aise, et quand je suis mal à l'aise, je fais des conneries... Et là, ils me regardent vraiment tous ! C'est marqué sur mon front que je suis nouvelle ?
Je comprends, petite ville, un seul lycée, tout le monde connaît tout le monde. Donc dès qu'il y a une nouvelle, elle est repérée ! À moins que ce ne soit mes cheveux bleus... Mon père m'avait prévenue que c'était peut-être une mauvaise idée, que Laneford n'était pas New York et que cette couleur pourrait paraître extravagante, ici.
— Tu sors d'où avec tes cheveux bleus, tu te crois dans Avatar ? me crie une fille, de loin.
OK, mon père avait raison
Ça me chatouille de répondre à la nana, mais à quoi bon ? Elle s'est retournée et rigole déjà de sa blague avec ses amies. J'aurais pu lui répliquer que c'est la peau qu'ils ont de bleue dans Avatar, pas les cheveux. Mais, me connaissant, je lui aurais plutôt répondu d'aller se faire voir ! Donc c'est un deuxième bon point.
J'arrive jusqu'à la grande porte sans m'être trop fait remarquer, je m'en tire bien !
L'intérieur est... rouge. On dirait bien que c'est la couleur du lycée, puisque j'arrive dans un immense couloir au carrelage blanc et rouge, dans lequel se trouvent, de part et d'autre, des casiers, rouges eux aussi. Je suis impressionnée par la grandeur de l'intérieur, alors que je dois maintenant trouver le bureau de la direction, dans lequel je dois me présenter à 7 h 45 et il est... 8 h 20.
J'aborde le premier élève que je vois :
— Euh... excuse-moi ?
Le mec me passe devant et fait semblant de ne pas m'entendre. Je me tourne et croise le regard d'un autre élève, qui me fixe sans raison.
Je détourne les yeux, puis reviens vers lui... Non, mais sérieusement, qu'est-ce qu'il me veut ?
— Tu marches sur la lanière de mon sac, là ! s'énerve-t-il.
— Oh excuse-moi, je suis désolée !
— C'est bon...
— Euh, attends !
Il se retourne vers moi.
— Est-ce que tu peux m'indiquer le bureau du directeur ?
— Ouais, juste là !
— Merci.
Vu mon retard, je me jette sur la porte, frappe deux coups et entre.
Et merde...
J'entends déjà les rires dans mon dos. Et devant moi, les mecs me regardent, hébétés. Ce con m'a indiqué les toilettes pour hommes ! Je me retourne et m'apprête à lui en coller une, quand une voix masculine m'interpelle :
— Vous ne seriez pas Alice ?
Je lève les yeux et aperçois un homme corpulent, avec une légère couronne de cheveux à peine visible sous une calvitie bien apparente, elle.
— Et vous, réponds-je, le directeur ?
— Vous êtes en retard, suivez-moi.
Je suis ce gros monsieur en évitant les regards moqueurs des élèves qui nous entourent. Nous arrivons à son bureau et il m'invite à m'asseoir. Mon sac sur les cuisses, je regarde les cadres qui habillent les murs ; lui s'installe dans son fauteuil et m'observe. Mon regard cesse alors de divaguer pour s'orienter dans sa direction. Il est... Il me fait penser au Pingouin dans Batman. Je ne suis pourtant pas fan des comics, cette image m'est pourtant venue aussitôt à l'esprit. Petit, gros, un physique pas très gracieux.
Il me fixe, tout en restant silencieux. Sentant probablement mon malaise, il se ressaisit enfin et plonge ses yeux sur une feuille posée sur le dessus d'un dossier.
— Votre père et vous avez été bien accueillis par les habitants de Laneford ?
— Oui...
En réalité, je n'ai pas beaucoup pris le temps de me balader, et donc de rencontrer du monde. Nous vivons à la sortie de la ville et comme nous venons tout juste d'arriver, j'ai surtout passé du temps à aménager ma chambre.
— C'est bien. Vous savez, on attend beaucoup de votre père.
Je me contente de hocher la tête.
— Est-ce que je peux vous poser une question ?
Voyant que je ne réponds pas, il reprend :
— Avez-vous un lien de parenté avec Doria Miller ?
Hein, mais qu'est-ce qu'il raconte !? Pas vraiment sûre d'avoir bien entendu, mais voyant qu'il attend une réponse, je demande :
— Comment ? Mon lien de parenté, vous dites ? Avec qui ?
— Oui. Avec Doria Miller.
Il prend un temps de réflexion, comme s'il cherchait comment formuler sa prochaine interrogation.
— Vous savez... tout le corps enseignant et moi-même avons été très attristés par la disparition de mademoiselle Miller. Et vous vous en doutez, les élèves déjà présents à l'époque ont été très choqués par cette affaire. C'est pourquoi vous comprendrez que je suis en droit de m'inquiéter de la réaction de certains d'entre eux en votre présence.
Alors là, je ne comprends vraiment rien ! Le lien de parenté ? Ma présence ?
— Euh...
— Oui ?
Mais laisse-moi réfléchir, bordel ! Quand tout se bouscule dans ma tête, je me mets toujours à penser à autre chose, sans aucun rapport. Là, tout de suite, par exemple, c'est à un chaton. Mais pourquoi je pense à un chaton !?
Je reprends mes esprits et réponds :
— Euh... j'avoue ne pas très bien comprendre... Je ne connais pas la fille dont vous parlez.
— Ah pardon, vous ne connaissez donc pas mademoiselle Miller ?
— Non.
— Troublant..., marmonne-t-il.
Il baisse les yeux vers sa feuille et ouvre le dossier qui se trouve en dessous pour en étudier de nouvelles.
— Quoi ? Qu'est-ce qui est écrit sur votre feuille ?
Il relève les yeux, l'air gêné.
— Rien... Enfin, rien en rapport avec ce dont nous venons de parler.
Le directeur s'empresse de refermer le dossier et me décoche le plus grand sourire gêné qu'il m'ait été donné de voir.
— Il ne s'agit que de votre dossier scolaire. Il semblerait que j'ai fait fausse route, je vous prie de m'excuser.
Il se relève et me fait signe d'en faire autant. Il me faut quelques secondes avant de réagir et me remettre de cette situation quelque peu surprenante.
— La sonnerie a déjà retenti, Alice, il est grand temps que je vous accompagne dans votre salle de classe.
Il ouvre la porte de son bureau et m'invite à passer devant lui. Je me colle à l'encadrement de la porte pour éviter d'entrer en contact avec son gros ventre, puis commence à avancer dans le couloir, le forçant à me rattraper afin de m'accompagner jusqu'à la salle où je suivrai ma première heure de cours.
— Vous commencez avec madame Forrester, votre professeur de mathématiques, qui sera aussi votre professeur principal tout au long de cette année. N'hésitez pas à vous référer à elle si vous en avez besoin.
Je fais semblant d'être intéressée et continue d'avancer en priant le ciel pour que la classe ne soit plus très loin.
— C'est ici, me dit-il en m'indiquant la porte.
Ouf ! Ce mec a réussi à me mettre mal à l'aise, je serai soulagée si je réussis à l'éviter le restant de l'année.
Il frappe, puis ouvre la porte lorsqu'une voix féminine lui en donne l'autorisation. Voilà venu le moment tant redouté, celui que je déteste le plus au monde, celui auquel je devrais pourtant être habituée : la présentation face à la classe.
Tous me regardent avec de grands yeux, même la prof. D'accord, je suis la seule à avoir les cheveux bleus mais calmez-vous, je ne suis pas une extraterrestre !
— Hum... Bienvenue mademoiselle, s'exclame madame Forrester. Voulez-vous bien vous présenter ? Vous irez ensuite vous asseoir là-bas.
Elle m'indique une table libre en fond de classe où j'aurais envie de me précipiter dès maintenant.
Je détaille d'abord la professeure. Elle arbore une large chevelure blonde, ondulée. Elle paraît grande sur ses hauts talons aiguilles et porte un tailleur jupe qui la serre un peu trop, genre la cinquantenaire qui refuse d'admettre qu'elle a pris quelques kilos ces dernières années et qu'il serait temps de renouveler sa garde-robe. Puis je me tourne vers le reste de la classe.
— Bonjour...
J'ai chaud, je me sens rougir. J'ai vraiment horreur de ça.
— Je m'appelle Alice, reprends-je.
Là, j'imagine le grand « Bonjour Alice » général. Mais... non. Rien.
— Je viens de New York, ajouté-je, j'ai emménagé il y a deux jours, un peu plus loin en dehors de la ville...
Je me tourne vers la prof, au bord de l'évanouissement et ne sachant plus quoi dire.
— Très bien Alice, tu peux aller t'asseoir. Nous aurons le temps de faire davantage connaissance dans les jours à venir.
Le directeur salue la classe et repart en direction de son bureau, tandis que je m'installe au fond, à la place précédemment indiquée par madame Forrester.
Le cours se déroule plutôt bien et vers la fin de l'heure, certains ont même cessé de me dévisager. La sonnerie retentit, et alors que je suis penchée sur mon sac en train de lui faire avaler mes nouveaux livres et cahiers, j'entends madame Forrester demander à un certain « Alex » de m'indiquer les différentes salles de cours et de veiller à ce que tout se passe bien pour moi, aujourd'hui. Je lève la tête et vois alors le visage de celui qui répond d'un « OK » à la demande de la prof. Je dois être maudite.Il fallait que je tombe sur celui qui, une heure plus tôt, m'a fait entrer dans les toilettes des mecs !
Alors que tout le monde se lève et se dirige vers la sortie, il me regarde, l'air de m'attendre. Mais vu la tronche qu'il tire, je sens qu'il va me laisser me démerder dès que le corps enseignant sera hors de vue.
Je passe devant lui sans même me forcer à sourire et sens le poids du regard de madame Forrester jusqu'à la sortie.
Et ça ne loupe pas, une fois dans le couloir :
— Tu suis le troupeau ! me lance le fameux « Alex » tout en me dépassant. Par contre...
Il se tourne vers moi et continue à marcher à reculons avant d'ajouter :
— Si tu cherches les toilettes, demande-moi.
Puis il s'éloigne et je l'imagine en train de rire tout seul de sa blague de crétin. Je sens que la journée va être longue...
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