CHAPITRE 9

Chapitre 9

Un smoothie à la Vegemite

Avec la moiteur suffocante de cette fin d'après-midi, Noah et moi avons décidé de nous acheter des smoothies, dans le petit stand à l'entrée de la plage. Une fois nos gobelets remplis de liquide glacé et sucré en mains, nous entreprenons de marcher le long de l'océan.

Depuis le départ de Cameron, ni lui ni moi n'avons eu l'envie de briser le silence particulièrement relaxant dans lequel nous sommes plongés. Après tout, le ton répétitif des vagues qui viennent et qui repartent est déjà amplement suffisant.

Malgré cela, je peux sentir les coups d'œil de plus en plus insistants que Noah me jette. Je peux en déduire, d'après son agitation grandissante, qu'il ne va pas tarder à prendre la parole. Deux mouettes passent au-dessus de nos têtes lorsqu'il se décide enfin à ouvrir la bouche.

— Dis-moi, hum...Est-ce que Cameron te plaît ?

Je manque de m'étouffer avec ma lampée. J'aurais dû m'y attendre, mais sa question a tout de même le don de me prendre au dépourvu. Je me redresse et prends soin de me racler la gorge et de peser mes mots avant de répondre :

— Quoi ? Non, pas vraiment. Enfin, ça dépend. Mais je pense qu'il est trop... « rentre-dedans » pour moi.

Ironie du sort, étant donné que le voir me draguer m'a fait le même effet que lorsque je me contemple dans la glace. En plus, c'est mentir que de dire que je n'avais pas envie de rentrer dans son petit jeu de séduction. Mais je me contente d'enrouler ma langue autour de ma paille et d'absorber ma boisson le plus lentement possible.

Presque soulagé, Noah soupire et frotte sa paume contre sa nuque dans un tique nerveux.

— Ah, je vois.

Je sirote silencieusement pendant quelques secondes calculées, avant d'ajouter avec nonchalance :

— Mais tu sais, j'ai couché avec pleins de gars qui ne me plaisaient pas particulièrement au premier abord.

Cette fois, c'est à lui d'avaler de travers et je lui tapote dans le dos afin de l'aider à faire passer sa subite quinte de toux. Un sourire moqueur plane malgré moi sur mes lèvres lorsqu'il cligne plusieurs fois des mirettes pour rassembler ses idées, tel un bambin qui aurait une poussière dans l'œil. Il est rouge pivoine quand il parle de nouveau :

— D'ailleurs, je me demandais...Tu as cou...fait l'amour avec beaucoup d'hommes ? Enfin, tu n'es pas obligée de me répondre. En soit, ça ne me regarde pas vraiment.

Je hausse les sourcils avec surprise en prenant une profonde inspiration, que je retiens quelques longues secondes. J'ai tellement offert mon corps au premier venu qu'il ne m'appartient probablement même plus. Tellement d'empreintes le recouvrent, que le réel Moi enseveli en dessous a sans doute disparu depuis des lustres.

Un voile attristé passe sur mon visage et le frisson qui remonte le long de ma colonne vertébrale fait jaillir la chaire de poule sur mes avant-bras. Afin de cacher mon mal aise, je me contente de croiser mes bras sur ma poitrine et de balloter doucement la tête, comme si ce n'était pas quelque chose d'incroyable.

— On peut dire ça, oui. Avec des gars, des filles, les deux en même temps... Dans divers endroits, diverses positions, différents fétichismes...

— Pourquoi ?

Pourquoi ? Parce que la peur de me faire une fois de plus abandonner me lancine le ventre chaque jour de ma misérable existence et que vendre mon corps a été pour moi la seule façon d'exister. De subsister. De survivre.

Je me stoppe et me tourne vers lui. Le soleil a entamé sa Golden Hour et les couleurs chaudes sont désormais adoucies par ses rayons. Derrière Noah, l'océan est calme et sa couleur argentée et scintillante est absolument sublime. Je reviens doucement vers lui et me contente de hausser les épaules avec un certain détachement, malgré le pieu enfoncé profondément dans mon cœur ; une manière des plus atroces pour ralentir l'hémorragie.

— Est-ce que je t'ai déjà demandé pourquoi tu ne voulais que des relations sérieuses ? Non. Alors ne parle pas de choses qui ne te concernent pas.

Malgré tous mes efforts, le timbre de ma voix est amer et mon visage est fermé.

Noah comprend qu'il est allé trop loin et il s'empourpre en s'excusant. Le voir ainsi m'adouci un peu et je pince les lèvres en levant les yeux vers le ciel, consciente que je viens de plomber l'ambiance.

— Tu veux gouter mon smoothie ?

Je lui offre un sourire qui se veut sincère, afin de chasser l'atmosphère désormais pesante de cette conversation, tel un dieu qui tenterait de souffler sur des nuages d'orage pour les écarter.

Etonné que je propose un peu de ma précieuse nourriture, Noah ne se rend pas compte de mon esquive digne d'un ninja professionnel. Il se penche et ses lèvres frôlent la paille que je lui présente.

— Tu as pris quel parfum déjà ?

La façon dont ses prunelles sont soulevées dans ma direction lorsqu'il me regarde par-dessous ses cils, la paille au bout des lèvres et les sourcils relevés, fait frémir mon estomac. Je réponds dans un souffle :

— Vegemite.

Il prend une gorgée et se redresse vivement, le nez froncé et une frimousse dégoutée absolument adorable qui étire ses traits de grand gamin.

— Je croyais qu'il n'y avait que les touristes qui achetaient ce truc. C'est franchement dégueulasse.

— Eh bien moi, j'adore.

Je lui tire la langue et bois une longue gorgée du fluide au gout si particulier qui ressemble vaguement à de la banane chocolatée et au caramel sucré salé.

— Tu veux gouter le mien ? C'est celui à l'ananas, à la banane et au citron vert.

Mes glandes salivaires se mettent immédiatement en marche et j'acquiesce vivement. Comme charmée par ma moue enfantine, Noah sourit et me présente sa boisson sans jamais me quitter des yeux. Son regard est doux et chargé d'une émotion que je ne parviens pas à déchiffrer. Mais je me contente de ne pas y faire attention et j'avale deux gorgées du liquide qu'il me propose si humblement, ma main posée sur la sienne, tandis qu'il maintient le gobelet.

La fraicheur du citron vert et l'acidité de l'ananas rejoint par la banane donne un mélange délicieux. Le tout glisse dans ma gorge aussi facilement que n'importe quelle semence pas du tout érotique.

Agréablement surprise, j'écarquille les yeux.

— C'est super bon ! Encore !

Je lui arrache le smoothie des mains et continue de le siffler sans écouter ses jérémiades infantiles.

— Eh ! Rend le moi !

J'éclate de rire lorsqu'il se met à ma poursuite et nous pataugeons dans l'écume de l'eau salée qui monte jusqu'à nos chevilles. Le problème est que, chahuter avec un smoothie dans chaque main dans de la vase semblable à du sable mouvant, ce n'est pas une mince affaire.

De ce fait, Noah parvient aisément à empoigner mon poignet droit et je resserre mes doigts autour de la boisson dont le récipient opaque empêche d'en deviner le contenu. Ensuite, il me tire vers lui sans difficulté. Son autre main vient se refermer sur ma taille. Ma poitrine heurte son torse et nous nous retrouvons à une distance dangereusement réduite, comme deux danseurs de ballet sur le point de s'élancer sur la piste.

— C'est le mien ?

Il halète. Une goutte d'eau salée qui avait probablement éclaboussée son visage, glisse le long de sa pommette. Le souffle court, je me lèche les lèvres et mes prunelles dansent entre ses pupilles dilatées et ses lèvres rosées.

— J'en sais rien. Tu n'as qu'à gouter, et tu verras.

Ma voix n'est qu'un murmure et mon estomac se serre de désir et d'impatience. Noah avale sa salive avec difficulté. Je ne peux m'empêcher de trouver particulièrement sexy la façon dont sa pomme d'Adam frémis.

Sans jamais me quitter des yeux, il approche sa bouche du gobelet et en boit une longue gorgée. Il grimace avant d'ironiser d'un air dégouté :

— Vegemite.

— Ha !

Mon exclamation victorieuse est suivie d'un silence. Il sourit et je ne peux m'empêcher de ricaner à mon tour.

J'aimerais tellement prendre son visage en coupe, enfoncer mes doigts dans ses cheveux et tirer sur les racines pour l'inviter à m'embrasser. Mais les gobelets que je sers entre mes doigts me rendent invalide et je déteste ça.

Inconsciemment, Noah se lèche les babines et je me mords la lèvre en écho.

— Charlie, tu ne vas pas me faire croire que je suis le seul à ressentir cette chose entre nous.

Une chose ? Quelle chose ? A part un surplus de tissus pour une telle proximité de nos deux corps en ébullition, je ne sens rien du tout moi.

Tout à coup refroidie dans mes ardeurs, mes épaules se crispent et j'ai un mouvement de recul.

— Nous ? Nous qui ? Nous quoi ?

Il roule des yeux et fait des va-et-vient entre son corps et le mien.

— Toi et moi, idiote.

Je me dégage de son emprise et recule de quelques pas.

— Il n'y a pas et il n'y aura jamais de nous, Noah.

Une bourrasque à l'odeur salée frappe nos silhouettes. Elle apporte avec elle une légère vague qui remonte jusqu'à nos genoux. Le temps s'est subitement refroidi et le soleil disparaît successivement derrières plusieurs nuages. La plage se vide peu à peu et tous ces éléments sont les seuls indicateurs qui me rappellent malicieusement que le temps ne s'est pas arrêté.

Les couleurs sur le visage de Noah pâlissent lorsqu'il blêmi. Je devine une profonde tristesse et une frustration certaine lorsqu'il s'exclame :

— Pourquoi ? Pourquoi ne me laisses-tu pas juste une chance ? Je ne suis pas assez bien pour être ajouté à ta liste de conquêtes, c'est ça ?

C'est justement parce que tu es de loin au-dessus de mes espérances, que je refuse de prendre le risque de te perdre...

Il fait un pas dans ma direction et je recule de deux. Je serre les poings, ce qui a le don de légèrement froisser les gobelets en carton biodégradable, que je tiens toujours dans chacune de mes mains.

Parce que.

Ma réponse -qui n'en est pas vraiment une- est digne d'une gamine de maternelle. Malheureusement, elle n'a pas l'air de lui convenir et il croise les bras sur son torse, ce qui a le don de faire gonfler ses biceps.

Bon sang Charlie, concentre-toi ! Ce n'est pas le moment de divaguer.

— Ce n'est pas une réponse valable.

J'aurais dû m'en douter.

La moue sur son visage est complexe. Il semble se demander pourquoi je ne veux pas l'accepter lui, sans comprendre que c'est moi que je n'accepte pas. Je ne veux pas être un fardeau pour lui, car je sais que je lui briserai le cœur, volontairement ou non, si je me laisse aller à la douce saveur candide d'une vraie relation. Par-dessus tout, je refuse de prendre le risque de m'attacher pour ensuite me faire abandonner. Je préfère faire subir ce calvaire aux autres ; c'est bien plus facile à supporter.

Je fronce les sourcils et sers les dents en prenant soin d'éviter son regard, toujours à moitié plongée dans mes sombres pensées.

— Tu devras t'en contenter. Je ne sortirai jamais avec toi, Noah.

Ma gorge est aussi nouée qu'un nœud de marin et mon cœur est lourd dans ma poitrine. Pourtant, « le dernier des coureurs » refuse d'accepter mon refus et je frémis lorsqu'il rugit avec amertume :

— Tu es bien sortie avec Daniel pourtant !

— Et regarde comment ça c'est fini !

Dans un excès de fureur, je balance les smoothies à mes pieds et l'eau salée se mélange avec les effluves de fruits. Ma gorge est tellement serrée que j'ai l'impression que deux mains invisibles essayent tant bien que mal de m'étrangler. J'étouffe. J'ai envie de hurler. De m'effondrer. Depuis bien longtemps déjà, mes seules relations avec d'autres êtres humains se sont résumées à des flirts et des rendez-vous qui ont souvent fait suite à une partie de baise. Je refuse constamment d'aller plus loin, car je sais que si je le fais, je devrai être moi-même. Et personne n'a envie d'avoir affaire à la jeune femme brisée et lâche que je suis en réalité. Personne.

Quelle ironie ; c'est celle qui a couché avec le plus de monde qui se trouve être la plus seule.

Noah lève les bras au-dessus de sa tête pour enfoncer ses doigts dans ses boucles d'un blond cendrée. Parce qu'il est torse nu, je découvre pour la première fois un petit tatouage à l'intérieur de son avant-bras droit, qui semble être une phrase ou quelque chose dans le genre. Mais bien vite, il baisse les mains et je suis dans l'incapacité d'en savoir plus. Ainsi, il brandit un doigt accusateur dans ma direction.

Ça, c'est seulement parce que tu as pris peur et que tu as fui. Pourquoi refuses-tu de laisser une chance aux vraies relations ?

— Et pourquoi ne veux-tu pas simplement coucher avec moi, Jack ?!

Pas d'attache. Pas de faux espoir. Juste une fois, pour que je puisse m'éprendre de lui et me vider, dans tous les sens du terme. Après ; j'irai mieux. Je le sais. Ça a toujours marché comme ça avec moi. C'est un peu comme un gâteau qui a l'air succulent, mais qu'on n'aurait pas le droit de manger. Il serait présent dans chacune de nos pensées, il nous hanterait, jusqu'à l'autorisation d'en prendre une bouchée. Et finalement, le gout apparaît fade et il n'atteint en rien nos espérances. On en vient à regretter la longue et palpitante attente.

C'est comme ça que notre société fonctionne. De l'espoir d'un côté, de la déception de l'autre. Comme c'est triste. Comme c'est vide.

Ma poitrine monte et descend rapidement d'avoir crié aussi fort et je peux sentir le regard intrigué de quelques derniers passants qui se demandent probablement le sujet de notre conversation. Noah me fixe et je fais de même. Nous avons tellement de choses à nous dire, que le silence en est paradoxalement la preuve.

— Très bien.

Je sourcille face à son annonce et fronce les sourcils.

— Hein ?

Il hésite encore un peu, comme pour poser le pour et le contre. Soudain, ses prunelles déterminées viennent s'ancrer dans les miennes.

— Passons la nuit ensemble, un de ces jours, si c'est la seule chose que tu veux bien me donner.

J'avale ma salive de travers et manque de tomber à la renverse.

— Deux ?! Trois, quatre ?!

Je n'en reviens pas. Je ne pensais pas que ce serait si facile. Pourquoi accepte-t-il de cette façon, seulement maintenant, alors que j'ai l'impression que ça fait une éternité que je lui envoie des signaux gros comme des pâtés de maison ?! Où sont passés tous ses principes ? Ses caprices ? Et son beau discours sur les relations sérieuses ? Ce n'était donc que du flan ? Du bluff ? Ou bien, il a fait tout ça pour me faire tomber dans ses draps et me faire croire que c'est ce que je voulais depuis le début, alors que c'est lui qui tirait les ficelles dans l'ombre. Je dois avouer qu'il est plus malin qu'il n'y paraît.

Je sursaute, lorsque je me rends compte que Noah secoue sa main devant mon visage pour me faire sortir de mon argumentation silencieuse.

— Eh oh ! Tu es avec moi ?

— Euh, oui.

Je me racle la gorge et je cligne plusieurs fois des yeux pour me recentrer sur Noah. Celui-ci pince les lèvres et frotte ses mains l'une contre l'autre en abaissant sa vision vers ses pieds.

— J'ai tout de même une condition.

Je me fige et mes épaules s'affaissent.

— J'aurais dû le voir venir...

— En échange, promets-moi que tu reconsidèreras le fait de sortir sérieusement avec quelqu'un.

L'incompréhension revient à la charge. Elle traverse mes veines aussi vite qu'une coulée de magma dans le cœur d'un volcan en éruption.

— Mais...

— Promis ?

Je cligne plusieurs fois des yeux mais rien n'y fait, je suis bel et bien éveillée.

— Pourquoi ?

Il prend mes mains en coupe dans les siennes, comme s'il était sur le point de me demander en mariage, pour ensuite revenir à mon visage avec tellement de peine et de tourment que je ne sais plus quoi en penser.

— Promets-le moi, Charlie. S'il te plait.

Sa voix se brise en écho avec la vague qui se casse sur nos jambes toujours enfoncées dans l'océan. Ses yeux, quant-à-eux, sont couverts d'un voile humide et le contour de ceux-ci est écarlate. On dirait que cette décision lui brise le cœur et lui arrache toute sa joie de vivre. Je ne comprends pas. Pourquoi me dire oui, si c'est pour le regretter ? Pourquoi Noah Wilson est-il un personnage si compliqué ? Et pourquoi a-t-il fallu que ce soit lui que j'embrasse, et non un de ses stupides camarades tel que Cameron par exemple ? Au moins, avec lui je sais qu'une histoire d'un soir aurait amplement suffi pour me faire pardonner de ce baiser forcé.

Mes épaules s'affaissent et je me sens faiblir, n'étant plus si sûre que coucher avec lui est vraiment ce que je veux. Un peu comme deux inconnus, qui se sont rencontrés à une soirée trop alcoolisée et qui ne connaissaient même pas le nom de l'autre.

Pourtant, c'est comme ça que j'ai toujours fonctionné. Alors ça ne devrait pas me poser de problème, pas vrai ? Et j'en ai réellement envie, non ?

Mon cerveau parle avant mon cœur et je me contente de hocher le menton en reculant d'un grand pas, afin de rompre le contact.

— D'accord. Marché conclu.

A suivre...


J'A-DORE ce chapitre! Je ne sais pas qui l'a écrit, mais cette personne mérite des applaudissements.

Non, plus serieusement, que pensez-vous de la relation de Charlie et de Noah?

De l'envie de Noah de se mettre en couple?

De la réticence de Charlie? 

Des théories du pourquoi elle se comporte de cette manière?

Et que pensez-vous du compromis de Noah?

On se retrouve dans quelque temps pour la suite.

D'ici là, peace and love, et n'oubliez pas de rêver de moi!!!

...

7DreamUniverse

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