CHAPITRE 3
Chapitre 3
Deux Wraps chez Hungry Jack's
Ce soir, le temps semble s'être figé dans le ciel. Les volutes de nuages s'étalent comme de la fumée de craie poudreuse sur un tableau noir. De plus, quelques éclats de pépites dorés s'accrochent ici et là dans le dôme que les humains ont nommé « ciel nocturne ». Le vent salé se lève de temps à autre et une lointaine odeur d'océan vient parfois chatouiller mes narines. Le lampadaire penché au-dessus de ma tête comme un vieillard bossu crépite une nouvelle fois lorsque je soupire avec une certaine satisfaction.
En effet, le reste de burger que je tiens dans ma main désormais couverte de graisse et de sauce est fumant et particulièrement mauvais pour la santé : ce qui le rend d'autant plus exquis. Avec quelques regrets, j'enfourne la dernière bouchée et ferme les yeux en laissant échapper un gémissement conquis, lorsqu'il glisse dans ma gorge comme de l'huile.
Je me trouve assise sur une marche bien inconfortable pour mon fragile fessier, à l'extérieur de chez Hungry Jack's. Les dernières voitures quittent le parking lorsque j'attaque ma glace. Au même moment, je perçois le bruit d'une porte qui s'ouvre et qui se ferme et je ne me retourne pas en entendant Noah saluer ses collègues et sortir du restaurant.
D'un pas hésitant, il parvient à ma hauteur. Je lève mon regard vers lui et en croisant le sien, je suis surprise de découvrir le sourire sincère qui m'est destiné, étayé par la douce lueur de la lune.
— Je ne pensais pas que tu m'attendrais pour de vrai. Ca me touche.
Son timbre est faussement ému et il extrapole la chose en faisant mine d'essuyer une larme qui coulerait dans le coin de son œil. En réponse, je secoue la tête et lui tend ma paume ouverte, qu'il jauge sans comprendre.
— Je voulais que tu me rendes ma monnaie. C'est tout.
Son sourire fane légèrement, mais il se contente de passer sa main dans ses cheveux.
— Trop tard. Il fallait y penser avant.
Puis, il oriente son regard vers les étoiles et ajoute après quelques longues secondes :
— Tu m'attendais. Avoue.
Sa provocation immature me pique à vif et je me dresse d'un bond comme une enfant dont on viendrait de critiquer la coiffure.
— Non, c'est juste ma façon de faire les trottoirs.
Amusé, il ouvre les bras en grand, telle une invitation à venir me nicher contre lui.
— Ca tombe bien : me voici !
Je croise les bras sur ma poitrine.
— Arrête de rêver, tête de homard. Je ne t'attendais pas. Je mangeais juste mon dîner.
Intrigué, il hausse un sourcil avec moquerie.
— Par terre ?
Je pousse un soupir agacé avant de lui expliquer de nouveau :
— Tu n'écoutes pas ce que je dis. Je faisais les trottoirs et euh...je mangeais mon dîner en même temps. C'est cohérent, non ?
Ma voix raisonne comme celle d'une stupide gamine qui refuse d'avouer ses torts et il pouffe face à ma mauvaise fois.
— Tu me désespères.
Je hausse les épaules, avale une nouvelle bouchée de la glace délicieusement trop sucrée que je tiens dans ma main et me mets en marche. Etonné, il me suit.
— Où vas-tu ?
Je n'ai pas adopté de chien que je sache. Je roule des yeux et lui jette un coup d'œil par-dessus mon épaule.
— Bah...je rentre chez-moi, stupide poivron jaune. Et toi, tu vas où ?
Il regarde un peu autour de lui. La nuit est noire, la lune vient de disparaitre derrière un nuage, les rues sont désertées et les lampadaires ont beau être présents, ils ne suffisent pas à être pleinement rassurants.
— Je vais par là aussi.
Il ment. Je le sais mais je ne dis rien. Il le nierait de toute façon.
— Si tu le dis.
Ses pas lents raisonnent tandis qu'il marche derrière-moi tel un prédateur et le grincement du bois de la passerelle que nous traversons fait chanter la nuit silencieuse. Le bruit de l'eau me relaxe, alors je ralentis légèrement pour observer le courant chatouillé par le reflet des lumières ici et là, comme un ciel constellé de cristaux cachés dans les profondeurs. Tout autour, les éclats de la ville endormie viennent contraster la végétation omniprésente. Etant une rêveuse confirmée, je ne peux m'empêcher d'admirer quelques longues secondes ce spectacle paisible et relaxant.
Soudain, je sens une présence à mes côtés et je me souviens tout à coup de l'existence de mon escort boy. Je tourne légèrement la tête vers lui et je suis un peu surprise de constater que, le menton relevé et les mains agrippées à la rambarde lui faisant face, il observe avec attention la voûte céleste étendue comme une toile au-dessus de nous.
Mon regard est abaissé vers l'océan, le sien se lève en direction du ciel.
Ses yeux brillent, pareils à des diamants, et des tâches dorées dansent dans ses prunelles. De plus, ses boucles retombent un peu sur son front et ses lèvres sont rosées et rebondies. Enfin, de nombreux petits grains de beauté sont éclaboussés comme des comètes le long de sa peau hâlée.
Je souris en me disant que le plus jolie des ciels étoilés se trouve juste à mes côtés.
— Je sais que je suis à tes gouts, mais ça me gêne un peu que tu me fixes comme ça, depuis bientôt cinq minutes.
Je sursaute face à sa remarque et secoue vivement la tête.
— Tu racontes n'importe qu...
— Ah ouais ? Alors pourquoi c'est moi que tu as embrassé l'autre jour et non l'un de mes amis juste à côté ?
Il me prend au dépourvu, alors je grimace en enfonçant mes doigts dans mes cheveux.
— Euh...
Un drôle de son sort de ma bouche et s'éteint presque aussitôt, comme le ferait la cendre enflammée d'un feu de bois qui viendrait s'écraser sur le sol.
A vrai dire, je ne le sais pas moi-même. Dan, mon ex petit-ami, allait bientôt arriver à ma hauteur et ce groupe de garçons à mes côtés était ma seule échappatoire. Alors pourquoi Noah ? Je n'en sais rien. Peut-être parce qu'il y avait, refoulé quelque part dans son regard, la même étincelle de chagrin que dans le mien, malgré le sourire aux allures sincère plaqué sur son visage.
J'ouvre la bouche mais il m'interrompt :
— En fait, je ne veux pas savoir. Ça détruirait le mythe.
Il s'agite beaucoup, comme à son habitude, et il se frotte les poignets puis le cou dans un tique nerveux tout en continuant :
— Je suis juste heureux qu'une jolie fille comme toi se soit, ne serait-ce qu'un peu, intéressée à un type comme moi.
Il fait des va-et-vient entre son corps et le mien, puis il m'offre un drôle de sourire : aux abords naturel, mais en réalité quelque peu attristé.
— Je veux dire...regarde-toi et regarde-moi !
Sans un mot, je m'exécute. Ses épaules sont bien construites, plutôt fines pour un gars de son âge, mais elles vont bien avec sa carrure : ni trop carrées, ni trop athlétiques. Son T-shirt aux manches courtes est rentré de moitié dans son pantalon comme s'il s'était changé à la va vite, et la forme de ses hanches me plaisent. D'ailleurs, son pantalon un peu serré m'offre la vision de ses jambes agréablement tournées pour un garçon et de ses longs pieds enfoncés dans des baskets plates défoncées dans tous les sens du terme.
Je remonte à son visage avec la soudaine et secrète envie de mieux découvrir ce corps si plaisant à l'aide de mes mains.
— Je ne vois pas pourquoi tu te déprécies comme ça. Tu ferais un partenaire sexuel idéal.
Aussi vite qu'une explosion, il devient rouge cramoisi jusqu'aux oreilles et il se cache le visage avec ses mains, tel un bambin qui jouerait à cache-cache et qui croirait ainsi disparaître.
— Tu devrais sincèrement trouver un juste milieu entre les moments où tu mens comme tu respires et ceux où tu es diablement trop franche.
Je fourre mes mains dans mes poches et hausse les épaules.
— Si tu le dis.
Soudain, mon regard est attiré par le sachet plastique avec le logo Hungry Jack's accroché à son poignet. Surprise de ne pas l'avoir remarqué plus tôt, je hausse les sourcils et lui fais remarquer :
— Tu m'as dit que tu n'aimais pas les sandwichs.
Il suit mon regard.
— Ah, ça ! Ce ne sont que des Wraps.
Un blanc. Je m'approche de deux grands pas et me penche afin de le regarder par-dessous, étant donné que sa vision est abaissée en direction le sol.
— Ca ne répond pas à ma question.
Il hausse les épaules et évite mon regard tandis que je suis à la recherche du sien.
— C'est pour ma petite sœur.
— Cool !
Mon exclamation l'intime à continuer, ce qu'il ne fait pas. Alors, nous reprenons notre marche sans mots dire. Les bars se remplissent, les petits magasins ferment leurs portes et les voitures sifflent au loin. Le silence se prolonge et me rend mal à l'aise.
De ce fait, tandis que nous traversons un espace vert, je ne peux m'empêcher de lancer des petits coups d'œil discrets en direction de Noah. Il se tient un peu incliné en avant lorsqu'il marche : c'est peut-être pour ça que j'ai d'abord cru qu'il n'était pas très grand. Les mains dans les poches et les épaules affaissées, il semble être plongé dans ses pensées.
Malgré ça, je remarque qu'il calque inconsciemment ses pas sur les miens tout en marchant assez loin pour ne pas que je me sente oppressée mais assez proche pour me faire part de sa présence. Un drôle de gentleman.
Cependant, la question qui me brûle les lèvres depuis bien trop longtemps maintenant finit par s'échapper :
— Dis-moi, pourquoi ça t'embête que je parle de ta petite sœur ?
Il s'arrête brusquement.
— J'habite ici. Salut !
Un profond silence suit ses propos, puis un coup de vent vient refroidir nos corps un peu moites en raison de cette tiède nuit. Malgré son annonce, Noah ne bouge pas d'un poil. Dans un sens, ça ne m'étonne pas : en effet, le problème, c'est que nous nous trouvons actuellement devant les balançoires grinçantes et le toboggan couvert d'électricité statique d'un parc inoccupé par l'heure tardive. Ainsi donc, il n'y a aucune habitation dans les parages.
Les yeux de Noah sont dirigés vers moi mais à l'évidence, son regard vitreux m'apprend qu'il ne me voit pas. Afin de le réveiller un peu, je le secoue par le poignet.
— Jack, écoute...
— Moi, c'est Noah.
Je me retiens de rouler des yeux.
— Noah. A vrai dire, je m'en fous pas mal de tes histoires de famille. J'ai déjà les miennes à gérer, alors... Bref. En tout cas, tu dois savoir que tu peux compter sur moi...
Une brève lueur d'espoir quelque peu naïve allume ses billes chocolatées.
— ...si ta petite sœur n'arrive pas à finir ses Wraps.
L'illumination fait un plat monumental et la tête de Noah avec ses yeux écarquillés et sa bouche en O est à mourir de rire. Je ne peux pas me retenir et j'explose de rire. En écho, tout comme le ferait le reflet d'un feu d'artifice dans un lac, l'hilarité de Noah vient se calquer sur la mienne.
Il est beau quand il rit. Ses paupières se plissent, des tâches cramoisies viennent étayer son visage, ses cheveux s'ébouriffent, sa bouche s'ouvre en grand et surtout, ses prunelles noisette se colorent d'un éclat doré. J'aime bien quand il rit. Lorsqu'il se laisse aller à de pareilles gaietés, le galet se transforme en diamant. Ainsi, il semble si insouciant. Si heureux.
J'aimerais tellement lui ressembler...
Lorsque nous finissons par nous calmer, mon estomac me fait mal et j'éprouve des difficultés à reprendre mon souffle. C'est seulement quand je me redresse un peu et que Noah me lance un regard comblé, que je réalise à quel point nous sommes proches et au combien il sent bon.
Après avoir bossé toute une soirée à Hungry Jack's, n'importe quel humain aurait empesté la friture et la sueur - même si, pour moi, ce genre de senteur est tout à fait honorable. Mais apparemment, ce n'est pas le cas de Noah Wilson. Pourtant, c'est bien son odeur naturelle que perçoivent mes narines et non celle d'un quelconque déodorant. Malgré cela, j'apprécie son parfum. Il est agréable. Masculin. Vrai.
Soudain, profitant de ma transe, il me prend ma cuillère en plastique des mains et engloutie une énorme bouchée de ma précieuse glace aux M&M's à moitié fondue.
— Ca, c'est pour le coup de coude de l'autre jour.
Tandis que je m'indigne, il ricane, me regarde longuement comme pour poser le pour et le contre de je ne sais quoi, puis pose le dos de la cuillère sur ma joue. Là, il y étale une grosse trace de glace et je sursaute face au contact glacé et particulièrement désagréable.
— Et ça, c'est pour le baiser volé.
Ses yeux brillent de contentement et il éclate de rire en se pliant en deux face à ma grimace scandalisée. Alors, refusant de le laisser mener la dance de cette façon, je croise les bras sur ma poitrine et hausse un sourcil.
— Lèche.
— Hein ?
Son rire se transforme en quinte de toux et son enthousiasme disparaît lorsqu'il rencontre mon visage fermé à toute plaisanterie. Alors, je pointe mon index en direction de mon visage, toujours couvert d'un liquide blanc et tiède.
— On ne joue pas avec la nourriture. Alors lèche.
La nuit a beau être particulièrement sombre dans cette zone de la ville, je peux deviner à quel point ses pupilles sont dilatées et à quelle vitesse diverses pensées traversent son esprit. Il avale sa salive avec difficulté et je le vois faiblir lorsque ses pommettes rougissent.
Un sourire victorieux vient danser sur mes lèvres et je hisse mes mains sur mes hanches.
— Tu t'avoues déjà vainc... ?
Il me coupe la parole tout en s'approchant d'un grand pas afin de me surplomber de toute sa hauteur.
— Non ! Bien sûr que non !
A mon tour, je m'avance d'un air taquin.
— Alors, qu'attends-tu ?
Ma voix a baissé d'un ton et mes yeux ne quittent pas les siens. Nous sommesdésormais si près que la pointe de mes seins frôle son buste. De plus, mon assurance se transforme en sensualité et je cligne plusieurs fois des mirettes tout en remettant avec nonchalance une mèche de mes cheveux derrière mon oreille afin de libérer mon cou désormais imbibé du liquide sucré.
— Dépêche-toi Noah : j'en ai partout.
Sa respiration accélère et caresse mon visage tandis que je jubile silencieusement de le mettre dans tous ses états de cette façon. C'est jouissif.
— Ne...ne bouge pas.
Il me lance un dernier regard comme pour être sûr que je suis d'accord, puis il m'agrippe timidement par la taille et je me presse contre lui. Malgré ses allures hésitantes de petit garçon, je peux sentir qu'un peu plus bas, je lui fais un sacré effet. Je ferme les yeux.
Ainsi, il approche sa bouche de ma joue et son souffle effleure ma nuque dans un fiévreux supplice tandis que ses lèvres ne sont qu'à quelques millimètres de ma peau sucrée-salée. Dans une telle position, il reste immobile. Longtemps.
Après quelques secondes d'hésitation qui me paraissent insupportables, il se redresse, essuie finalement la glace avec le gras de son pouce puis le porte à sa bouche. Là, il enroule sa langue autour de son doigt comme pour me narguer, sans jamais me quitter des yeux.
Figée, je déglutis avec peine, la mâchoire serrée. Ainsi, il m'offre un petit sourire.
— Bonne nuit Charlie.
Attends, c'est tout ? Sérieusement ?!
C'est lorsqu'il fait demi-tour pour s'éloigner que je cligne de nombreuses fois des yeux pour me rendre compte de ce qu'il vient de se passer.
Avant qu'il ne soit trop loin, ma voix parvient à ses oreilles lorsque je lui demande :
— Tu vas où comme ça?
Il fait brièvement volte-face et je devine son gloussement gêné lorsqu'il se gratte le haut du crâne tout en marchant à l'envers.
— Chercher ma voiture ! Je l'ai laissé sur le parking de chez Hungry Jack's. A plus Charlie !
Ainsi, il se retourne et disparaît dans l'obscure clarté qui tombe des étoiles. Mes sourcils se haussent, mes épaules s'affaissent et mon estomac frétille. Et malgré tout ce que j'ai mangé ce soir, je reste sur ma faim.
Nouveau. Frai. Etoilé. C'est un bien drôle de ciel qui s'étend au-dessus de l'océan ce soir.
A suivre...
Hey tout le monde!
Héhé...
Est-ce que l'image de la glace éclaboussée partout sur le visage de Charlie était assez explicite?
Voilà un Chapitre qui devrait vous laisser "sur votre faim", n'est-ce pas?
Bon allez, j'arrête les mauvais jeux de mots.
Plus sérieusement: merci beaucoup pour vos lectures et vos retours de plus en plus nombreux.
Ils me comblent de bonheur!
On se voit dans quelques jours pour la suite.
Kiss kiss!
...
7DreamUniverse
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