1.6 - Mirror

Tell the mirror what you know she's heard before
I don't wanna be you anymore

×××

L'eau glacée éclaboussa légèrement le bas de mes jambes pendant quelques secondes, me faisant frissonner.
Quand elle fut un peu plus tiède, je fis un pas en avant et refermai complètement la porte vitrée de la toute petite douche.

J'observai le liquide transparent rougir momentanément après avoir coulé sur ma tête, puis s'éclaircir à nouveau.
L'effet se répéta lorsque je frottai doucement mes cheveux et mon front, l'eau devenant de plus en plus chaude.

Je finis par baisser un peu la température. 
La chaleur était agréable sur les muscles tendus de mon dos, mais nettement moins sur le dessus de mon crâne.

Mon reflet déformé sur la surface métallique et arrondie du mitigeur capta mon attention pendant une seconde et mes lèvres se pincèrent.
J'avais essayé de ne pas me regarder dans le miroir en entrant dans la petite salle de bain, mais je ne pouvais pas éviter mon reflet indéfiniment.

Elles étaient plus grandes que lorsque j'avais quitté mes parents, nettement. Même comme ça, dans cette image déformée, je pouvais le voir.

Je pris une légère inspiration et posai précautionneusement mon poignet contre ma tête, à côté de l'une d'elles, tendant ma main pour qu'elle la longe jusqu'à la pointe.
Elles partaient un peu en arrière.

Je collai mon pouce à l'endroit où le bout effilé rencontrait la pulpe de mon index et ramenai ma main devant moi pour me rendre compte de la taille de ce que j'avais à présent sur le crâne.
Je ne pus m'empêcher de grimacer en constatant qu'elles avaient bien dépassé la longueur de ma paume. Un bonnet ou une capuche ne les masquerait plus.
Et je ne savais pas exactement quand elles allaient s'arrêter...

Je n'avais plus mal intensément comme plus tôt dans la journée, mais je les sentais encore tirailler, comme une faible poussée de croissance, comme si elles cherchaient à s'étirer encore.
En tout cas, elles ne semblaient plus causer de soucis au niveau de ma peau. Cette dernière était devenue bien moins sensible et avait complètement arrêté de saigner.

Je refermai le poing et les yeux dans un même mouvement, pendant un instant, essayant de ne pas me laisser abattre.
Je ne pouvais pas passer mon temps à me lamenter sur mon sort, surtout pas avec tout ce que j'avais appris durant cette dernière heure, et tout ce que cela impliquait.

Je me forçai à bouger plus rapidement et me lavai en vitesse tout en repensant à la conversation qui s'était tenue dans la pièce d'à côté quelques minutes plus tôt.

- Tu mens...

×

- Tu mens...

Moonbyul soupira et se laissa retomber sur le tapis, s'éloignant de moi pour revenir vers le divan usé.

- Écoute, une fois le choc passé, tu t'apercevras bien par toi même que nous sommes sains d'esprit. Ça fait bientôt deux ans que je connais Yoongi, trois pour Namjoon. Leur hygiène n'est pas toujours irréprochable et ils laissent traîner leurs chaussettes, mais ils n'ont jamais levé la main sur personne en dehors de la Cage.

Namjoon fronça légèrement les sourcils et son pied alla effleurer le bras de la jeune femme.

- Ne va pas trop vite dans tes explications Moon, gardons la Cage pour plus tard.

Je les avais écoutés avec des yeux ronds, le rythme cardiaque affolé et les méninges en feu.

Les mutants ne devenaient pas fous.

Les mutant ne devenaient pas fous...
Ils semblaient en être la preuve vivante et pourtant... Nous avions tous vu tant d'images, il y avait tellement de témoignages, de familles qui avaient été massacrées par leurs enfants en tentant de les cacher, et cet homme à quelques jours de Noël, cette chose...

J'étais tellement perdu que je n'avais même pas eu la force de relever ce qu'ils avaient dit à propos de la Cage à ce moment-là. J'avais juste l'impression de m'être pris une tonne de briques sur le coin du visage, d'avoir été assommé.

- Je... Je vois bien que vous n'êtes pas fous... concédai-je. Mais je ne le suis pas non plus... J'ai vu des choses...

- J'ai vu des choses aussi.

Les deux autres s'étaient retournés vers Yoongi qui venait de parler sur un ton grave, me coupant sans aucune hésitation.
Ce mec me filait la chair de poule.

Il observa d'ailleurs dans un silence de marbre le frisson qui me parcourut, et je ne pus que me replier davantage sur moi-même, ne pouvant pas aller plus en arrière.

- On en a tous vu ici, reprit-il. Pas seulement dans cette pièce, tous ceux qui sont ici. On a tous vu des choses qui contredisent tout ce qu'on t'a appris dans ton petit monde parfait.

Légèrement dissimulée par la peur, je sentis une pointe de colère me parcourir. Elle était trop étouffée pour que je puisse le montrer, alors je restai juste prostré contre la porte. Mais elle était là.
De quel droit se permettait-il de juger ma vie ? Mutant ou pas, il ne me connaissait pas.

- Ma famille avait compris, lâcha simplement le jeune homme après un nouveau silence.

Il hésita une seconde, comme s'il n'était plus très sûr de vouloir poursuivre, puis il continua sur le même ton sinistre.

- Quand j'ai développé mon don, mes parents m'ont caché et ils ont compris que je n'allais pas me transformer en bête sauvage, en monstre. D'autres familles l'ont compris elles aussi. Et tu sais ce que j'ai vu, Jimin ? Tu sais ce que tous les autres gamins dans mon cas ont vu ?

Il avait l'air en colère, pour de vrai contrairement à moi, crachant presque mon prénom et ses petits yeux noirs me fixant furieusement, toute hésitation envolée.
J'avais très légèrement secoué la tête, à nouveau tétanisé.

- J'ai vu des agents spéciaux débarquer chez nous après que mes parents aient essayé de prévenir du monde. Un appel à l'hôpital pour leur faire part de mon cas et c'était terminé. Je les ai vus tuer mes parents et mes sœurs. Mes petites sœurs qui n'étaient au courant de rien.

Les deux autres avaient l'air gênés mais pas surpris, ils connaissaient visiblement cette histoire. Je les vis fixer leurs pieds du coin de l'œil.
Mais mon regard à moi n'arrivait pas à se détacher de Yoongi. Je n'arrivais pas à imaginer ce qu'il avait pu vivre. À vrai dire, je n'en avais pas envie.

- Je me suis enfui, poursuivit le petit brun. Mon don m'a permis de leur échapper. Et j'ai vu mon nom dans le journal quelques jours plus tard. "Une autre famille a essayé de cacher un enfant mutant en pensant pouvoir déjouer son destin funeste. Le jeune Min Yoongi a perdu l'esprit malgré tout, comme les autres malades, et les a tous tués."

Des histoires comme celle-là, j'en avais entendu des dizaines.
J'avais souvent lu des gros titres de journaux similaires, et j'avais surpris des conversations entre mes parents, entendu ma mère raconter ses journées...
Tout à coup, tout prenait un sens différent, révoltant. À vomir.

- Je... suis désolé... soufflai-je malgré ma nausée.

Je sentis mes yeux brûler et mon visage se déforma malgré moi. Yoongi n'eut pas l'air de comprendre pourquoi.
Il perdit un peu de sa colère pour afficher une expression décontenancée.

La culpabilité m'avait serré la gorge avant que je comprenne pourquoi.
Mais il me suffit de penser à elle pour que tout soit soudain très clair.
J'imaginai un instant ma mère, son arme de service à la main, visant le front d'une jeune fille parfaitement humaine, d'un père de famille, d'une autre mère...

Peut-être même de celle de Yoongi.

×

Je posai une main sur le carrelage frais devant moi pour compenser le léger vertige qui venait de me frapper.

J'aurais aimé pouvoir parler à mes parents maintenant, après avoir entendu tout ça.
Peut-être que ma mère aurait eu une explication... Peut-être que c'était Yoongi qui était dans l'erreur...?

Je soupirai silencieusement, essuyant un peu d'eau qui avait coulé sur mes yeux.
Au fond de moi, je savais que le seul qui mentait ici, c'était moi. À moi-même.
Je ne croyais même pas ce que je disais.

Et si je ne les avais pas cru eux, je n'aurais pas eu l'impression de voir mon monde s'écrouler une deuxième fois.
Je n'aurais pas lamentablement vomi tout à l'heure dans la pièce principale, foutant en l'air mon jean et ce qui me restait de crédibilité.

Au fond de moi, je savais ce que j'avais sous les yeux.
Il s'agissait du secret sombre d'un pays qui croulait sous les problèmes.

Les mutations sur des êtres humains étaient apparues en Corée du Sud uniquement et se répandaient très peu à l'extérieur du pays depuis une trentaine d'années.
Officiellement, on ne savait pas ce qui les causait. Des scientifiques avaient expliqué qu'être exposé à des mutants favorisait sûrement la contamination.
D'autant plus chez des jeunes sujets, puisque leur corps était en pleine évolution, leur division cellulaire et la duplication de leur ADN fonctionnait à un rythme soutenu. Le moindre petit changement pouvait se répandre très vite et prendre racine.

Cette sorte de contagion par exposition prolongée expliquait pourquoi ce qu'on appelait parfois une épidémie se répandait autour d'un épicentre. Daegu.
Le gouvernement disait être à la recherche du patient zéro pour trouver un remède...

Mais peut-être qu'il ne s'agissait pas d'un "patient" zéro.
Si les forces spéciales essayaient de faire taire ceux qui clamaient que les mutants ne devenaient pas fous, s'ils voulaient à tout prix faire vivre ce mythe, il devait y avoir quelque chose de plus gros caché là dessous.

- Qu'est-ce qu'ils ne veulent pas qu'on découvre...?

C'était ce que j'aurais pu essayer de demander tout à l'heure, mais Moonbyul s'était levée, s'était avancée vers moi et j'avais pris peur.
Elle n'avait pas eu l'air hostile pourtant, mais tout mon être était terrifié par sa proximité, par ses yeux trop nombreux, par son expression contre nature.

Je sortis de la douche assez rapidement, ne voulant pas m'attirer les foudres de qui que ce soit en prenant trop d'eau chaude.
De toute façon, je n'aimais pas vraiment passer des heures sous l'eau comme certains.
Seulement je n'avais aucune envie de ressortir de la petite pièce.

J'attrapai une serviette grise sur une étagère sous le lavabo et la passai avec précaution autour de mon cou pour masser les cheveux humides qui tombaient sur ma nuque sans accrocher mes cornes.

Je baissai les yeux vers mes vêtements par terre.
Il ne restait plus que mon vieux sweat bleu, mon pantalon gris avait été emporté et remplacé par une pile de tissu noir à l'air confortable, et propre pour changer.
La porte de la salle de bain n'était pas visible depuis la douche, et inversement. Elle n'avait pas non plus de verrou.
Pouvoir s'enfermer dans une pièce dans une cellule n'aurait pas été une très bonne idée.

Quelqu'un avait dû entrer discrètement pendant que je me trouvais sous l'eau et déposer ces rechanges pour moi.

Je n'avais pas envie de les mettre.
J'avais conscience que mon jogging n'était plus mettable, qu'il s'agissait presque d'un caprice, mais pour moi, ces nouveaux vêtements étaient mon uniforme de prisonnier.

Une fois à peu près sec, je me penchai donc pour attraper mon sweat et le ramener jusqu'à mon visage, l’écrasant contre mes traits fatigués.
Ainsi coupé du monde et entouré par une odeur familière, il était un peu plus facile de me calmer. Le tissu bleu ciel sentait encore comme la maison... Comme cette bougie à la cannelle que mon père m'avait offert après sa première visite dans mon appartement, cadeau que je n'avais jamais très bien su comment prendre. Il sentait encore un peu le parfum de ma mère sur le col, mais cela s'effacerait bientôt, il ne s'agissait que des traces de sa dernière étreinte, elles étaient déjà difficiles à distinguer.

Je sentis une brûlure familière remonter le long de ma gorge, et même si mes yeux me firent mal une seconde, je ne pleurai pas.
J'avais déjà laissé couler beaucoup de larmes aujourd'hui, et je n'avais rien bu ni rien avalé. J'étais déshydraté et fatigué. Tellement fatigué...

J'écartai le vêtement de mon visage et essayai de penser rationnellement.
Je pouvais prendre le pantalon et les sous-vêtements qu'on m'avait apportés et garder mon sweat, de cette façon, j'aurais encore un petit quelque chose à moi.

J'attrapai donc le boxer simple et uni qui trônait sur la pile et l'enfilai avant de déplier le pantalon qui se trouvait en dessous d'un pull semblable à celui que portait Namjoon.

J'étirai la taille avec deux doigts et estimai qu'il devrait m'aller.
De toute façon, il y avait une ceinture avec.
C'était un pantalon sombre, coupe militaire, fait avec un tissu épais mais qui ne gênait pas les mouvements. Le genre avec plein de poches.
Je voulu en ouvrir une mais fronçai rapidement les sourcils.
Elles avaient toutes été cousues.

Pourquoi perdre du temps à faire une chose pareille...? Un pantalon sans poche aurait fait l'affaire, non ?
J'observai un instant le vêtement, perplexe, mais finis par l'enfiler lui aussi. Au moins, il était confortable.

J'attrapai ensuite mon sweat et le fis passer par dessus ma tête, machinalement, soupirant en sentant le tissu s’accrocher et arrêter de descendre, ma nuque partant légèrement en arrière à cause du tiraillement inattendu.

S'ensuivit un moment légèrement gênant pendant lequel j'essayai de me vêtir correctement, la tête coincée à mi chemin dans le vêtement.
Il allait falloir que je m'habitue à ça...

Juste avant que je parvienne à émerger par le col sans déchirer mes affaires, un bruit métallique résonna sur le carrelage blanc de la petite pièce. J'avais clairement entendu quelque chose rebondir, puis rouler sous le meuble à serviettes.

J'ajustai mes manches et me penchai à ras du sol, passant une main en dessous dudit meuble.
Avais-je oublié une pièce dans mes poches ?

Mes doigts se refermèrent effectivement sur un petit objet circulaire, mais il ne s'agissait clairement pas d'un won.
Je me redressai en l'emportant avec moi, la gorge serrée.

C'était une bague.
Elle était assez fine pour un bijou masculin, avec une base noire, puis une couche d'arabesques d'argent tout autour.
Je l'avais souvent vue à la main de mon père. Il la tenait de ma grand-mère, et il ne l'enlevait jamais, sauf pour la nettoyer avec attention ou pour passer les portiques de sécurité à l'aéroport.

Il avait dû la glisser dans ma poche en m'embrassant avant que je parte...
J'essayai de la faire passer autour de mes doigts, mais ma main n'avait pas tout à fait le même gabarit que celle de mon père. Mes petits doigts avaient beau être trop boudinés à mon goût, le bijou flottait autour.

Je relevai le regard vers la glace, enfin.
Mes yeux cernés attirèrent premièrement mon attention, puis cette dernière se dirigea irrémédiablement vers le dessus de mon crâne.
Sans bien savoir ce que je faisais, je levai une main au dessus de ma tête.

La bague se glissa le long de ma corne gauche avec facilité, tranchant sur la pâleur d’un os aussi circulaire qu’elle.
Elle s'arrêta à peu près au milieu et je forçai légèrement, pour la coincer.

Elles avaient l'air un peu moins étrangères de cette façon. Moins démoniaques avec un peu de mon père dessus.

Je n'étais pas censé pouvoir encore pleurer.
Mais je le fis quand même.


×××

Pour avoir déjà porté des cornes pendant quelques jours, je peux vous dire que Jimin va galérer.

Un mur ? Bang.
Un pilier ? Bang.
Encadrement de porte ? Bang.
S'allonger sur le dos ? Nope.
Se pencher en avant et se redresser ? Périlleux.

L'avenir lui réserve un paquet de sursauts x)

Aucun rapport, mais avez-vous remarqué les citations de début de chapitres ?
Elles ont toutes un point commun pour l'instant huhu 🤭

À mercredi prochain pour le chapitre suivant :3
💜

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