1.3 - Better place

Walkin' out of town
Lookin' for a better place
Something's on my mind
Always in my headspace

×××

- Hyunseok, s'il te plaît lâche-le, ils sont là.

À ces mots, les mains de mon père se serrèrent encore un peu plus autour des miennes.
Il était dévasté, complètement.
Il levait les yeux vers ma mère qui semblait plus calme. Nous savions tous qu'elle ne l'était pas réellement.

- Papa, c'est la meilleure chose à faire, répétai-je encore une fois. C'est là-bas que j'aurai le plus de chances d'être soigné, tu le sais.

Il hocha la tête à travers sa confusion et il leva une main qui hésita une fois arrivée au niveau de ma tête.
Ne pouvant ébouriffer mes cheveux ou même garder les yeux sur les cornes au dessus de mon crâne, il échoua ses cinq doigts sur mon épaule et la serra doucement comme pour me donner du courage, ou en prendre un peu.
Il parvint même à me rendre mon semblant de sourire.

- Je sais... souffla-t-il. Au revoir Jimin. 

Je le pris très doucement dans mes bras, ne voulant effrayer personne, et j'essayai de graver quelques détails dans ma mémoire, n'importe quoi. La couleur grisonnante de ses cheveux, l'odeur de son après-rasage, la forme exacte de ses yeux, de ses oreilles. 

Je me redressai et souris de plus belle, pour m'interdire de pleurer. 
Je ne voulais pas que mes potentiels derniers instants avec mon père soient plein de larmes et remplis de désespoir. 
Je préférais qu'il reste au moins un peu optimiste. 

Car je ne mentais pas. 
Aller dans le centre le plus proche était la meilleure option. 

Je me levai et me dirigeai vers la porte d'entrée. Ma mère juste derrière moi, une main posée au creux de mon dos pour m'accompagner.
Elle m'avait déjà serré dans ses bras et dit au revoir tout à l'heure, ce contact-ci trahissait seulement son désir de ne pas me voir partir.

Je n'étais pas encore dangereux. J'aurais pu rester un moment, comme l'avait suggéré mon père, mais qui savait quand j'allais perdre la tête ? Quand ma mutation atteindrait finalement mon cerveau ?
Mes parents ne pouvaient pas organiser de tours de garde ou rester constamment sur le qui-vive, et je pouvais pas vivre enchaîné...

Le centre était en tout point la meilleure solution. L'un de ces établissements spécialisés était situé à moins de deux heures de route d'ici, un peu à l'extérieur de Séoul, dans un endroit assez isolé.
Ma mère travaillant dans la police spéciale, j'en savais un peu plus qu'un citoyen lambda sur ces endroits. Je savais que ça ne serait pas le paradis, loin de là, ce serait plutôt une sorte de prison.
Mais quand le monstre qui dormait en moi se réveillerait, ce serait l'endroit idéal pour l'enfermer.

Deux hommes attendaient à l'extérieur. Ils n'avaient pas de parapluie, mais des casquettes kakis les protégeaient de la pluie qui était en train de s'essouffler.
Ils faisaient quasiment la même taille et ils étaient tous deux un peu plus grands que moi. Ils n'avaient pas de lunettes de soleil ni de blouse intégrale ou de masque à gaz, il avaient juste un uniforme ressemblant à une tenue militaire, et une arme bien sécurisée à la ceinture.
Ils avaient l'air à même de contrôler la situation...

Ma mère attrapa mon sac à l'entrée et elle s'adressa au premier homme en lui expliquant que j'avais bien passé le Test à mes quinze ans, tout en lui donnant une petite pochette dans laquelle se trouvait tout ce qui concernait de près ou de loin ma santé et mon dossier médical.

L'homme, assez jeune, la petite trentaine, baissa les yeux et attrapa le rectangle de carton avec un hochement de tête tandis que le second, beaucoup plus âgé, et avait des yeux extrêmement plissés, s'approchait de moi.

Il me jaugea rapidement du regard, examinant certainement ma carrure.
Vu ma musculature, il devait être arrivé rapidement à la conclusion qu'ils n'auraient pas de mal à me maîtriser. Ils étaient tous les deux larges d'épaules et leurs uniformes laissaient deviner des muscles développés.

Il jugea tout de même nécessaire de m'entraver. Ma mère détourna les yeux lorsqu'il sortit une paire de menottes noires et épaisses. Définitivement pas celles qu'on utilisait pour arrêter un criminel lambda.
Il me les passa autour des poignets et les serra assez fort, me faisant grimacer, mais elles devaient impérativement être en contact avec ma peau. Elles étaient glacées et je savais très bien quel genre de technologie elles utilisaient pour en avoir déjà vu.
Si je n'étais pas sage, je risquais de recevoir une bonne décharge électrique, commandée par l'un de mes deux nouveaux camarades.

- Nous vous tiendrons informés de toute évolution concernant votre fils madame, expliqua calmement le plus jeune des deux d'une voix grave, celle que j'avais entendu depuis le salon. Mais les visites au centre ne sont pas autorisées.

- Pourquoi...? fit la voix inquiète de mon père qui venait d'apparaître au bout du couloir. On ne pourra pas le voir...?

- Parce que certains mutants sont extrêmement dangereux, répondit celui qui venait de m'attacher, même à distance, même à travers un mur, ou une vitre. Il suffit d'une erreur, parfois d'une seconde, pour que la situation dégénère là-bas. Aucun centre de contrôle n'est ouvert au public, quel qu'il soit. Nous vous donnerons des nouvelles.

Puis il tira sur mes liens et je fus bien obligé de le suivre. J'entendis le hoquet étouffé de ma mère, suivit des cris de mon père, puis je sentis la pluie fine sur mon crâne. J'avais oublié mon bonnet dans la cuisine... 

Les appels de mon géniteur me déchiraient tandis que l'eau froide apaisait ma douleur. J'avais à nouveau l'impression d'être entre deux mondes, de tout voir au ralenti.

Je suivis les deux hommes dans l'allée familière jusqu'à un fourgon noir garé juste devant le portail.
Le jeune garde ouvrit l'arrière d'un geste assuré et le plus vieux m'encouragea à monter d'une pression dans le dos.

Je jetai un dernier coup d'œil derrière moi et j'essayai de lancer un sourire à mes parents enlacés sur le pas de la porte.

Ça faisait mal.
Cette façade, cette porte, leurs visages...
Je ne voulais pas les quitter. 
Deux jours plus tôt, je me serai fiché de la couleur des fleurs que mon père faisait pousser sur le rebord de la fenêtre de la cuisine en ce moment. Aujourd'hui, ne pas savoir me tordait le ventre. J'étais à deux doigts de leur demander de faire demi tour, de me ramener là-bas, juste pour voir ces satanées fleurs. Je voulais leur expliquer que je n'avais pas eu le temps, que je n'étais pas prêt à dire au revoir, à partir pour toujours.

Mais ils ne m'auraient pas écouté.
Je le sentais à cette main dans mon dos, désormais impatiente, aux regards qu'ils posaient sur mes cornes.
Je n'étais déjà plus un être humain à leurs yeux. Au mieux, j'étais un patient. Je n'avais plus le droit de demander.

Mon sourire s'évanouit et je montai à l'arrière du van, pratiquement d'un bond, pour cacher mes larmes.
Rendre les adieux plus longs ne les rendrait que plus difficiles, mieux valait y aller d'un coup, sans réfléchir.

Et en quelques secondes, je me retrouvai assis sur un matelas fin, deux portes claquant derrière moi, sans appel.
C'était fini.

Un tour de clé scella mon destin et j'entendis les deux hommes faire le tour du véhicule puis claquer leurs portières.
Il n'y avait pas de grille entre eux et moi, il n'y avait pas non plus de fenêtre là où je me trouvais. Il faisait un noir d'encre et je ne voyais rien du tout. 

Je ne pouvais qu'entendre le moteur démarrer, sentir le fourgon sûrement blindé se mettre en branle. 
Mes mains se plaquèrent sans douceur sur les murs autour de moi pour essayer de garder un peu de stabilité et mon souffle s'accéléra malgré moi. Je me sentais pris au piège, j'entendais le tintement de lourdes chaînes autour de moi, qu'on avait pas jugé nécessaire de me mettre autour du corps. 
C'était un véhicule fait pour retenir des monstres, des créatures autrement plus dangereuses que moi. Et on me menait tout droit vers elles. 

À cet instant, j'aurais aimé perdre la tête. J'aurais aimé que l'humain Park Jimin meure dans ce camion, maintenant, qu'il n'arrive jamais jusqu'au centre, qu'il n'ait pas à vivre ça. J'aurais aimé que l'un de mes derniers souvenirs conscient soit le visage de mes parents. 

Le destin m'exauça à moitié. 

Nous devions rouler depuis presque une demi heure quand le van s'arrêta un peu trop brusquement pour que nous soyions juste à un feu rouge. 
L'une de mes cornes avait frappé douloureusement contre une paroi et je n'avais pas pu retenir un gémissement de douleur. 
Si j'avais eu de la lumière, ce qui m'entourait se serait probablement mis à tanguer. 

Je fermai les yeux, pour me calmer. 
J'avais réussi à reprendre le contrôle de ma respiration depuis un bon quart d'heure, mais tout mon travail venait d'être mis à mal. 
Le bruit d'une porte qui claque se répercuta violemment à l'intérieur de ma cage et je me recroquevillai, la tête en vrac. 

Est-ce qu'on était arrivé ? C'était étrange... Nous roulions à un rythme constant depuis un moment, nous n'avions même pas ralenti pour passer un portail. 
Peut-être que c'était ce qu'ils faisaient maintenant ? Peut-être que ma notion du temps m'avait totalement trompé et que nous étions devant une barrière. Peut-être que celui qui avait pris la place côté passager était en train d'ouvrir avec un pass, ou un code... 

J'aurais été terrifié si la migraine n'avait pas été si terrible. 
Au lieu de ça, je me laissai mollement glisser sur le flanc, essayant de protéger ma tête du choc contre le matelas. 
Une pointe de douleur surgit dans mon bras me distrayant de mon mal de tête. Une des pointes sur ma tête avait dû mordre dans la peau plus délicate de mon membre. Je me félicitai d'avoir mis une veste épaisse. Il ne manquait plus que je m'embroche... 

La deuxième portière me vrilla les tympans. Un cri étouffé par le blindage me fit frémir. Ce n'était pas un cri d'horreur, plutôt une interpellation virulente. 

Qu'est-ce qui se passe...? 

J'avais envie de demander, mais personne n'aurait répondu. 
Il y eut d'ailleurs un grand silence, pesant pour mon cœur, apaisant pour mon cortex malmené. 
Un silence interminable. 
S'il y avait encore du bruit à l'extérieur, il ne parvenait plus à traverser le blindage. 
Est-ce qu'on m'avait laissé seul ? 

Je me forçai à respirer à nouveau plus doucement, calmement, jusqu'à ce qu'il me soit possible de m'asseoir à nouveau sur le matelas qui sentait la poussière, jusqu'à ce que le sol me paraisse à nouveau stable et cesse de tourner. 

Alors, le silence prit fin, coupé par le bruit d'une clé enfoncée sans douceur dans une serrure et la plainte de la porte du petit fourgon qui s'ouvrait, m'aveuglant avec la lumière crue de l'extérieur. 

Je levai une main devant mes yeux tout en les plissant pour m'habituer le plus vite possible à cette nouvelle luminosité et voir qui se tenait devant moi. 
Entre mes doigts, je distinguai une silhouette masculine, pas très différente des deux soldats qui me conduisaient jusqu'à présent, même si celle-là ne portait pas de casquette. 

La deuxième qui s'avança, cachant à son tour un peu de lumière, était indubitablement celle d'une femme, toute vêtue de noir, et portant notamment un long manteau qui ne ressemblait pas à un uniforme. 

Est-ce qu'elle travaillait au centre ? J'en doutais... 
Mon mal de crâne était revenu au galop, mais j'arrivais à distinguer la route derrière eux, et l'herbe sur le côté, à perte de vue. 
Nous étions au beau milieu de nulle part. 

- Alors ? demanda la femme. 

Son visage était à contre-jour, et j'avais l'impression d'être à l'agonie, je la voyais très mal, mais sa voix semblait appartenir à quelqu'un d'assez jeune, probablement pas plus de la trentaine, et elle était un peu étouffée, comme si elle parlait derrière sa manche. 

L'homme lui répondit. 

- Ils ne l'ont pas complètement attaché, il ne doit pas être bien dangereux. 

Le type fut légèrement poussé sur le côté et disparut complètement derrière l'une des deux portières encore à moitié fermées. La jeune femme posa alors un pied recouvert d'une grande botte noire dans mon espace et se hissa à l'intérieur du fourgon, me révélant en partie ses traits. 

Elle n'avait effectivement pas très vieille, et n'avait rien d'une scientifique, même si elle portait des gants noirs et un masque de la même couleur. 
Je ne pouvais voir que ses yeux de chat au dessus de ce dernier, encadrés par une cascade de cheveux sombres qui lui tombaient en vagues ordonnées au moins jusqu'aux coudes. 
Son regard était braqué sur moi. Pas horrifié ou dégouté, juste scrutateur et curieux. 

- J'ai un faible pour les mutations physiques... souffla-t-elle derrière son masque. 

Il s'agissait des plus rares. 
Contrairement à ce que l'idée générale des "mutants" dans la fiction pouvait impliquer, les mutations qui touchaient notre population étaient le plus souvent internes et offraient des capacités plus ou moins faciles à masquer. C'était pour cette raison que le Test était extrêmement important. 

- Il a juste deux petites cornes sur la tête, grogna l'homme depuis l'extérieur. Qu'est-ce que tu veux en faire ? 

La jeune femme s'approcha de moi, faisant claquer ses lourdes chaussures à plateformes sur le sol métallisé, jusqu'au bord du matelas miteux, puis elle se pencha, me faisant légèrement reculer. 
Je ne pouvais aller nulle part, j'étais acculé dans un coin du van, condamné à la regarder avec de grands yeux effrayés. 

Elle attrapa ma mâchoire inférieure de ses longs doigts gantés et ses yeux semblèrent sourire légèrement l'espace d'un instant, se plissant doucement. 

- J'aime ces cornes. Ils ne t'ont pas jugé dangereux mais je vois déjà en toi un véritable petit démon. 

Un démon...? Comme s'il ne suffisait pas que je sois un monstre, il fallait maintenant que je sois maléfique. 

Je ne savais absolument pas ce que cette femme attendait de moi. Mais elle semblait satisfaite lorsqu'elle se releva sans prévenir. 

- On l'emmène. 

Elle se détourna alors dans une grande envolée de tissu noir et je ne pus empêcher ma voix de s'élever, croassante, poussée par la peur :

- Où ça...? 

Elle se retourna juste avant de sauter sur l'asphalte de la route, m'observant une seconde avant de lâcher :

- Pas dans un de ces centres de malheur en tout cas. 

×××

Changement de plan pour notre petit Jiminie :3

À mercredi prochain !
💜

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