Lips meet teeth and tongue
My heart skips eight beats at once

×××

- L'odeur de la pluie, soufflai-je.

Il réfléchit un petit moment, acquiesçant distraitement avant de répondre doucement :

- Hm... Le vent.

- Les bruits de pas incessants en bas de mon immeuble.

Taehyung tourna la tête, cessant de fixer le plafond.

- Le bruit des passants ? Vraiment ?

- Oui. C'est agaçant pour certain, mais moi j'aime bien savoir qu'il y a de la vie à l'extérieur.

Il sembla trouver mon argument acceptable et hocha encore une fois la tête avant de pointer à nouveau le regard au dessus de lui.

Nous faisions depuis quelques minutes la liste de toutes les choses qui nous manquaient, coincés sous terre comme nous l'étions.
C'était lui qui avait initié ce petit jeu, et j'avais suivi, heureux qu'il engage de cette façon une conversation.
Depuis l'épisode de la douche, il avait l'air plus à l'aise avec moi. Il n'y avait pas eu de gêne entre nous comme je m'y attendais.

- Voler, murmura-t-il.

Ce fut à mon tour de le regarder, l'une de mes cornes s'enfonçant plus franchement dans mon oreiller dans cette position.
Même de profil, son visage était visiblement peiné.

- C'est comment ?

- De voler ?

- Oui.

Il sourit et rajusta pendant une seconde sa position sur ses ailes repliées.
Ses yeux se mirent à briller d'un éclat enthousiaste, il avait l'air passionné.

- Tu as déjà sauté dans le vide, même un petit peu ?

- Du plongeoir de sept mètres de la piscine municipale de Busan... ?

Taehyung gloussa une seconde, sans lâcher mon regard.
Il était étendu sur son matelas et moi sur le mien, mais nous les avions rapprochés un peu pour pouvoir parler.
Ils étaient comme ça depuis plusieurs jours, et Jooheon n'y avait pas touché.

Je fis glisser mon bras replié vers ma tête et y posai ma joue, roulant un peu sur le côté pour lui faire face complètement.
Je souriais, fier de ma bêtise.

- Tu vois cette montée d'adrénaline quand tu commences à tomber ?

Je hochai la tête.

- C'est ça, mais tout le temps, le pic se stabilise mais ça reste là, dans ta poitrine. Même avec de l'habitude, ça reste un peu grisant.

Je n'étais ni du genre à être paralysé par les hauteurs, ni du genre à rechercher à tout prix les sensations fortes. J'appréciais les manèges, et sauter de quelques plongeoirs, j'aimais cette fameuse montée d'adrénaline, mais je ne l'avais jamais trop recherchée.
Pourtant, à l'entendre en parler, j'aurais bien aimé pouvoir voler.

- Ça a l'air sympa.

- Ça l'est. Dans le ciel il n'y a aucun obstacle, tu te sens libre, tu as l'impression que tu pourrais aller partout.

Je comprenais que cela lui manque. La liberté, c'était bien ce que nous voulions tous.

- Tu irais où ? Si tu pouvais aller partout.

Son front se plissa légèrement et il réfléchit sérieusement pendant une poignée de secondes. Ses cheveux humides lui tombaient sur le front de façon irrégulière, menaçant de lui cacher un œil.
Nous avions pris notre douche le soir cette fois, histoire de ne pas être pressés par le temps le lendemain matin.

- J'irais... Je n'en sais rien... Quelque part où on ne me verrait pas comme un monstre je suppose. Il doit bien y avoir des pays où le gouvernement n'a pas encore menti à toute sa population et où avoir des ailes serait considéré comme un truc cool.

J'ouvris la bouche mais la refermai aussitôt, prenant conscience de ce que j'allais dire.

C'était déjà cool.

Je me contentai alors de sourire, heureux de voir que j'avais tout de même fait un peu de chemin depuis ma dernière conversation avec Moonbyul.

J'essayais d'accepter le nouveau Jimin, son nouvel entourage, et sa nouvelle notion de ce qui était normal.
Mes cornes appuyant sur mon coussin étaient normales, les ailes de Taehyung étaient cools, les yeux de ce qui se rapprochait le plus de ma meilleure amie, à l'heure actuelle, n'étaient pas si bizarres que ça.

Ça restait compliqué par moments.
Des fois, j'apercevais la bague de mon père dans un miroir, ou je pensais à ma mère, à tout ce qu'ils m'avaient toujours dit, et mon acceptation vascillait légèrement.
Parfois, exactement comme maintenant, je me perdais un peu trop longtemps dans les yeux de Taehyung et je sentais cette part de moi qui espérait toujours que tout redevienne comme avant.

- Ça s'est bien passé aujourd'hui ? demanda-t-il, pas du tout gêné par mes yeux dans les siens.

Il avait l'habitude des silences et des échanges de regards, et ce depuis le premier jour. Au final, ce genre de choses ne semblaient perturber que moi.

J'acquiesçai doucement, me rappelant tout ce que j'avais fait avant d'arriver ici pour manger.

- Tu te sens prêt pour la Cage ?

Ma tête ne bougea pas cette fois. J'étais pratiquement sûr que la réponse était non.

Taehyung tendit une main entre nos deux matelas et la mienne la rejoignit instinctivement.
S'il y avait bien une chose sur laquelle je travaillais, c'était écouter mon intuition, et ce que le moi du présent voulait.
Ce qu'il voulait à l'heure actuelle, c'était un peu de soutien.

Il entrelaça nos doigts et je m'autorisai à fermer les yeux une minute.
L'après-midi commença alors à défiler sous mes yeux.

Tout avait commencé quand Jooheon était venu chercher Namjoon et Yoongi. Et qu'il m'avait dit de me lever aussi.

×

Ce n'était pas la première fois que je contemplais les gradins depuis l'autre côté des barreaux, mais c'était la toute première fois que je le faisais depuis le sol de la Cage, et qu'ils étaient vides.

Le sol devait être lavé entre chaque combat, pourtant, des traces de sang séché étaient encore visibles ici et là.

À qui appartenaient-elles ? Namjoon ? Yoongi ? Taehyung ? Un autre mutant ?

En parlant d'autre mutant, il y en avait un aujourd'hui.
Il se tenait à la droite de Namjoon et faisait face à Jooheon comme les autres.
Personne n'avait cru utile de faire des présentations pour le moment. J'ignorais comment il s'appelait.
Il arborait un brun naturel et avait les cheveux coupés courts, sa mutation était pour l'instant invisible et il portait le même t-shirt noir et classique que mes deux camarades de chambre. Le tissu tombait sur une carrure pas aussi frêle que celle de Yoongi mais moins carrée que celle de Namjoon. À vrai dire, sa corpulence s'approchait assez de la mienne, il n'était pas très intimidant.
Mais il devait avoir un pouvoir lui permettant de faire la différence.

Quelques jours plus tôt, je prenais une douche avec Taehyung, et voilà que j'étais à présent à mon premier entraînement.
Cela faisait beaucoup de nouveautés ces derniers temps, mais je commençais à m'habituer aux grandes premières.

Heureusement, car ceci ne serait définitivement pas la dernière.

Je m'étais étiré avec les trois autres, puis Jooheon m'avait dit de rester sur le bord. J'étais donc assis tout près des barreaux, sur une zone propre, n'osant pas trop toucher le métal de la Cage après avoir vu à quoi pouvait servir la grille lors du combat entre Shifter et le Corbeau.

D'après ce que j'avais compris, le mutant que je ne connaissais pas avait un combat à domicile ce soir. Namjoon et Yoongi étaient donc là pour lui permettre de s'échauffer correctement et d'être préparé au maximum.
Ils n'avaient pas vraiment le temps de se coltiner un incapable comme moi aujourd'hui, mais Jooheon avait jugé qu'il était temps que j'observe.

L'entraînement consistait en grande partie à des affrontements plus ou moins énergiques. Le but pour l'attaquant était de toucher son adversaire, pas nécessairement avec force, mais plutôt avec rapidité, et celui de l'autre était de parer et d'esquiver.
Cela ressemblait à des cours de taekwondo.

J'avais assisté à quelques compétitions à l'école primaire et au collège. Cela commençait à remonter à un bout de temps.
Je me souvenais tout de même de quelques règles et d'un peu de théorie.
Seulement il n'y avait pas de règles dans la Cage, et la théorie ne me servirait sûrement pas à grand chose face à des pouvoirs magiques...

Je m'attendais fortement à les décevoir. À ne jamais être envoyé dans l'arène, parce que Moonbyul ne donnerait jamais son accord, me voyant mourir ou me faire humilier dans toutes ses visions.
Pour dire la vérité, cela m'aurait très bien convenu. Je savais que mes talents de médecin empêcheraient Solar de se débarrasser de moi, et je pouvais espérer vivre sans jamais entrer dans la Cage, comme la voyante.

Au final, je n'avais pas vraiment de raisons d'avoir peur de l'avenir, ou du moins de craindre pour ma vie.
Cette angoisse tenace ne voulait cependant pas me lâcher... C'était sûrement lié au lieu où je me trouvais actuellement, ou à la petite possibilité qu'on m'envoie finalement y combattre, même si je savais que je n'y mourrais pas.

C'était comme une sorte de mauvais pressentiment...
Je ne voyais pas l'avenir, et je n'avais jamais eu un instinct formidable, mais aujourd'hui, c'était là, bien installé au creux de mon ventre.

À la fin de l'entraînement, j'avais appris le nom du mutant qui combattrait ce soir. Il s'appelait Jeongin et il était visiblement assez jeune. Plus que nous tous ici, une vingtaine d'années à peine dépassée.

Il envoyait des décharges électriques très visuelles et bruyantes. La première avait manqué de me faire tomber par terre et m'avait fait frapper un des barreaux de la Cage d'une de mes cornes.

Quand il s'effondra, en sueur et la respiration saccadée, Jooheon décréta la fin de la séance.
En tout, elle avait duré un peu moins de deux heures.

Puis l'entraîneur vint se poster devant moi et me tendit une main que j'acceptai à contrecœur.
Il m'aida à me relever, me soulevant pratiquement du sol sans déployer énormément d'efforts.

- Pars, lâcha-t-il sans aucune autre explication.

Une interrogation se forma sur ma langue, prête à être formulée, mais au lieu de demander à Jooheon de répéter, mon cerveau enclencha une sorte de code rouge.
Il ne me demandait pas de partir comme j'avais cru le comprendre. Un poing énorme fonçait droit vers mon nez.

Pare, et non pars.

Je sentis mon corps se plier en avant, ma tête se baissant pour se protéger en se repliant vers mon ventre, comme un animal cherchant à couvrir son abdomen.
Je n'avais pas été assez rapide.
En pivotant ainsi j'avais évité le nez cassé, mais le poing de Jooheon me cueillit à la tempe, sur la partie haute de ma pommette, et m'envoya tournoyer en arrière.

Mes mains se refermèrent sèchement sur les barreaux dès que je les rencontrai avec fracas. Le monde aurait dû s'arrêter de tourner immédiatement mais mes oreilles sifflaient toujours, douleur et chaleur bourdonnaient sur tout le côté de mon visage, montant douloureusement s'accumuler sur un point de ma boîte crânienne que je devinai être la base de ma corne droite.

La douleur évolua en quelques secondes, me faisant tantôt prendre conscience de l'entièreté de mon globe oculaire, puis de la présence de ma langue entre mes dents et d'un goût métallique écoeurant.
Je l'avais mordue...

Je ne tins la barrière qu'une seconde, le temps d'expirer un bon coup, choqué et perdu, et de me retourner pour y plaquer mon dos.

Un deuxième poing fusait déjà vers moi, mais je m'y attendais à présent un peu plus.
Celui-là ne toucha que mes cheveux avant de passer entre deux barreaux.

Jooheon partit à peine en avant. Il se stabilisa rapidement et attrapa la barre de métal la plus proche, observant mes avants bras désormais levés devant mon visage sans faire mine de vouloir frapper à nouveau.
Il me jaugea un instant du regard, extrêmement proche, puis il fit un pas en arrière et leva une main, secouant les doigts comme pour me faire signe d'avancer vers lui.

- Attaque maintenant.

L'un de mes pieds amorça un petit mouvement sur le sol bétonné mais s'arrêta immédiatement.
Je n'arrivais pas à utiliser la douleur ou la colère pour attaquer, le choc et la peur restaient prédominants, me clouant sur place.

Je n'avais plus peur d'être ridicule, j'avais peur pour ma vie.

Face au regard de marbre de Jooheon, j'avalai ma salive tant bien que mal et levai un bras. Mais au même moment, il se redressa complètement, quittant sa position de combat genoux fléchis.

- Trop tard, décréta-t-il en me toisant de toute sa hauteur. On travaillera ça la prochaine fois.

Il se détourna et marcha vers les autres.
Je croisai le regard presque inquiet de Namjoon, et ceux, plus neutres, de Yoongi et Jeongin.
Je n'osai pas lever une main vers mon visage, peu importe à quel point il me lançait.

Dans la Cage, il ne fallait pas montrer ses faiblesses. Même à l'entraînement, j'étais testé, observé, jugé.
Dans la Cage on ne montrait pas sa douleur.
C'était ce qu'avait dit Jooheon aux autres un peu plus tôt, et que j'avais écouté sans me sentir concerné.

Je l'étais à présent. Concerné.

×

- Tu as mal ? souffla Taehyung en voyant mon autre main se porter machinalement à ma pommette. C'est Jooheon ?

Ses doigts entourèrent les miens avec un peu plus de fermeté.

- Non, ça va, lui assurai-je. Comment tu as deviné ?

Je n'avais encore jamais reçu de coup de poing avant ça, ou en tout cas je ne m'en rappelais pas, mais je pouvais dire que Jooheon n'avait pas plaisanté.

Pourtant, la douleur s'était rapidement estompée. Je l'avais remarqué quand mon hébétement m'avait enfin quitté.

Je n'avais pas dû mordre ma langue très fort non plus, elle n'avait saigné qu'un tout petit peu, et je n'arrivais pas à trouver de zone douloureuse dessus en la faisant rouler sous mon palais.
Ça aurait pu être pire.

- Il teste souvent les nouveaux un peu brutalement, m'expliqua le jeune mutant.

Taehyung grimaça, se rappelant peut-être de quelques scènes d'entraînement. Il se laissa rouler un peu sur le côté, glissant sur l'une de ses ailes repliées pour pouvoir tendre son autre bras vers mon visage et effleurer ma joue.
Elle n'était ni rouge, ni gonflée, je l'avais vue tout à l'heure dans un miroir.
Il avait l'air un peu rassuré.

- L'entraînement va être un peu rude au début mais ça s'adoucira, tu verras.

Je l'espérais sincèrement...

- Yoongi et Namjoon m'ont dit qu'ils avaient eu le même test, me rappelai-je.

Ils m'en avaient parlé quand nous nous étions retrouvés seuls au studio avec Moonbuyl. Namjoon avait évité le coup, mais il n'avait pas contre attaqué non plus, ce qui m'avait presque rassuré. Il avait juste créé plusieurs clones afin d'être à l'abri.
Jooheon ne s'était à priori pas acharné sur lui à cause de ça lors des séances suivantes.

Quant à Yoongi, le premier geste avait activé sa transformation, et il avait mordu Jooheon au bras. Le petit brun m'avait expliqué que l'entraîneur ne lui en avait pas tenu rigueur non plus, même s'il avait dû recevoir quelques points de sutures.
Il s'agissait uniquement d'un test. Jooheon évaluait ainsi les performances et la personnalité de ses mutants.

Cela en disait en effet beaucoup. De la stratégie de Namjoon aux réflexes sauvages de Yoongi en passant par ma paralysie, le procédé avait assez bien révélé nos caractères.

Namjoon était réfléchi, il savait tirer le meilleur de sa mutation et réfléchissait à la perception de son assaillant plutôt qu'à sa force.

Yoongi était... Animal. Ses réflexes étaient acérés, ses yeux étaient toujours attentifs. Il s'était probablement attendu au coup dès que Jooheon s'était approché de lui. Le jeune mutant sentait souvent beaucoup de choses instinctivement, en ce qui concernait l'humeur ou les intentions des gens.

Moi, je n'étais juste pas à ma place. Je n'avais pas vraiment les qualités d'un combattant. J'étais toujours en conflit intérieur et mon corps et mon esprit peinaient à trouver un terrain d'entente et à collaborer.

- Taehyung...?

- Hm ?

- Comment tu as réagi au test de Jooheon ?

Je me demandais quelle part de lui sa réponse mettrait en avant.
Même si je commençais à m'en douter un peu. Je l'avais bien vu avec Solar.

Taehyung éloigna sa main de mon visage, l'expression hésitante.

- Je l'ai vu en tester d'autres, avoua-t-il, mais il n'a jamais eu besoin de le faire avec moi...

Il détourna le regard, honteux. Son autre main, toujours dans la mienne, fit mine de se dégager aussi.
Je la retins.

- Hey...

Il releva les yeux comme un animal pris au piège mais se détendit en voyant les miens, calmes, et je l'espérais, pleins de bienveillance.

- Je ne jugerai jamais quelqu'un qui choisit de se battre pour survivre, ou pour être libre. J'aimerais avoir ne serait-ce qu'un dixième de ton courage.

- C'est vrai...?

Il était tout de même surprenant.
Derrière cette combativité dont nous étions en train de parler se cachait un drôle de petit oiseau beaucoup plus fragile. Sa voix incertaine en était une preuve flagrante.

Je lui répondis avec un sourire et opinai du chef.

- Je l'ai attaqué tout de suite, confessa-t-il finalement. Dès qu'ils m'ont détachés dans la Cage.

Je secouai à nouveau la tête. C'était ce que j'avais cru comprendre.

- J'avais déjà passé une grande partie de ma vie enfermé, à obéir à des gens qui voulaient se servir de moi, poursuivit Taehyung. Mon plus grand cauchemar, c'était que ça recommence...

Ce fut à mon tour de serrer doucement sa main dans la mienne.
Sans la lâcher, il se laissa retomber sur le dos, assez lourdement, ne pouvant pas vraiment contrôler ses mouvements à cause de son ventre.

Il resta étendu ainsi, les bras écartés, pendant un moment, et je me mis à passer doucement mon pouce sur le dos de sa main, observant avec une étrange fascination l'effet que ce petit geste avait sur les plumes de ses ailes.
Est-ce que ce très léger gonflement était une forme... De ronronnement ?
Ou de chair de poule peut être...

- Tu as été libre pendant combien de temps ? finis-je par demander, laissant ma curiosité m'échapper pour une fois.

Depuis qu'il m'avait dit être né dans un centre, je n'avais pas vraiment osé revenir directement sur le sujet. Son regard quand il en avait parlé me laissait dire que les souvenirs qui se rattachaient à tout cela étaient loin d'être agréables.

Je ne voulais pas le brusquer, mais cela avait encore alimenté mon désir d'en savoir plus...

- Pendant une dizaine d'années je dirais.

- Et quel âge tu as aujourd'hui ?

- Vingt-six ans, répondit-il après une brève hésitation.

Nous avions le même âge.
Et Taehyung avait passé pratiquement les deux tiers de sa vie en prison.
Pour quoi au juste ? Pour être né différent ?

L'ancien moi, l'humain encore inconscient de beaucoup de choses, aurait jugé normal qu'on l'enferme, se serait senti plus rassuré.
Aujourd'hui ça me brisait le cœur, et je sentis avec horreur mes yeux brûler.

Je ne pouvais pas pleurer pour ça...
Allez, il fallait se reprendre.
Se reprendre.

Trop tard. Une tentative de reniflement discret attira toute son attention et je ne détournai pas la tête assez vite pour lui cacher mes yeux humides, abandonnant même l'idée et le laissant me regarder avec son air surpris. Presque choqué à ce stade.

- Ça va... ?

Voilà qu'il s'inquiétait pour moi maintenant. Je me sentais un peu ridicule...

- Tu ne resteras sûrement pas enfermé aussi longtemps, m'assura-t-il en essayant de se redresser, on trouvera bien un moyen...

Il allait se faire mal à gigoter comme ça.
C'est finalement moi qui sortis de mon lit et m'approchai du sien, mes genoux nus entrant en contact avec le sol frais, tout près de son aile repliée.
Je posai une main sur le dessus de sa poitrine et appuyai légèrement sur lui pour lui faire comprendre qu'il devait rester allongé.

Cette fois il semblait un peu perdu.

- On trouvera un moyen, lui assurai-je. Un moyen pour que tu voles à nouveau, d'accord ?

Il acquiesça très lentement, paraissant peu sûr de la réaction à adopter, puis il sembla comprendre quelque chose.
Je le vis à un changement immédiat dans son expression, une émotion vibrante dans ses yeux.
Avait-on déjà pleuré pour lui ? Vu son trouble, cela ne m'aurait pas étonné d'apprendre que c'était la première fois.

J'aurais voulu lui poser au moins un millier d'autres questions.
Je voulais lui demander comment il s'était échappé du centre où il avait passé son enfance, où il s'était caché durant sa trop courte liberté, avec qui...
Mes questions s'envolèrent cependant lorsque ses lèvres en dessous des miennes laissèrent échapper quelques mots :

- Je t'aime beaucoup tu sais, Jimin...

Oh.
Oh.

Mon sang quitta rapidement mon cerveau pour affluer vers mes joues et mes oreilles. C'était sûrement invisible dans la semi pénombre de la chambre, mais cela me donna le tournis pendant une seconde.

Sa main s'éleva vers mon visage. À défaut de voir la rougeur de mes pommettes, il dut en sentir la chaleur quand son pouce caressa doucement ma joue.
J'osais à peine respirer. Ses yeux étaient braqués dans les miens et les ancraient fermement dans cette position.
Il m'était impossible de détourner le regard à présent.

Sa main glissa vers le bas et fit partir un frisson vers mon dos. La mienne se tendit légèrement et je pris conscience de la chaleur de sa peau sous ma paume.
Son pouce descendit et effleura cette fois-ci mes lèvres.

C'était une demande.
Une demande si douce qu'elle rendit mes jambes faibles.

Il ne fit rien, exactement comme lorsque ses yeux étaient tombés sur ma bouche dans la salle de bain.
Je ne savais pas s'il s'agissait de timidité, ou s'il attendait que je décide.
Dans les deux cas, cela faisait agréablement pulser mon cœur dans ma poitrine.

J'aurais pu penser à sa mutation et revenir à la réalité encore une fois.
J'aurais pu au contraire penser à Moonbyul et à son sermon, mais je n'en eus pas besoin.
J'aurais pu penser à la caméra qui nous observait depuis le coin de la pièce.

En fait, je ne pensai à rien.

Je me penchai légèrement et sa main glissa vers l'arrière de ma tête, effleurant mes cheveux sans vraiment oser se perdre dedans.
J'humidifiai mes lèvres en arrivant juste au dessus de son visage. À quelques centimètres, la distance minimum pour pouvoir continuer à le regarder dans les yeux sans loucher.

- S'il te plaît... murmura-t-il.

Sa voix grave acheva de me convaincre.
Je laissai ma tête glisser plus bas encore et mes lèvres touchèrent les siennes.
Je notai dans un coin de ma tête le petit souffle soulagé qui lui échappa.
Sa bouche était un peu sèche, mais douce et agréable contre la mienne.

Ce fut bref. Peut-être que la réalité me rattrapa finalement.
Mais lorsque je me redressai, je ne fus pris d'aucune envie de fuir. Au contraire.

Je l'observai, la bouche encore légèrement entrouverte, les lèvres plus que conscientes de l'empreinte qu'y avaient laissée les siennes. J'étais un peu perdu.
Ne pas penser, c'était bien beau, mais lorsque toutes vos idées vous revenaient en même temps comme autant d'élastiques, se disputant votre attention, vous vous retrouviez paralysé.

Nos visages restaient bien trop proches et son regard bien trop perçant.
Alors je baissai la tête, jusqu'à ce que mon front touche le haut de son torse, honteux. Mes lèvres laissèrent même s'échapper un semblant de rire nerveux, un peu étranglé.
On aurait juré voir un collégien. J'étais pitoyable.

Mais un simple mouvement de sa main dans mes cheveux parvint à me faire une fois de plus monter dans l'ascenseur émotionnel qui me secouait depuis plusieurs minutes.
Je me détendis doucement, appréciant le contact de ses doigts massant ma tête, laissant mon visage se décrisper et venir reposer plus tranquillement sur sa poitrine.

Il savait étrangement comment réagir avec moi. Il n'allait jamais trop loin. Je ne m'étais jamais senti brusqué autour de lui, même pas face à ses regards insistants.
Il était toujours observateur, attentif à mes réactions, à mes besoins. Il m'offrait sa chaleur lorsque j'avais froid, paniquait dès qu'il serrait ma main ou mon épaule un peu trop fort, m'écoutais pendant si longtemps le soir que parfois il m'arrivait de croire qu'il s'était endormi en le faisant.

Il ne dit rien pendant un moment, me laissant juste penser maintenant que mon esprit s'était un peu calmé lui aussi.
Ce dernier finit par arriver à une conclusion pour le moins évidente, mais que je me sentis le besoin de prononcer à haute voix à mon tour.

- Moi aussi.

×××

Le cadeau d'aujourd'hui était un bisou 😊
Vous êtes gâtés dites donc

À bientôt
💜