Un démon à poil me fait du chantage
Comment j'ai atterri dans mon lit hier soir ? Aucune idée ! Ce qui n'est pas forcément une bonne nouvelle sachant que la dernière personne avec qui j'étais hier soir est Caym. Mon dernier souvenir est celui d'un tas de sucre, trop de sucre, j'ai dû faire un coma glycémique. Il y a bien les comas éthyliques, les glycémiques doivent probablement exister aussi, non ? À moins que pour une raison que j'ignore, Caym a décidé d'effacer tout souvenirs de cette soirée. Ce qui n'est pas vraiment bon signe non plus. Qu'est-ce qui aurait bien pu se passer pour que Monsieur le grand Démon décide que ce serait mieux si je ne me souviens plus de rien ? Enfin du moins de cette dernière partie de soirée, car le début est encore aussi clair que du Crystal. Caym entouré de filles, Caym se faisant draguer à tout va, Caym très en colère et Eden faisant office de pot de fleurs avant d'être à deux doigts de se faire attaquer par un lourdingue : tout ça m'est encore parfaitement en tête.
Le bruit de pattes cliquetant sur le parquet me fait redresser la tête, Turlutte —qui je suis persuadé était dans son terrarium hier— entre dans ma chambre suivie de près par Popol. Ce dernier me dévisage un moment puis s'apprête à opérer un demi-tour.
— Pas si vite démon poilu ! Toi tu dois savoir comment j'ai atterri ici hier.
Popol s'assied et me dévisage avant de se lécher la patte d'un air nonchalant. Il y a encore quelques jours on m'aurait pris un fou de penser que mon chat prend un air nonchalant, mais maintenant que je sais que ce dernier est un démon, je sais aussi que je ne suis pas fou. Même si je dois bien admettre qu'on m'internerait directement si j'avais le malheur d'avouer ça à qui que ce soit.
— Popol, répond moi. Ne fais pas comme si tu étais un chat normal, je savais déjà que tu n'étais pas net avant même de savoir que tu étais un démon !
Ceci a le don de le faire réagir, monsieur daigne feuler avant de se redresser sur ses quatre pattes puis d'avancer vers moi et de sauter sur mon lit. Au moment même où il atterrit sur mon matelas, je ne fais plus face à mon chat noir, mais au démon que Caym m'a fait découvrir. Un démon complétement nu !
— Tu vas arrêter de te montrer avec la quéquétte à l'air oui !
Je remonte rapidement la couette sur mes yeux pour empêcher mon regard de dériver vers la bête qui se dresse devant moi —et non je ne parle pas du démon, mais bien de ce qui lui appartient entre les jambes.
— Tu m'as posé une question, je ne peux pas y répondre en étant chat et je n'ai pas le temps de me couvrir en sachant que Caym peut arriver à tout moment pour me dépecer s'il sent que je suis apparu sous ma forme d'origine devant toi alors que je n'en ai plus le droit ! Arrête de jouer ta vierge effaroucher et sort de sous cette couette, je suis couvert.
J'ai peur de lui faire confiance, mais je prends quand même le risque et sort lentement la tête. J'hurle quand je découvre ce qu'il a utilisé pour se cacher.
— Tu es couvert avec Turlutte ! Merde, ça ne couvre même pas tout ! Mon Dieu je vais devoir payer une thérapie animale à cette pauvre tortue. Une tortue cache bite de démon, on aura tout vu, je crois que je suis déjà en Enfer. Caym m'a tué hier, c'est ça ? J'ai dit la connerie de trop, il ne l'a pas supporté et m'a tordu le cou, je ne vois pas d'autre explication...
— Hey drama queen ! Si tu continues comme ça c'est moi qui vais mourir de la main du démon supérieur, alors tu te calmes un peu si tu ne veux pas l'alerter et avoir des réponses à tes questions.
J'acquiesce même si mon regard n'arrête pas de dévier vers cette pauvre Turlutte. Popol le remarque d'ailleurs, il soupire et se penche pour la reposer à terre, ne manquant pas de me montrer la pleine lune au passage, avant de replier la couette sur lui. Bon on ne peut pas dire que je sois ravi que la chose sous laquelle je dors se retrouve à toucher les parties intimes d'un démon, mais c'est toujours mieux que l'imagine traumatisante de la tortue trop petite pour tout couvrir.
— Dis-moi ce qu'il s'est passé hier. Caym était là quand je suis rentré ou j'étais seul ?
— Tu étais accompagné.
Popol n'ajoute pas un mot et me fixe. J'essaie d'insister en lui demandant de qui j'étais accompagné même si le doute ne règne pas réellement.
— Qu'est-ce que j'y gagne ?
— Pardon ?
— Si je te raconte tout qu'est-ce que j'ai en échange ?
Je rêve, voilà maintenant que le démon que j'ai inconsciemment sauvé d'une mort certaine veut me faire du chantage. On aura vraiment tout vu, pourtant rien ne devrait plus m'étonner depuis que madame Irma a foutu la merde dans ma vie.
— Qu'est-ce que tu veux ?
— Que tu arrêtes de m'appeler par ce surnom dégradant, que tu n'achètes plus de croquettes bon marché dégueulasse et que les pâtés soit augmenté à quatre par semaine.
— Non pour le surnom ! Tu es et tu resteras Popol. Je marche pour les croquettes, mais je limite les pâtés à trois par semaine, elles coutent la peau du cul et je n'ai pas envie de me retrouver avec un chat démon obèse.
Popol prend la peine de réfléchir une seconde avant de me tendre la main et de lancer un « marché conclu ». J'hésite un instant avant de tendre mon bras, ce sera la première fois que je le touche sous sa forme d'homme et je me demande s'il est capable de me faire quoi que ce soit. Ce dernier s'en rends d'ailleurs forcément compte puisqu'il ajoute :
— J'ai perdu tout pouvoir quand j'ai été banni avant qu'ils n'essaient de me tuer. Enfin tout sauf ma capacité à me transformer.
Ma main attrape finalement la sienne pour conclure notre accord et sa langue se délie enfin.
— Tu es rentré avec Caym hier, tard, tellement tard que j'étais en train de mourir de faim !
Je fronce les sourcils et soupire, je sens que cela risque d'être long.
— Mais mon appétit est vite passé au second plan quand je vous ai vu tous les deux. C'était... étrange. Vraiment très bizarre, j'en serais presque venu à l'idée que la faim me donnait des hallucinations, mais non ce que je voyais étais bien réel. Si je ne risquais pas de mourir en mettant une patte dehors j'aurais presque pu aller raconter ça à d'autres démons ! Mais bon, je tiens à ma vie alors je suis resté sagement à vous regarder et à attendre que tu daignes me nourrir.
— Est-ce que tu peux oublier deux minutes ton estomac et m'expliquer de quoi tu parles ?! Qu'est-ce qui était étrange ?
Popol me regarde avec un air bizarre, il me fixe longuement avant de regarder partout autour de lui et de me répondre.
— Il souriait.
Il murmure cela tellement doucement que je ne suis pas sûr d'avoir entendu, il doit comprendre que ce n'est pas clair pour moi, car il enchaîne un peu plus fort cette fois.
— Caym souriait. Un démon comme lui ne sourit pas, pas comme ça du moins... Il peut avoir un sourire sadique après s'être régalé d'une séance de torture, mais la... Je ne sais pas pourquoi, mais il avait l'air, heureux ? Tu lui racontais je ne sais pas quoi et tu riais et il s'est mis à sourire. Et puis tu m'as vu, tu m'as chanté mes louanges, m'a déclaré ton amour avant de t'excuser de ne pas m'avoir nourri...
— Popol !
— Quoi ? C'est moi qui détiens les souvenirs, pas toi, si je veux embellir un peu, je le fais. Tu as daigné te rappeler de mon existence et tu allais me nourrir, mais tu t'es plains d'être fatigué et à ce moment-là le ciel a failli s'abattre sur nous ! La fin du monde était proche, les Enfers auraient pu nous avaler sur le champ...
— Appolyon !
Je l'interromps à nouveau, pour un démon qui ose me traiter de drama queen, je pense qu'il a trop subit l'influence de Noël et moi depuis son arrivé ici, car il est devenu comme nous. Je ne lui fais pas part de mon avis, je préfère connaître la suite du récit plutôt que de devoir débattre de son niveau de folie.
— Caym a eu un acte de... mes Enfers je ne peux même pas dire ce mot avec son prénom dans la même phrase, c'est contre nature ! Gentillesse... Il a dit qu'il allait me nourrir. Sur le moment j'ai pensé qu'il allait me tuer, que ce n'était qu'une excuse pour que tu ailles au lit et qu'il se débarrasse de moi. Mais quand j'ai vu la surprise sur son visage au moment où il a proposé cela, j'ai su qu'il le pensait vraiment et à ce moment-là ça a commencé à sentir le brûlé.
— Quelque chose brûlait ?
— Le cerveau de Caym sûrement, oui. Il s'est rendu compte de ce qu'il a dit, m'a regardé avec son regard noir de démon, je me suis carapaté sous le canapé pour lui échapper et il t'a raccompagné jusque dans ta chambre où je présume il t'a fait oublier tous ces souvenirs. Quand il est sorti il a quand même eu la bonté de me servir un bol de croquette, non sans ajouter que ce serait mon dernier repas si je disais quoi que ce soit.
J'essaie d'assimiler ce que vient de m'avouer Popol, mais je ne comprends pas bien en quoi le fait que Caym ait sourit et ait proposé de nourrir le chat soit une raison valable pour me faire tout oublier.
— Tu l'affaiblis, ajoute Popol tandis que je cogite, ce n'est pas bon et il le sait. Il a eu un acte de faiblesse en ta présence, il a eu une réaction humaine et il ne peut pas se le permettre.
— Pourquoi est-ce que tu me dis tout ça ? Il t'a menacé de te tuer.
Popol sourit avant de se lever et me laisser à nouveau la vue sur son corps dénudé. Il s'étire puis conclut :
— Je pense qu'il sait que tu tiens bien trop à moi et que tu lui en voudrais beaucoup trop s'il me tuait. Et comme il commence à tenir à toi... Tu la sens votre connexion ?
Je n'ai pas le temps de répondre ou de demander plus d'explications que Popol est redevenu un chat et s'enfuit déjà de la chambre. Je n'ai pas envie de lui courir après et d'exiger davantage. Je me contente de rester bouche bée et de réfléchir. Je me concentre comme je peux, mais j'ai beau essayer, je n'arrive pas à ressentir les émotions de Caym en ce moment. Je n'ai qu'une légère sensation qui m'envahit qui me prouve qu'on est encore connecté, mais rien d'aussi fort qu'au début.
Et je n'arrive pas à comprendre pourquoi ça me dérange.
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