Chapitre 9 : Poopoon tout puissant

À la suite du colosse, nous gravîmes quelques marches et nous retrouvâmes à l'étage supérieur, dans ce qui paraissait être une salle de spectacle. De dimensions modestes, elle était néanmoins dotée d'une scène dont je ne pouvais voir la profondeur derrière le rideau tiré. Devant l'estrade, un joli piédestal avait été positionné bien en évidence et un jouet en plastique Sophie la Girafe trônait dessus, cérémonieusement mis sous cloche. Quelques tables étaient disposées çà et là dans l'espace restant ainsi qu'un certain nombre de chaises dont une dizaine était occupée par des hommes et des femmes tous plus poilus les uns que les autres. Ils nous fixaient d'un regard de conquérants qui m'intimida un peu.

Mais où était Wolf Donovan ?

Notre guide se dirigea vers un homme blond aux yeux étonnamment sombres qui tenait son menton dans une main et une pinte de bière dans l'autre. Il voulait peut-être se donner l'air mystérieux, mais c'était raté, il avait juste l'air de s'ennuyer ferme.

― Vice-chef, ils travaillent pour m'sieur O'Donnell, ils ont un super truc, nous présenta le géant.

Léonard fut apparemment vexé par la relation de travail avec Bob qu'il nous attribuait et s'empressa de le corriger :

― Nous ne travaillons pas pour lui, nous travaillons avec lui. Voici donc le CoinX.

S'ensuivit une présentation dans les moindres détails des bienfaits surnaturels du canard en caoutchouc ponctuée des hochements de tête du vice-chef et des « oh » du colosse.

― C'est comme la FifiX, conclut le vice-chef à la fin de la présentation, peu convaincu.

― Non, ç'ui-là, il est insursible, expliqua le géant.

― Insubmersible, le corrigera gentiment Jocelyn.

Le vice-chef en fut à son tour tout heureux et les frères vampires et lui entrèrent dans une conversation animée pour fixer le prix du canard jaune. Je crois que mes voisins s'étaient un peu trop laissé prendre au jeu. Quant à Gary, il s'était installé à une table avec une femme et un homme et se faisait lire son avenir dans des cartes de tarot.

Une fois le marchandage terminé et le joli pactole empoché par Léonard et Jocelyn, le géant transporta délicatement le canard en caoutchouc vers l'estrade et l'installa sous la cloche à côté de la FifiX, à savoir Sophie la Girafe.

Quelle belle bande de fêlés du bocal.

― Présentons à présent le CoinX à notre valeureux chef du Clan de la Distillerie ! déclara pompeusement Abruti numéro cinq (les quatre premiers étaient bien évidemment les vampires, le zombie et Boule de bowling). Lui qui m'a vaincu et m'a fait prendre conscience que je n'étais rien ! Que la cicatrice de cette blessure qu'il m'a infligée reste à jamais gravée dans ma chair en souvenir de mon humilité nouvelle !

L'homme tapa par terre de son pied droit pour mettre en évidence le bandage blanc enroulé autour de son mollet. Il tendit ensuite un bras vers l'estrade et l'un de ses subordonnés saisit un bout du rideau qu'il commença à tirer dans un grincement strident.

Les battements de mon cœur s'accélérèrent. Était-ce Wolf qu'ils dissimulaient derrière ce rideau ? Allais-je pouvoir récupérer dès ce soir la jolie somme promise par Léonard et Jocelyn et rentrer me coucher ?

Dans un dernier bruit métallique à m'en faire dresser les cheveux sur la tête, l'homme au rideau dégagea complètement la scène et j'y découvris...

― Poopoon ! m'écriai-je.

Le chihuahua baveux et bigleux de mes affiches était allongé sur un fauteuil miteux et mâchouillait férocement son os en grognant.

Mon cri m'attira les regards de tout l'auditoire. Je cherchai rapidement une explication à leur donner quand une voix dans mon dos me fit frissonner.

― Eh bien, si ce ne sont pas mes compagnons de boisson préférés... Qu'est-ce que vous fichez ici ?

Bob O'Donnell venait de pénétrer dans la pièce et il nous fixait tour à tour de son regard énigmatique, une main sur le bord de son chapeau pour le rabattre sensiblement sur ses yeux.

Je ne sais pas pourquoi, mais quelque chose me disait que malgré le lien qui nous unissait plus ou moins (plutôt moins que plus, de mon côté) depuis ce soir passé au pub ensemble, il ne marcherait pas dans notre combine. Et non pas par incompréhension de la situation.

― Ces hommes ne sont-ils pas vos associés ? Ils nous ont vendu un CoinX aux pouvoirs fabuleux qui a cette capacité de flotter sur l'eau, contrairement à votre FifiX, hésita le vice-chef, soudainement suspect.

― Nan, ce sont juste des connaissances. Vous vous êtes fait avoir, nous dénonça Bob.

Il nous adressa un sourire machiavélique (peut-être était-ce ma paranoïa qui faisait des siennes, mais j'eus l'impression que son regard s'attardait sur moi en particulier) et cacha à nouveau ses yeux avec le rebord de son chapeau. Pendant ce temps-là, tous les pseudo-loups-garous se jetaient sur nous.

Mon attention se porta sur Poopoon le chihuahua et je me précipitai sur lui en évitant au passage un poilu déterminé à m'attraper. Ma cliente voudrait récupérer son chien vivant, je devais donc le protéger de mon corps s'il le fallait. Mon loyer en dépendait...

Je tendis les bras vers le chihuahua plein de bave qui découvrit sa splendide denture presque normale. Mon cerveau essayait encore de comprendre ce qu'il voyait quand le chien décida qu'à un mètre de distance, je ne pouvais pas apprécier ses beaux crocs à leur juste valeur et il me bondit dessus pour me les planter dans le bras.

Je me mis à hurler avant même que la douleur atteigne mon système nerveux et agitai le bras pour faire lâcher prise au sale cabot. Un rugissement couvrit alors mes cris :

― Pas touche au chef !

Je n'eus pas le temps de me retourner qu'un choc à l'arrière de mon crâne nous projetait Poopoon et moi au sol.

― Oups... Pardon, chef ! s'excusa Boule de bowling d'une voix catastrophée.

Je tombai dans les pommes.

Quand je repris connaissance, Gary se tenait à côté de moi. Il m'avait apparemment traîné jusqu'à un coin de la scène et m'avait adossé à quelque chose en bois. Poopoon m'avait lâché le bras et se trouvait à présent allongé sur mes genoux où il s'acharnait une nouvelle fois sur son os.

― Bouge pas de là, me conseilla le zombie. Je vais construire une barricade.

Il descendit de la scène au milieu d'une cohue sans nom.

Je tiens à souligner que la scène que je m'apprête à décrire est à prendre avec des pincettes : comme je l'avais appris ensuite, la chaise que je m'étais prise sur la tête quelques instants plus tôt m'avait causé une petite commotion cérébrale, ce qui explique les hallucinations et le désordre de mes pensées.

Bref, revenons à nos cinglés.

Les hommes poilus gesticulaient dans tous les sens pour essayer d'attraper mes voisins. Ces derniers les esquivaient en contournant les tables et les chaises, se transformaient parfois en... chauves-souris pour passer en dessous pour Jocelyn, au-dessus pour Léonard et perturber leurs adversaires. Agacés, ceux-ci se couvraient par moment de poils jusqu'à masquer totalement leur peau et dévoilaient une denture impressionnante.

Boule de bowling était prostré dans un coin et pleurnichait. Je ne sais pas si c'était parce qu'il avait peur ou parce qu'il avait envoyé valdinguer Poopoon en me balançant une chaise à la figure. Quant au Poopoon en question, il avait quand même de sacrées canines pour un chihuahua...

Gary revint ensuite vers moi en esquivant une table volante et deux loups-garous et remonta sur la scène en tenant deux chaises à bout de bras. Il les posa devant moi pour me protéger... du moins j'imagine. Il installa ensuite le canard en caoutchouc et Sophie la Girafe à côté de moi et me glissa :

― J'ai récupéré le CoinX et la FifiX. On sera en sécurité avec eux : double protection !

Il s'installa ensuite à mes côtés et sortit un jeu de tarot qu'il mélangea avant de tirer des cartes.

J'assistai donc à la suite à travers les pieds de chaises.

Un nouveau groupe d'hommes et de femmes poilus débarqua dans la salle, mené par un type dont le bide à bière impressionnait tout autant que ses muscles.

― Donovan ! Il est où mon gosse ? hurla-t-il.

Le vice-chef du Clan de la Distillerie pila net en voyant les nouveaux venus.

― Donovan ! répondit-il sur le même ton. Qu'est-ce que tu veux que j'en sache ? C'est ton gosse, pas le mien !

― Menteur ! Donovan ! s'égosilla Bide à bière en se jetant sur son rival.

― Donovan ! renchérit Abruti numéro cinq.

Les deux hommes roulèrent par terre dans une tornade de poils et de fourrure. Le bordel reprit de plus belle, multiplié par deux cette fois-ci.

Fasciné par ce que je voyais et toujours sonné, je ne remarquai Bob qu'une fois le petit homme planté devant moi. J'étais assis, il était debout, nos yeux se trouvaient au même niveau. Pourtant, ce n'était pas moi qu'il regardait mais le couteau de boucher qu'il faisait tourner entre ses doigts.

― Tu es adossé à quelque chose qui m'appartient, petit... ricana-t-il.

Je le regardai en fronçant les sourcils puis essayai de tourner la tête pour voir de quoi le leprechaun parlait. Une douleur sourde se répandit alors dans tout mon corps et j'abandonnai. À mes côtés, Gary, curieux, se retourna pour voir.

― Oh ! Du poitín ! J'adore le poitín ! s'exclama-t-il en se levant.

Du poitín ? Dans des contenants en bois ? Des tonneaux ? Le monde commença à tourner devant mes yeux. Mon cerveau m'avertit qu'il y avait deux points à relier quelque part mais m'informa par la présente qu'il n'était pas disposé à le faire dans l'immédiat. De mon côté, la lame aiguisée que le leprechaun agitait toujours sous mes yeux me préoccupait davantage.

La situation pouvait-elle devenir plus critique ? Peut-être pas. Pouvait-elle devenir plus chaotique ? Certainement. Elle ne s'en priva d'ailleurs pas.

― Bob O'Donnell ! s'écria soudain la voix d'Enat. Je le savais... Tu vas le payer, espèce d'escroc !

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