Chapitre 8 : La feinte du CoinX

Je ne me considérais pas vraiment comme un lâche. Quand j'étais enfant, je bravais seul ma peur du noir pour aller aux toilettes en pleine nuit et je me portais toujours volontaire pour récupérer les ballons que mes amis et moi coincions dans les arbres en jouant. Et je réussissais presque tout le temps à redescendre par moi-même.

Bref, accompagné des trois hurluberlus qui me servaient de compagnons, je me dirigeais vers le petit couloir sombre au bout duquel se trouvait selon leurs dires un groupe de kidnappeurs possiblement armés jusqu'aux dents.

Léonard, qui menait la marche, fut cependant rapidement arrêté par un barman qui lui barra le passage.

― Excusez-moi, monsieur, fit-il poliment, vous n'avez pas accès à cette partie du pub. Si vous cherchez les toilettes, elles se trouvent de l'autre côté.

― Nous sommes en pleine enquête, mon brave, lui rétorqua le vampire. Je ne souhaite en rien dénigrer votre travail, que je trouve fort louable, mais nous devons accéder à ce couloir. Des vies sont en jeu.

Le barman examinait l'accoutrement de son interlocuteur avec étonnement lorsque Jocelyn se planta à son tour devant lui et déclara :

― Un enfant a été enlevé par les loups-garous qui se cachent derrière vous. Nous devons le sauver !

Le match de rugby diffusé sur l'écran de télévision était soudain fort intéressant...

― Je comprends... fit alors le barman d'une voix douce. Asseyez-vous, messieurs, je vais appeler de gentilles personnes qui s'occuperont très bien de vous...

Alors que l'homme sortait son téléphone de sa poche et composait le numéro des services médicaux, Gary se prit un pied dans son autre cheville, bouscula Léonard et Jocelyn et tomba contre le barman. J'aperçus quelque chose de rond rouler au sol mais, dans la pénombre, sa nature m'échappa. L'homme en revanche se figea, livide, et une expression d'effroi se dessina sur son visage.

― Oups, pardon, j'suis bourré, grommela Gary.

Le barman se précipita derrière le bar en hurlant et se recroquevilla dans un coin.

Gary se pencha, récupéra ce qui était tombé, sortit de sa poche un mouchoir aux motifs de nounours et essuya l'objet qu'il leva vers son visage. Quand il baissa la main, la petite boule avait disparu.

― Hâtons-nous ! s'exclama Léonard en nous faisant signe de le suivre.

Notre quatuor s'engouffra donc dans l'obscurité du couloir en abandonnant derrière son bar le pauvre barman tremblotant qui cachait sa tête sous ses bras. Je ressentis une légère pointe de satisfaction en constatant que l'homme avait paniqué encore plus que moi en voyant le déguisement de Gary. Quel amateur. Il ne devait pas avoir le cœur bien accroché...


Englouti par la pénombre, je posai mes mains contre les murs en boiseries du couloir et me guidai à l'aide de la voix excitée de Léonard.

Mes collègues-clients et leur nouvel employé faisaient preuve d'une dextérité dans l'obscurité que je ne leur aurais jamais soupçonnée. Heureusement, le couloir n'était pas très long et je percutai rapidement le groupe de tête qui avait fini par s'arrêter.

― Nous touchons au but ! s'exclama Léonard.

Une faible lueur éclaira tout à coup la scène. Le visage difforme et morbide de Gary apparut dans l'obscurité, ce qui me fit sursauter. Le zombie dirigea la petite lampe de son téléphone portable devant notre groupe et éclaira la porte qui nous faisait face.

Le panneau de bois était travaillé et semblait venir tout droit d'un vieux gréement. À moins que cette impression ne vienne de l'écriteau « Le pont des matelots » en forme de bouée décorative et du filet de pêche fixés dessus.

En revanche, ce qui détonnait un peu plus, c'étaient les cinq fers à cheval qui pendaient au filet en question et l'étiraient dangereusement. Une petite pancarte « Attention, toutou méchant » ornée d'un dessin de chien qui tirait la langue, une balle rouge à ses pieds, parachevait la décoration.

― Bien, reprit Léonard. Voyons à quoi ressemblent nos ravisseurs.

Il leva la main et, avant que j'aie pu lui dire d'attendre, frappa trois fois à la porte.

Visiblement, leur plan, si on pouvait vraiment le qualifier de la sorte, était d'improviser. J'étais tiraillé entre la curiosité de découvrir les bêtises qu'ils allaient bien pouvoir inventer cette fois-ci et le désir de boucler cette pseudo-enquête le plus rapidement possible, rentrer me coucher et passer à autre chose de plus sérieux le lendemain.

Quand la porte s'ouvrit, l'appel de mon lit avait mis au tapis ma curiosité et j'avais décidé de prendre les choses en main. J'eus néanmoins un petit mouvement de recul en découvrant le colosse poilu au visage marqué par les combats et aux yeux noirs de nuit qui eut la courtoisie de répondre à notre appel.

Dans leur grande témérité teintée de stupidité, aucun de mes trois autres compagnons ne bougea d'un poil. Léonard ouvrit la bouche et mon sang ne fit qu'un tour.

― Bonsoir, monsieur ! m'exclamai-je avant que mon voisin ait pu sortir la moindre ânerie. Nous sommes des associés de Bob O'Donnell. Est-il déjà arrivé ?

Les vampires et le zombie me regardèrent comme si j'étais tombé sur la tête. Peu importe. J'ignorais si ce géant faisait ou non partie de ce jeu de rôle grandeur nature, mais si ce n'était pas le cas, il était hors de question que je risque de me faire fracasser le crâne en laissant Léonard l'accuser du rapt d'un enfant.

― M'sieur O'Donnell ? grommela le mastodonte.

― C'est exact, confirmai-je avant de me tourner vers mes collaborateurs. N'est-ce pas ?

Les trois idiots échangèrent des regards, puis, au bout d'un moment qui me parut durer une éternité, une lueur s'éclaira dans les yeux de Léonard. Dieu merci.

― Oui... Oui, c'est parfaitement cela, fit-il. Nous travaillons avec ce très cher Bob, il nous a demandé de le retrouver ici ce soir.

Sur ce, il donna un coup de coude à Jocelyn qui se mit à son tour à dodeliner de la tête, l'air toujours aussi perdu.

― On cherchait pas l'ado qui... commença Gary.

Je le fis taire d'un coup de pied dans le tibia qui opposa étrangement peu de résistance. Gary protesta, se pencha et j'entendis un bruit de scotch qu'on déroule. La lumière virevolta un instant jusqu'à ce que le zombie pose son téléphone par terre, fort heureusement sans cacher la petite lampe.

― M'sieur O'Donnell est pas encore là, marmonna le colosse.

― Peut-on l'attendre à l'intérieur ? demandai-je en désignant d'un signe de tête l'autre côté de la porte que son corps massif dissimulait à ma vue.

L'homme pencha d'un côté la boule plantée sur son cou. À en croire ce que je voyais dans ses yeux, c'est-à-dire pas grand-chose, je dirais que la boule en question avait plus ou moins les mêmes facultés intellectuelles que ses homologues qu'on envoyait dans des quilles. Le type réfléchit un moment – un très très long moment – puis ses yeux se fixèrent sur les fers à cheval qui pendaient au filet de pêche sur la porte.

― Vous vendez quoi ? demanda-t-il.

Léonard et moi nous regardâmes.

― Des... objets porte-bonheur, bien entendu, sortis-je. Très efficaces. Les plus efficaces du marché.

Le géant parut intéressé.

― C'est quoi ? J'peux voir ? fit-il en se penchant sur nous, l'air tout à coup plus curieux que menaçant ou suspicieux.

Je tapotai mes poches à la recherche de quelque chose. Malheureusement, elles ne contenaient que mon téléphone et un vieux mouchoir usagé. Léonard paraissait également embarrassé. Gary n'avait toujours pas compris ce qui se passait.

― Ceci ? glissa alors Jocelyn, pas vraiment sûr de lui.

À la lueur du téléphone de Gary, je distinguai entre ses doigts froids et pâles un objet jaune et rond au bec rouge et aux yeux noirs.

― Oh ! s'exclama le colosse avec ravissement. C'est quoi ?

D'où sortait ce canard en caoutchouc ? Je fus tellement pris de court qu'aucune réponse satisfaisante ne me vint à l'esprit. Et puis merde. Comment voulait-on que j'en trouve une, c'était un canard en caoutchouc !

― Ceci, très cher, commença Léonard, est un artefact de la plus grande rareté...

― Très rare, renchérit Jocelyn. Tellement rare que nous ne pouvions nous permettre d'en apporter plus d'un.

― Il est doté de pouvoirs faramineux ! reprit Léonard. Sa couleur vive chasse le mauvais sort et vous garantit force et chance...

― Oh ! souffla le géant, épaté.

― Ses yeux noirs assurent une surveillance constante de votre environnement et son bec rouge... eh bien... poursuivit l'aîné des vampires.

― ... son bec est rouge du sang des esprits malins dont il vous aura sauvé ! termina Jocelyn. Nous vous présentons le CoinX !

― Oh ! conclut le géant avant de se rembrunir. Mais c'est déjà ce que fait la FifiX...

Je me demandai ce qu'était une FifiX, mais peu importe. Je décidai d'apporter une touche que j'espérais finale :

― Il est insubmersible.

― Hein ? s'enquit l'homme.

― Il flotte sur l'eau, expliquai-je.

Le géant sautilla un instant sur place avant de se pousser pour nous laisser passer.

― Il va être content, le vice-chef, commenta-t-il.

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