Chapitre 2
- Mais attends, qu'est-ce que tu fais ?!
Il se trouvait au bord de l'océan, les vagues froides léchaient ses pieds nus et l'écume salée lui brûlait le visage. Quelques mètres devant, c'était le chaos, un chaos put et total, peut-être capable de rivaliser avec celui qui régnait dans sa tête. Peut-être.
- Arrête, reviens ! Pourquoi tu fais ça ?!
Une vague s'écrasa juste devant lui, et il entendit sa sœur hoqueter derrière. La tempête soulevait des rouleaux violents, une mer déchaînée.
- Je t'en prie, arrête.
Les sanglots perçaient dans la voix.
- Arrête, je t'en supplie, arrête.
L'écho se perdait alors que le bruit des vagues devenait plus fort, de plus en plus fort. Au final ne restait-il de la voix qu'un son lointain.
- Pourquoi tu fais ça...
Seth s'éveilla transpirant, le matin n'était pas encore levé. En vérité, tout le dortoir dormait à poings fermés.
Ses dents claquaient, et il tremblait comme une feuille, mais pour une fois, ce n'était pas le manque qui l'avait éveillé. Il avait rêvé, aussi, il ne se rappelait plus précisément quoi. C'était en rapport avec l'Afrique du Sud, son pays natal.
Il se redressa - péniblement - et descendit - encore plus péniblement - l'échelle qui menait au bas de sa couchette. L'équilibre des manchots, on n'en parlait pas assez.
Le plafond du dortoir du haut était totalement vitré, à nouveau dans une perspective d'apaisement, et laissait entrevoir la neige et les montagnes au-dehors. Seth s'approcha de la vitre et observa le paysage nordique et nocturne.
À cet instant, il aurait tout donné pour une cigarette.
Par réflexe, il secoua la tête. Vraisemblablement, il ne pourrait plus jamais fumer. Plus jamais fumer, plus jamais se droguer, plus jamais jouer.
Ça faisait beaucoup de "plus jamais".
Même s'il sortait d'ici, ce ne serait que le début du cauchemar. Il retournerait à Los Angeles, parce que c'était là qu'il s'en sortait le mieux, et il reprendrait ses mauvaises habitudes. Il n'avait pas la volonté de briser le cycle, il était déjà bien trop immergé dedans.
La drogue était un poison dans la mesure où, une fois que vous l'aviez goûtée, la réalité vous paraissait sans saveur, déprimante à mourir. Vous aviez besoin de plus, et cela ne s'arrangeait pas forcément avec le temps et le recul. Seth avait l'impression d'avoir conclu un pacte avec le diable, un marché qu'il payerait le reste de sa vie. À moins de s'endetter encore davantage.
Un moment, il hésita à traverser la vitre. Mais la neige bleue, la surface pure, le décor était trop beau pour être entaché par un cadavre. C'était la seule chose qui le réconfortait désormais : le monde entier n'était pas foutu, et il continuait de tourner.
🚬🚬🚬
- Vous avez une tête de déterré.
- Ça fait toujours plaisir.
L'ascenseur descendait vers les sous-sols, transportant à son bord Angie et Seth, finalement jugé apte à apporter sa contribution au Snow Bird. C'était comme cela que ça fonctionnait au centre ; les anciens se rendaient utiles en aidant les nouveaux, ceux qui se trouvaient dans les étages inférieurs.
Et après environ un mois et demi, vous étiez un ancien.
- Ne le prenez pas mal, vous avez juste l'air d'avoir mal dormi.
- Et vous, vous avez bien dormi ?
- Très bien, merci.
L'ascenseur s'arrêta pour déboucher sur un couloir aux couleurs malades. Seth grimaça. Il se souvenait bien de ce couloir.
- Allez, on avance, lança Angie.
La cave, comme l'appelaient communément les pensionnaires, l'endroit où ils avaient tous passé leurs premiers mois, n'avait pas changé depuis qu'il l'avait quitté. Toujours les mêmes couchettes superposées, la même atmosphère malade, les mêmes silhouettes recroquevillées, la même sensation d'étouffement.
Angie passa auprès des différents pensionnaires, vérifia que tout allait bien, alors que Seth la suivait en distribuant des bouteilles d'eau et de jus d'orange.
Certains le reconnurent, et l'infirmière lui indiqua de leur parler. Il discuta ainsi avec une bonne partie du dortoir, dont une fille accro à l'héroïne depuis plus de dix ans, un garçon dont c'était le troisième séjour au centre et qui prenait de la crocodile, et un gamin à peine majeur, lui semblait-il, qui avait alterné les deux.
Quand il arriva vers le fond de la salle, il rencontra une femme au teint gris et aux dents trouées, aux cheveux gras et au front perlé de sueur.
Sitôt qu'elle le vit, elle tendit la main vers lui.
- Seth Banner ? murmura-t-elle avec un sourire mi dément mi hypocrite.
Seth eut tout juste le temps de parer de sa main valide le coup qui lui était destiné, alors que la femme hurlait :
- Menteur ! MENTEUR ! Je te croyais tu sais ?! Je croyais toute la merde que tu débitais, comme quoi la société entière était droguée, et rien n'avait d'importance, MON CUL !! J'étais clean, putain de merde !! Et maintenant regarde-moi ! Je te hais, je te hais, JE TE HAIS !!
Angie intervint alors que d'autres pensionnaires se retournaient et émettaient des protestations.
- Elle peut pas fermer sa gueule ? entendit-on dans un coin.
L'infirmière quant à elle essayait de calmer le jeu.
- Calmez-vous, Helena. Seth, attendez-moi à l'ascenseur.
Cinq minutes plus tard, ils retournaient tous les deux dans les étages supérieurs.
- De quoi vous accusait-elle ? demande Angie.
- D'inciter, j'imagine.
- Et c'est vrai ?
- De quoi ?
- Que vous incitez.
Seth soupira et s'appuya contre la paroi de l'ascenseur.
- J'influence, sûrement. Mais ce n'est pas le message que j'essaye de faire passer.
- Mais vous influencez.
- Tout est question d'influence, depuis toujours. Les parents disent quelque chose, les potes ou votre chanson préférée en disent une autre. Au final, chacun décide en étant influencé par son historique, personne ne fait réellement de choix. C'est une illusion.
Angie l'écouta attentivement, puis hocha la tête, pensive.
- Alors, pourquoi ne pas lui avoir dit ?
- Parce qu'elle va mourrir.
L'infirmière lui lança un regard noir.
- Vous n'en savez rien.
- Si, je le sais, vous le savez et elle le sait aussi. Elle est dans le pire état qu'on puisse imaginer, c'est la fin. Pourquoi vous ne lui dites pas simplement ?
- Et à quoi ça nous avancerait ?
- Elle n'aurait pas l'impression qu'on se fout de sa gueule.
Angie lui lança un regard vexé, et furieux.
- Très bien, dit-elle. Quand t'étais en bas on croyait tous que tu allais mourrir. Et la plupart des médecins qui s'occupent de toi sont convaincus que tu ne récupéreras jamais ni tes poumons ni ton bras.
Seth se figea, et la fusilla du regard.
- Tu vois, fit-elle en sortant de l'ascenseur, voilà ce qu'il se passe quand on dit la vérité.
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