9) Vers le Sud
La chasseuse était tapie dans les feuillées. Cela faisait deux jours qu'elle n'avait pas eu l'occasion de chasser, la faim la gagnait. Aucun humain à disposition, elle traquait le jajava, bête quadrupède nettement moins amusante à tuer que l'homme. L'adrénaline était absente quand elle bondit sur l'animal qui émit un cri lorsqu'elle plongea ses crocs dans la chair tiède et poilue. Il se débattit follement, mais tomba au sol, inerte tandis que Kitsune termina son repas.
***
- Bouah ! bailla Blaize à moitié endormie après s'être réveillée à l'aube.
Elle marchait d'un pas calme aux côtés de Haru, Hikagué et Omen en chemin vers le territoire d'Ignitus au sud. La dragonne libérée la veille les avait suivis jusqu'à la base, les yeux presque toujours rivés au ciel. Elle leur avait ensuite indiqué sur la carte les lieux susceptibles d'abriter ses amis. Ils avaient décidé de se diviser en groupes de deux : Blaize et Haru iraient au sud pour rejoindre la grotte Soleil du Mont Lumière, Hikagué et Omen les accompagneraient un bout du chemin avant de les quitter pour parvenir au Mont Mortel, qui abritait la Grotte Lune, l'ancien antre d'Ungura. Théophile et Imiris de leur côté se rendaient à la Grotte Blanche du Mont Innocence au Nord. Samuel, qui n'avait pas encore retrouvé assez de forces pour participer à une longue randonnée dangereuse restait à la base auprès de l'Oracle et Camélia, car, bien que le vieux fou ne puisse rien faire en cas d'attaque d'animaux sauvages, la dragonne serait largement en mesure de le protéger.
La brise fraîche du matin portait le parfum enivrant des fleurs géantes que Blaize et Omen se faisaient une joie d'inspecter au millimètre à chaque pas. Elles agaçaient les garçons, même si c'était difficile de se fâcher : leurs jovialités respectives semblaient se refléter et s'exagérer lorsqu'elles étaient lâchées dans la nature ensemble, donnant lieu à une frénésie d'enfantillages. Soudain la félinienne se précipita pour chatouiller son coéquipier lumien qui essaya de l'esquiver, sans succès. Omen se joint à la mêlée et les deux filles terrassèrent Haru dans un chaos de rires.
- Bon, c'est pas tout ça, mais il faut quand même qu'on avance un peu... rit Hikagué, assistant à la scène, un peu à l'écart.
Omen lui bondit dessus pour toute réponse et lui offrit le même traitement qu'à Haru. Il croula immédiatement, tombant à renverse sur une large fleur à pétales roses. À l'étonnement général, la fleur se mit à vibrer, émettant un bourdonnement grave.
- C'est quoi ça ? demanda Blaize, s'approchant du duo à terre, le sourire aux lèvres. Tu ronronnes, Hikagué ?
- Comment voudrais-tu que je ronronne ? répliqua l'exorciste, se relevant.
Le son se fit plus fort tandis qu'on continua à se moquer de Hikagué, qui se prenait au jeu en retournant les chatouilles qu'il avait reçus. Seul Haru ne riait pas : il avait soudain pris un air inquiet et marchait à pas furtifs à l'opposé de la fleur musicale.
- Éloignez-vous... lentement... de là, murmura-t-il gravement.
- Qu'est-ce que tu as, Haru ? s'enquit Omen, la tête penchée sur la gauche. Tu n'as pas peur des fleurs quand même ?
- Réfléchissez un peu ! chuchota-t-il toujours en partant, Nous sommes dans une partie de l'île où la faune et la flore sont prospères au point d'être géantes par rapport à la norme, mais ils restent essentiellement à peu près les mêmes que chez-nous. Qu'est-ce qui passe dans les fleurs avec ce genre de bruit ? S'il y a des fleurs géantes alors en toute logique il y a des...
- Abeilles géantes ! cria Blaize, coupant son camarade.
Un insecte immense de la taille d'un cheval venait de surgir d'entre les pétales sucrées de la plante et s'était élevé dans les airs avec un bourdonnement assourdissant. Son dard long comme un bras dégoulinait d'une substance verdâtre que le groupe identifia tout de suite comme un poison. Elle s'abattit sur Hikagué qui l'esquiva de justesse. Haru lança une boule de lumière en sa direction, mais ses ailes diaphanes portèrent la bête loin de l'attaque avant de rendre la pareille au lumien. L'arme mortelle de l'abeille était à deux doigts de transpercer le cou d'Haru quand elle fut terrassée par un animal noir qui grognait comme un tigre.
C'était une créature étonnante : à la corpulence d'une lionne, musclé et élégant, ses griffes marquaient l'abdomen de son adversaire de mille plaies béantes. Ses trois queues fouettaient l'air férocement à chaque coup que portait l'animal. Mais le plus incroyable était qu'il semblait être constitué de la nuit même : entouré d'une brillance rougie, son corps était noir et lisse, ponctuée de lumières blanches qui avaient l'air de venir de son intérieur. Seule sa soyeuse crinière d'albâtre venait casser cette impression, entourant son cou d'un rideau de neige. Et ces yeux, ces yeux écarlates emplis de haine répliquaient ceux du cerbère légendaire. Pétrifié, Haru ne put que regarder l'abeille se débattre contre la bête, appuyé contre un tronc d'arbre pour tenir debout contre le choc.
- Tu vas te bouger ou tu vas laisser Noctis faire tout le travail ? hurla Hikagué à son intention. Son bras droit était en sang et son tatouage s'illuminait. Elle ne peut pas le tuer parce qu'il a un corps matériel, il faut que tu en finisse toi-même !
Haru trembla en s'avançant vers l'insecte qui agitait ses six pattes en même temps. Pas à pas, il s'approcha. Soudain, un éclair gris lui passa sous le nez et décapita la bestiole d'un coup. Devenu immobile, l'être nommé Noctis relâcha sa prise et rejoignit son maître. Hikagué la caressa pour la féliciter. Blaize, katana à la main haletait fort. Sa longue épée se couvrait du sang transparent de l'abeille qu'elle avait tué tandis que Haru et Omen la regardaient avec de grands yeux.
- Et après Théophile dit que c'est vous qui devez me protéger... se moqua-t-elle, laissant ses nerfs se calmer.
- Tu... Tu... Tu as... balbutia le blond.
- Je ne suis pas complètement sans défense non plus, sourit-elle, plongeant l'arme dans la terre pour la nettoyer avant de la ranger dans son fourreau de nouveau.
- Personne ne vient dire bonjour à Noctis ? Je suis déçu... intervint Hikagué.
- Bonjour Noctis... répondirent les trois à l'unisson, mais personne ne s''y intéressa plus que ça.
- C'est sympa de se sentir aimé, ironisa l'exorciste, essuyant le sang de son tatouage et ainsi renvoyant son familier.
Soudain, leur sang se glaça : un nouveau bourdonnement provenait des fourrés, et cette fois non pas une abeille mais un essaim en jaillit.
- Courez ! s'exclama Blaize prenant ses jambes à son cou.
Les autres ne se firent pas prier deux fois, ils se lancèrent aux trousses de la félinienne au grand galop. Hikagué et Blaize menèrent la course. Leur grande agilité leur permettait de gérer la terre inégale et gagner du terrain. L'un sauta par dessus une racine, l'autre bondit de tige en tige sans toucher le sol, utilisant sa queue pour s'équilibrer dans l'air. Les deux autres se débrouillaient moins bien : Haru n'avait pas l'endurance nécessaire pour soutenir le rythme, trébuchait régulièrement tandis que l'essaim se rapprochait de lui en même temps qu'Omen, dont les blessures ralentissaient l'allure.
Soudain, la petite se prit le pieds dans une butte et tomba violemment à plat-ventre. Haru continua sans se soucier de sa coéquipière, lui accordant seulement un regard interrogateur. Hikagué se retourna pour l'aider mais elle protesta :
- Non ! Continue ! Ne te soucie pas de moi, je peux me dépatouiller ! Vas-y, je m'en voudrais s'il t'arrivait quelque chose !
- Mais... ! voulut contester l'exorciste.
- Va ! ordonna la petite sorcière, la mine plus grave qu'il ne l'avait jamais vue faire.
- Hikagué, Omen a raison ! Si tu te blesses aussi, nous sommes tous perdus, dépêche-toi ! lui cria Haru, le dépassant et s'emparant du poignet de Blaize, qui s'était elle aussi arrêtée, pour la forcer à avancer.
- Tu n'es pas sérieux, j'espère ? On s'y est mis à trois pour abattre un seul de ces trucs, et toi tu veux la laisser seule face à une cinquantaine d'entre eux ?! s'indigna Blaize, tentant de se dégager.
- Puisque je vous dis que je la connais, j'ai confiance en elle, elle ira bien ! Maintenant viens ! On n'a pas le temps de discuter ! rugit-il avec une autorité hors pair.
Surprise, la félinienne se laissa tirer vers un barrage de buissons par le lumien, Hikagué les suivit. Ils étaient tous deux emplis de peur pour leur jeune coéquipière, et d'un doute nouveau envers Haru : avait-il confiance en elle, ou avait-il si peur que sa mort valait bien sa vie à lui ? Une fois à une distance de sécurité cachés dans une petite clairière entourée de végétation dense, ils s'arrêtèrent pour reprendre leur souffle. Hikagué était sur le point de rebrousser chemin quand une grande explosion grave fit trembler le sol sous leurs pieds et un vent fort faillit les balayer. Blaize tomba à terre aux pieds de Haru, lui-même à peine encore debout.
- Qu'est-ce que c'était que ça ? s'inquéta-t-elle, cherchant follement une explication sur le visage des deux garçons.
Un bruissement dans les feuillées attira son attention. Elle retint son souffle, le cœur battant dans ses oreilles. Elle huma l'air tentant de deviner l'identité de ce qui les rejoignait, mais les parfums de la forêt rendirent son odorat inutile. Le bruissement s'interrompit un instant puis...
- Bou !
- Ah ! hurla la félinienne à pleins poumons, s'agrippant à la jambe de Haru dans son sursaut.
- Peureuse va ! s'esclaffa Omen, surgie des plantes. Je vous avais dit que j'irais bien ! En plus le problème est réglé !
- C'était quoi l'explosion tout à l'heure ? l'interrogea-t-elle, se relevant et voulant reprendre un peu de digneté.
- Ça, c'est mon secret ! répondit la sorcière joyeusement. Allez, en route ! Je parie que Théophile et Imiris ont déjà fait beaucoup plus de chemin que nous !
Blaize et Hikagué échangèrent un regard ahuri avant d'emboîter le pas à la petite, sans savoir que quelques mètres derrière eux se trouvaient un amas de fleurs fanées et les exosquelettes blanchis des insectes dont le vent emportaient les poussières aux quatre coins de l'île.
---- Fin chapitre 9 ----
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