7) L'approche de l'île
Le lendemain matin, l'équipage fut réveillé par le cri enjoué de la félinienne, qui avait retrouvé du poil de la bête pendant la nuit. Elle venait d'apercevoir les côtes d'une île verdoyante et était par conséquent surexcitée. Enfin, l'aventure était à portée de main, elle allait prendre sa place dans une vraie mission ! Elle dansait un peu partout sur le pont, et manqua de repasser par dessus bord à plusieurs reprises. Dans sa course folle, elle se heurta à Hikagué chargé d'une caisse de vivres en préparation pour l'accostage. Elle regarda l'homme inquiétant, craignant qu'il la réprimande. Ses yeux intimidants de posèrent sur elle un instant, puis il sourit, amusé, et la contourna.
Immobilisée, surprise par la réaction du nouveau, elle rit intérieurement :
- Il a l'air terrifiant, mais finalement il est gentil...
Elle était sur le point de repartir dans son jeu joyeux quand un grand coup dans le dos faillit la mettre par terre. C'était Imiris avec un autre tas de vivres.
- Tu ne pourrais pas te rendre utile au lieu de rêvasser au milieu du passage ! cria la fée, insistant bien sur le mot "utile" puis continua son chemin en grommelant.
- Imiris, c'est le contraire, marmotta Blaize frottant son dos endolori. Scorpion !
Le navire accosta peu après sur une magnifique plage aux sables de jade. Comme si cela ne suffisait pas à l'émerveillement de l'équipage, elle bordait une forêt luxuriante constituée entièrement de fleurs et de champignons géants. Les parfums enchanteurs qui s'en dégageaient ne tardèrent pas à attirer les félins, et Blaize se pressa d'inspecter un hibiscus plus gros que sa tête, la plus petite des fleurs des environs. Elle fut rapidement tirée vers le bateau pour aider les autres à décharger les vivres et les répartir dans de grands sacs-à-dos. Ils en avaient pour des mois de nourriture et d'eau, avec de quoi chasser du gibier si nécessaire. Chacun endossa ses affaires et le groupe se lança à l'assaut de la forêt fleurie. La félinienne en profita pour parler à Hikagué, à l'arrière de la file.
- Tu la vois comment, cette Omen ? lui demanda la lionne, discrètement. Moi, elle me fait un peu peur...
- Franchement, je n'en sais rien, répondit Hikagué sur le même ton. Mais le simple fait qu'elle ait un lien avec Kitsune suffit pour me rendre méfiant. Je ne sais pas quel lien elles ont, j'imagine le pire.
- Haru m'en a parlé, d'après lui c'est une redoutable guerrière.
- Pas étonnant, elle a été nommée Chevalière D'Or après tout, remarqua-t-il.
- Je parie qu'elle est comme Imiris : glaçon vénère avec un caractère de scorpion, murmura-t-elle, avec un frisson.
- Quelque chose à dire, boule de poils ? rugit Imiris qui marchait devant eux ; elle avait l'ouïe fine, ses oreilles pointues avaient tout entendu.
- Non, non, rien du tout... se soumit Blaize. Elle avait appris pendant le voyage vers Morphée qu'il fallait mieux se taire dans ces moments-là.
L'exorciste ne semblait pas avoir reçu l'information et se moqua :
- Doucement scorpion ! Ne sors pas tes pinces à la moindre petite plaisanterie à ton sujet !
La fée, surprise par la réponse insolente de Hikagué, chercha une riposte, puis, lorsqu'aucune ne lui vint à l'esprit, se tut, frustrée. Ils continuèrent à traverser l'incroyable forêt en enjambant des immenses racines, contournant des énormes œillets et en évitant soigneusement les piques de roses déracinées.
Enfin, ils arrivèrent à une petite clairière occupée par une large tente verdâtre formée de trois petits bâtis circulaires. Celui du centre était plus grand que les deux annexes et était ponctué d'une grande double porte de toile libre qui s'agitait avec la brise. Les parois des tentes avaient l'air plus solides, renforcées au métal. C'était le quartier général dont le Directeur leur avait parlé. Omen et son apprenti devaient être à l'intérieur. À chaque pas, Blaize se tendait de plus en plus. Les paroles de Haru ricochaient dans sa tête, prenaient de plus en plus d'ampleur. Une armée en poussière... Une démone énervée... Quelle créature était capable de ça ? Une main blanche parut à la porte.
- Kicou ! Couki ! Vous avez fait un bon voyage ? J'espère qu'il s'est mieux passé que le nôtre. Vous savez ce qui s'est passé, n'est-ce pas ? Évidemment, puisque vous êtes là. Vu votre mine vous allez bien, tant mieux ! Tiens ? Haru ! Haru ! s'écria une voix hystérique.
Un éclair violet se précipita vers Haru et lui sauta au cou en riant. Le lumien ne paraissait pas trop surpris, mais le reste du groupe demeura immobile, bouche bée, complètement dépassé par la situation. Enfin Haru la força à se calmer un peu et tenir en place, et ses camarades purent observer la drôle d'enfant.
Elle était petite, arrivant à peine aux épaules du lumien. Souriante, ses grands yeux bleus illuminaient son visage pâle de jovialité et d'innocence. Ses longs cheveux d'un violet luxueux attachés en étrange queue-de-cheval large tombaient élégamment en boucles légères sur ses épaules nues, percées d'une multitude de petites blessures à moitié cicatrisées. Elle portait une robe à bustier vert foncé, comme les arbres qui l'entouraient, elle aussi abîmée, laissant paraître sa peau par rayures. La jupe volumineuse s'agitait à chacun de ses mouvements. Des manches détachées asymétriques donnaient une impression de luxe à sa tenue : celle de gauche en un tissu noir opaque et lourd tombait en une cascade de plis sur son poignet, celle de droite était en soie semi-transparente avec un motif écaille-de-tortue noir et rouge. Enfin, des bottines écarlates cachaient en partie des longues chaussettes bleu marine, toutes deux souillées de boue séché.
- Omen, calme-toi ! Nous sommes en mission je te rappelle ! rit doucement Haru à l'intention de la petite fille.
- C'est elle Omen ?! s'étonna Blaize, ahurie. Mais elle a douze ans !
Elle n'avait en effet rien de menaçant. La redoutable guerrière était une gamine ! Les seules choses qui rappelaient qu'elle ne faisait pas l'école buissonnière étaient les blessures récentes qui déchiraient sa peau de neige.
- J'ai dix-sept ans je te ferais savoir ! s'exclama-t-elle, vexée. C'est pas parce que je suis petite que je suis une gosse !
- C'est bien, Omen, mais tu sais bien que ce n'est pas l'impression que tu donnes... Arrête de grimacer maintenant, lui fit remarquer son vieil ami, tandis qu'elle tirait la langue à la félinienne.
- Mais... protesta-t-elle, les joues gonflées. Mais un regard désapprobateur de Haru l'arrêta dans son élan, elle souffla bruyamment : Bon, venez dans la tente...
Sans attendre, elle disparut derrière la porte en toile. Dubitatifs, les autres la suivirent jusque dans la grande tente du milieu. C'était un espace considérable, le centre était occupé par un panneau d'informations on avait affiché une carte dessinée soigneusement à la main. Sept matelas gonflables étaient éparpillés autour du panneau, dont l'un desquels était occupé par un jeune garçon à la peau et aux cheveux de différentes nuances verdâtres. Couché sur le flanc, les yeux fermés dans une grimace, souffrant manifestement d'une grande douleur. Une vaste coupure lacérait ses côtes tremblantes, et son sang mêlé à ses larmes gouttait au sol. En entendant Omen arriver, il tourna hâtivement son regard de l'autre côté.
- Voici Samuel Oji, mon apprenti de douze ans. J'espère que vous avez apporté du matériel de premier secours... leur présenta Omen sommairement en rejoignant son blessé. Samuel, regarde-moi. Tu as le droit de pleurer, on ne se moquera pas.
Samuel posa alors les yeux sur le groupe, ses iris oranges semblaient embraser sa pupille. La peur secouait son corps trop frêle pour un champ de bataille. Il n'était pas préparé pour cette mission, c'était évident. Blaize sentit l'angoisse soudain brûler ses entrailles : allait-elle finir dans le même état que lui ? Il était apprenti, un bon apprenti pour se voir attribuer une telle maîtresse, il avait des pouvoirs et pourtant elle le trouvait agonisant sur sa couche.
- Ce ne sera pas nécessaire de sortir les bandages, déclara Théophile en emboîtant le pas à la guerrière. Le pire est sur le côté, je peux m'en occuper.
- Je... essaya d'intervenir Omen. Théophile n'y fit pas attention.
- Dis-moi, Samuel : je vais essayer de t'aider, mais pour cela, il faudra que tu me laisses toucher ta blessure, et il se pourrait que tu aies mal. Est-ce que tu veux bien ? demanda le félinien, la voix douce, s'agenouillant près de son patient.
Pour toute réponse, le petit hocha la tête et s'immobilisa. Théophile se remit debout, sa main gauche s'était entourée d'une aura lumineuse verte. Un merveilleux parfum de fleurs apaisant envahit la pièce tandis qu'il frôla la chair exposée de Samuel. Il tressaillit, mais se forçait à retenir sa plainte. Sous les yeux intéressés du groupe, la blessure rétrécit, se referma lentement et finalement ne laissa qu'une marque blanchie là où elle s'était trouvée. Blaize observait en humant avidement les arômes sucrées qui avaient arrêté les larmes.
- Merci beaucoup Monsieur... soupira Samuel, libéré de la douleur.
- C'est super impressionnant ! s'exclama Omen, auscultant les restes de la plaie. Comment tu as fait ?
- C'est une facette de ma magie : je peux renforcer les bénéfices de l'aromathérapie et l'utiliser pour soigner les autres, expliqua le félinien, frottant sa main. Ça accélère radicalement la guérison naturelle du corps et élimine le mal.
- On pourrait te remplacer par une bouteille de parfum alors ? questionna la petite, la tête penchée sur la gauche.
- Pas tout à fait, non... répliqua l'intéressé, déstabilisé.
L'apprenti se redressa lentement, et sa maîtresse l'encouragea à se présenter plus formellement. Il obéit timidement :
- Je... Je m'appelle Samuel, je suis l'apprenti d'Omen, j'ai douze ans et j'apprends la magie offensive de terre...
- Et je suis Omen Ryuu, et je suis sorcière ! compléta-t-elle, joviale.
Haru nomma alors tour à tour ses camarades qui saluèrent leurs deux nouveaux coéquipiers plus où moins poliment. Arrivé à Hikagué, l'exorciste fit une révérence de cour, s'inclina et baisa la main de la petite sorcière. Le groupe tomba silent, surpris. Ils avaient encore en tête la réaction qu'il avait eue avec Imiris lorsqu'il croyait qu'elle était Omen. Haru lui avait dit d'être plus agréable, mais ce genre de geste théâtral paraissait aller trop loin. La jeune fille sourit, mais ne dit rien.
- Passons, intervint Haru, pressé de relancer un sujet. C'est la carte de l'île, je me trompe ? l'interrogea-t-il, désignant la carte du doigt.
Avant qu'Omen puisse ouvrir la bouche, elle fut interrompue.
- Il s'agit de l'Île des Quatre Dragons, messieurs-dames ! s'écria une voix inconnue, rauque. C'est mon île !
---- Fin du Chapitre 7 ----
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