32) Nouvelle Ère
Blaize se leva lentement, le regard braqué sur Yurao. Fatiguée et à bout de force, elle se sentait brûler d'un nouveau désir de vengeance. Ils avaient un combat à finir, et maintenant qu'ils pouvaient se considérer comme égaux, elle avait hâte de voir de quoi elle était capable. L'œil de son frère ne saignait plus, mais il avait clairement une profonde cicatrice qui ne partirait pas de sitôt.
Il était encore préoccupé par l'immense dragonne derrière elle. Elle décida d'attirer son attention. Sa colère lui facilita le travail, et une plante près de lui explosa comme un pétard. Il sursauta et chercha l'origine du bruit, mais il ne fut pas le seul, les amis de la félinienne avaient aussi l'air étonnés, et pensaient de toute évidence qu'Orphélia était la responsable.
- Blaize, qu'est-ce qui se passe ? demanda Imiris, son visage d'abord rassuré devenu inquiet, l'Oracle toujours entre ses bras.
- Je viens vous sortir de là, ça a l'air de quoi ? répondit-elle simplement, concentrée sur Yurao. J'ai eu deux-trois leçons de magie avec Orphélia, et elle n'est pas contente de ce que vous avez fait de son île.
Elle fit un geste de tête pour désigner la dragonne derrière elle qui s'approchait doucement. Imiris se crispa, mais ne dit rien. La félinienne continua son chemin vers Yurao qui ne faisait toujours pas attention à elle.
- Je suis vraiment si insignifiante pour toi ? l'interrogea-t-elle, la colère claire dans sa voix.
- Comment as-tu trouvé cette bête ? répliqua-t-il à peine intéressé.
- Cette bête comme tu dis est Orphélia, déclara Blaize, dégainant son sabre sans ralentir le pas. Celle que tu es venu chercher avec toute ta troupe. Celle dont vous vouliez vous servir.
Elle trancha l'air en signe de menace et une griffe de flammes s'anima. Yurao tressaillit, et regarda enfin sa sœur. Cette dernière continuait à avancer, il commença à reculer. Elle était enfin puissante, elle pourrait affronter n'importe qui. Contre la Kuroi Namida, elle se sentait invincible.
- C'est elle qui m'a donné ce nouveau pouvoir pour que je puisse la libérer de sa prison, dit-elle emplie d'une nouvelle confiance à force de voir son frère céder. Et c'est son oracle que tu viens de tuer.
- Non non non, c'est pas moi qui l'ai tué ! protesta Yurao qui essayait en vain de ne pas perdre face. C'est elle, c'est Hermionie !
Il pointa la nymphe qui prit un air dégoûté, mais qui ne fit rien pour le punir. Elle cachait son jeu.
- Alors tu es aussi odieux avec tes amis qu'avec ta famille ? cracha Blaize.
- Je ne suis pas odieux, c'est Théophile qui te fait croire tout... la contredit pitoyablement Yurao.
- Tu as cherché à gagner les affections de mère afin d'assurer ta position, mais ça n'a pas marché. Tu te penses fort, Yurao, mais en vrai, tous tes plans jusque-là ont échoué. Tu as cherché à laisser mourir notre sœur, à me noyer dans le lac, à faire passer Théophile pour le responsable, à tuer mes amis, à nous manipuler, à nous retourner les uns contre les autres, à nous détruire mais tu n'as fait que le contraire ! Théophile m'a protégée contre toi toutes ces années, et maintenant que je peux me battre, c'est à moi de te réduire en cendres.
À ces mots, sa main s'enflamma, mais elle se força à rester calme. Réprimer la magie jusqu'à la dernière seconde, voilà comment se faisaient les vrais dégâts. Elle reprit :
- J'imagine que je devrais te remercier. C'est à cause de toi que Théophile m'a emportée loin de la maison, qu'il m'a aidée à survivre le voyage jusqu'au Parc des Chevaliers, à cause de toi j'ai pu apprendre ce que sont la famille, les amis, la passion. Si tu n'avais pas été aussi horrible, je serais devenue une enfant naïve pourrie gâtée comme les autres. Maintenant que je suis forte, j'aimerais te remercier comme il se doit.
Acculé contre un mur, Yurao ne pouvait plus s'échapper. Les autres retenaient leur souffle, dépassés. La cadette leva son arme, posa la lame délicatement contre son cou, et murmura :
- Alors ? Tu ne vas pas te battre ?
Soudain, une force invisible la tira loin et la plaqua au sol. C'était le pouvoir d'Hermionie ; elle avait enfin assez de voir son commandant terrorisé.
- Ça suffit. Yurao, va chercher Akuma et prépare le bateau, nous partons. Je vais m'occuper de celle-la.
Yurao ne se fit pas prier deux fois et déguerpit entre les arbres. Blaize chercha à le poursuivre, mais elle n'avait plus les forces pour rivaliser avec la magie de la nymphe. Elle chercha les autres des yeux, mais elle fut confrontée à quelque chose qu'elle eut voulu éviter : Théophile à plat-ventre, inconscient. Il ne respirait plus... Le choc la bloqua. Mort ? Non, il ne l'était pas. Il ne pouvait pas l'être. Il était simplement évanoui, et elle ne pouvait pas le voir respirer, ou la magie brouillait sa vue, ou... Un poids se forma dans sa poitrine.
Enfin, elle vit à quel point ses amis étaient faibles : Omen à terre, immobile avec Hikagué auprès d'elle, Imiris, Haru et Samuel sales, boiteux et couverts de blessures, l'Oracle regardait le ciel, les yeux laiteux, Camélia disparue à cause de la douleur... Elle avait beau les avoir sauvés de la tornade, elle n'avait pas réussi à les protéger.
Le sentiment d'être immortelle était bel et bien effacé à jamais. Encore une illusion d'Orphélia. Elle tendit la main pour caresser les cheveux de son frère. Un pied cruel lui bloqua le mouvement. Hermionie régnait au dessus d'elle, enragée.
- Alors c'est toi qu'il me cachait tout ce temps ?! Quel imbécile ! Il croyait en toi, une gamine qui se prend trop au sérieux ! Tu es censée être l'âme écarlate ? Même Kitsune aurait été un meilleur choix de réceptacle ! Tu ne feras rien de bon avec ce pouvoir, tu n'arrives même pas à t'en servir correctement ! C'est une blague !
Blaize voulut l'attaquer, mais toutes ses étincelles s'éteignaient aussitôt créés. La prophétesse pouvait prédire ses mouvements et à les contrer. Blaize ne pouvait rien faire...
- Les amis, ce serait le moment idéal d'intervenir là... commença-t-elle, mais Hermionie l'interrompit avec un rire.
- Ils ne peuvent rien faire non plus, ils sont dans le même cas que toi.
Elle jeta un œil à ses coéquipiers. Ils étaient figés, crispés. La félinienne supplia Orphélia du regard, mais cette dernière ne bougeait pas. Les animaux s'approchaient, seraient là bientôt, mais le regard meurtrier d'Hermionie lui signalait qu'elle ne survivrait peut-être pas jusque-là.
- Tu sais quoi ? demanda-t-elle le ton haineux en s'approchant. Je vais prendre un très, très grand plaisir à te tuer, et ils vont tous regarder le spectacle. Tu vois là-bas ? Le corps du vieux ? Je l'ai tué parce que je croyais qu'il protégeait une personne importante, et non, c'était juste toi. Il croyait que grâce à son sacrifice tu pourrais survivre, c'est faux, ta fin arrive. Il est mort à cause de toi.
La prophétesse s'empara de la dague de Nagari, toujours couvert du sang de l'Oracle, et la leva loin au dessus de sa tête.
- Et à cause de toi ça n'aura servi à rien !
Blaize ferma les yeux, attendant l'impact.
Soudain, il y eut un éclat de lumière et Hermionie hurla de douleur. Blaize rouvrit les yeux : Haru avait lancé un éclair directement au visage de la nymphe. Tout le côté gauche de sa tête n'était plus qu'une masse rouge et noire. De nouveau libres, les aventuriers passèrent à l'attaque : Imiris fut la première à la ruer de coups, créant une armée d'oiseaux de glace qui transpercèrent la peau de leur ennemie à coups de becs acérés. Des serres et des plumes transparentes s'abattaient encore et encore sur leur proie en une furie effrayante. Protégeant son visage calciné de ses bras, elle ne vit pas arriver la chaîne rocheuse de Samuel qui l'entoura comme un serpent et l'attacha. Blaize concentra toute sa rage en une immense boule de feu et l'incendia. Ses cris perçants passaient à travers les rugissements des flammes. Elle faiblissait. Enfin, les bêtes jaillirent furieusement des fourrés en un chaos de pattes, d'ailes et de crocs. Ils se jetèrent sur la nymphe tous crocs dehors avec une cacophonie d'hurlements.
D'un coup tout disparut : Hermionie, les oiseaux, les cris, le feu... Seuls les animaux retardataires et Hikagué qui était sur le point de la lacérer demeuraient.
- Où est-ce que... ? chuchota Blaize, perdue.
- Un cristal de téléportation... reconnut Haru. Elle a fui. Elle sera probablement sur le bateau de la Kuroi Namida à l'heure qu'il est, loin d'ici...
- Merde ! jura Imiris, frustrée.
À bout de souffle à cause de la fatigue et des restes d'adrénaline, Haru entoura la félinienne de ses bras et la serra contre lui.
- Je croyais que tu allais mourir... lui confia-t-il en retenant des larmes soulagés.
- Je croyais aussi, avoua-t-elle. Comment est-ce que tu as réussi à t'échapper de sa magie ?
- C'est grâce à moi, intervint Orphélia qui entourait l'Oracle de ses pattes. Parmi vous tous, c'est lui qui croit le plus en moi, j'ai pu le libérer et il a fait le reste. Pendant que j'étais en prison, je n'ai pas pu aider mon monde ni guider mes enfants, mes dévoués ont perdu la foi. Je ne vis aujourd'hui que grâce à la foi de mes enfants. C'est ainsi qu'Ungura souhaitait me tuer, en m'ôtant mon énergie peu à peu. C'est pour cela que je n'ai pas pu intervenir plus directement, mon Oracle est mort, plus personne ne croit en moi, pas vraiment. Ce jeune homme s'en rapproche seulement.
- Je vous ai sous les yeux, c'est difficile de douter... répondit le lumien. Je suis désolé pour votre Oracle... Il était un homme... particulier, pour dire le moins...
- S'il vous plaît ?! cria Hikagué depuis le chevet d'Omen. J'ai besoin d'aide, elle ne répond plus !
Haru se précipita auprès d'elle et commença à l'inspecter tandis que Blaize rejoignit Imiris qui pansait frénétiquement les blessures de son frère.
- Théophile ? Théophile réveille-toi ! l'appela sa sœur, de nouveau prise d'inquiétude.
- Prends ça, bande sa plaie et maintiens la pression dessus, ordonna Imiris. Il perd trop de sang.
Elle avait déjà arraché un morceau de sa tenue pour refermer une profonde blessure à la cuisse, et tendait un autre bout à la félinienne en indiquant la large ouverture sur son côté. Blaize se figea : Omen était inconsciente, ils ne pouvaient pas compter sur elle pour le soigner... Il ne respirait déjà plus... Il ne pouvait pas mourir ! Pas maintenant qu'elle avait enfin réussi à l'égaler ! Elle s'empressa de faire le bandage, mais des larmes perlaient dans ses yeux. Il n'avait pas le droit ! Elle ne le permettait pas ! Orphélia s'approcha.
- Laissez-le.
- Quoi ? s'indigna Imiris. Mais il va mourir si on ne... Mais dégage !
Elle repoussa une bête poilue qui passait trop près d'elle, mais l'animal insista. Bientôt, des dizaines de créatures entouraient non seulement Théophile, mais aussi Omen et Nagari.
- Ce sont les amis de l'Âme Écarlate, ils l'aideront dans le futur, alors il est de la moindre des choses de les aider à notre tour, déclara Orphélia solennellement.
Aussitôt, un groupe de jajavas des neiges, des bestioles félins à la fourrure mauve, se mirent à chanter un air doux qui calma les nerfs. Leur mélodie était connue pour avoir des effets soporifiques et calmants, mais jamais Blaize ne se serait imaginée que c'était si efficace. De leur côté, des abeilles géantes recollèrent les plaies avec une sécrétion gluante qui ressemblait un peu à du miel, et des louvix apportèrent des plantes médicinales pour chasser les infections. Nagari commençait déjà à se réveiller, et Omen aussi murmurait des choses incompréhensibles. Enfin, une louvix alpha apporta une feuille étrange et le posa sous le nez de Théophile. D'un coup il se mit à tousser violemment. Il était réveillé !
Avant qu'il n'eut le temps de comprendre ce qui se passait, Blaize et Imiris le serrèrent près d'elles avec des sanglots rassurés. Il avait affreusement mal, il fallait qu'il voie le docteur, mais il était vivant.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? souffla-t-il.
- On a gagné ! lui sourit sa sœur. On a gagné ! Yurao est parti en courant, Hermionie est en mauvais état, le pouvoir d'Orphélia est à nous, et personne n'est mort. On a réussi !
- Personne ? répéta une voix familière. C'est qui lui alors ?
Nagari était consciente, mais ne semblait pas agressive, le chant des jajavas des neiges avaient calmé toute colère. Elle pointait le corps encore sans vie de l'Oracle.
- Il a déjà été ressuscité une fois par le passé, il ne peut plus revenir à présent. Son heure de repos est arrivé, répondit tristement Orphélia qui le berçait encore.
- Qu'allez-vous faire maintenant ? demanda Blaize, inquiète. Il faut l'enterrer.
- Je vais veiller mes chers larmes, il m'a été fidèle toute sa vie, ce serait un déshonneur si je ne lui accordais pas au moins des remerciements. Ensuite, je parcourrai mon monde afin de rétablir la croyance et rectifier les fautes qu'a faites Ungura. Il me le faut de la puissance avant de l'affronter de nouveau. De votre côté, reposez-vous, à l'aube je vous porterai jusqu'à Félinia, vous avez une longue route qui vous attend. Vos ennemis n'abandonneront pas, même si vous les avez mis hors d'état de nuire quelque temps.
Blaize acquiesça. Yurao était toujours au Conseil, et la Kuroi Namida existait toujours, mais ils avaient maintenant de quoi les combattre sans avoir recours à la violence.
- Ne vous en faites pas, le Palais de Justice de Félinia entendra parler de nous, affirma-t-elle. La prison est bien ce qu'ils méritent.
Satisfaite, Orphélia laissa les aventuriers se relever et se diriger lentement vers leur campement, rassurés de voir le pire derrière eux. Elle s'approcha de Nagari, laissée seule au milieu du champ de bataille.
- Vous, vous ne croyiez pas en moi, lui dit-elle calmement.
- Je ne crois toujours pas en vous, répliqua la commandante, défiante.
- Au contraire, sourit la déesse. Je pense que vous avez plus de foi que vous ne le pensez. Mes larmes étaient pareils au début, niaient mon existence avec la parole mais cherchaient leur voie désespérément du cœur. Mon Oracle est mort, Nagari, j'ai besoin d'un nouvel Orphélan, mon messager qui serait l'égal des Grâces. Je veux que vous soyez mon prophète.
- Un prophète qui ne croit pas à ce qu'il prêche ? Pourquoi pas avoir pris l'autre type, celui qui "croyait en vous" ? Pourquoi moi ?
- Haru Chroman ne cherche pas sa voie, il l'a trouvée. Vous êtes perdus, et vous avez un rôle à jouer. C'est à moi de vous apprendre ce rôle. N'est-ce pas ce que vous voulez, au fond de vous, une place dans le monde ?
Nagari hésita. Ce dragon savait bien trop d'elle... Cependant, l'idée d'être comme une Grâce était plus qu'alléchant.
- Laissez-moi y réfléchir, décida-t-elle enfin.
- Vous avez jusqu'à l'aube, fit la dragonne, puis elle décolla en une bourrasque de vent.
Nagari, de nouveau seule, se tourna vers l'ouest : le soleil se couchait. La silhouette d'un voilier au loin se découpait tout juste à l'horizon ; sa "famille" était partie sans elle. Était-ce vraiment une grande perte ? Ils ne pouvaient plus prétendre être les véritables serviteurs d'Orphélia maintenant qu'elle s'était opposée à eux. Elle s'assit par terre, ses blessures toujours douloureuses lui confirmaient qu'elle ne venait pas de tout rêver. Elle soupira : devenir la nouvelle Oracle d'Orphélia ? C'était une proposition qui n'arrivait pas tous les jours, certainement pas quelque chose qu'elle allait prendre à la légère. C'était une offre intéressante, surtout que connaissant Hermionie, elle chercherait sa vengeance à coup sûr.
Quoi qu'il en était, le monde d'Orphélia entrait dans une nouvelle ère, l'ère de l'Âme Écarlate.
---- Fin du tome 1 ----
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