3) Le Désert Humain
À force de chemin, le groupe commençait à s'entendre -tous sauf Imiris, qui se tenait à l'écart. Elle se contentait d'adresser deux ou trois mots à Haru lorsque c'était nécessaire. Cinq jours après le départ, ils arrivèrent au désert du Sud, qui représentait l'étape la plus longue et la plus ardue du voyage jusqu'au Port Morphée. En voyant le sable s'étendre à l'infini devant elle, Blaize poussa un soupir résigné.
- T'as pas à te plaindre, boule de poils, t'avais qu'à ne pas venir avec nous, lui signala la fée avec dédain.
- Imiris, essaye d'être agréable ! Je ne supporterai pas tes sarcasmes pendant toute la traversée... Ça va sans dire que je vais craquer si tu continues à te moquer des autres pendant toute la durée de la mission ! Tu ne voudrais tout de même pas qu'on pense que tu es comme ça tout le temps ; il y a des vérités qu'il vaut mieux de cacher, railla Haru en vérifiant le contenu de sa bouteille d'eau.
- Combien de temps on doit encore avancer comme ça ? demanda Théophile, grimaçant.
- T'es déjà fatigué ? s'étonna sa sœur, se balançant de droite à gauche au rythme des pas du syrex.
- Non, c'est plutôt que ces bêtes-là ne sont pas très confortables, se plaignit-il en ajustant sa position sur sa monture. Ça ne vous fait pas mal, vous ?
- Aucunement, répliqua Imiris, malgré le fait qu'elle soit entièrement crispée.
- Il nous reste environ six jours à patauger dans le sable, leur informa Haru en consultant la carte sur laquelle le Directeur avait marqué leur itinéraire. Après on n'aura plus que deux jours dans la jungle si on compte la difficulté du terrain et enfin une journée à traverser les villages voisins...
- Six jours ici... répéta Théophile, désespéré.
- T'es toujours aussi grognon en mission ? se moqua Blaize. Qui aurait cru que derrière cet extérieur calme et composé se trouvait une princesse qui ne supporte pas le sable...
- Et si on galopait un peu, histoire d'en avoir fini avec ce désert plus vite ? proposa la femme blanche, agacée.
- Ça ne marchera pas, on risquerait de se fatiguer et de se perd... commença Haru sur un ton didactique.
- Ha ! Le dernier arrivé est une cocatrix mouillée ! s'exclama Blaize, s'emparant des rênes et lançant sa monture au galop.
- Blaize ! Reviens ici ! Tu vas te perdre ! cria son frère.
- Il ne nous reste plus qu'à la rattraper ! rit le blond, manifestement amusé, s'élança à sa poursuite.
***
- Il fait chaauuud... languit la félinienne.
- C'est toi qui a tenu à faire la course ! la rappela Haru, haletant.
- La prochaine fois on te laissera te dessécher au soleil toute seule, grogna la fée en sueur.
- Imiris, tu ne pourrais pas faire quelque chose contre la chaleur ? l'interrogea le brun toujours en grimaçant.
- Pourquoi je le pourrais ? fit-elle violemment. Juste parce que je suis une fée, tu présumes que je peux y faire quelque chose, au soleil ?
- Tu es une fée de glace qui vient du Tsumétai, le pays de glace, et nous savons que tu as de grands pouvoirs, probablement de glace, c'est pas très farfelu comme impression, ironisa le félinien, visiblement ennuyé par l'attitude de la femme aux cheveux blancs.
- Tss... Raciste ! fit-elle en détournant la tête.
- Imiris, tu as la magie de glace, soupira son coéquipier. Ne nous fais pas un scandale là où il n'y en a pas...
Elle grommela quelque chose de vulgaire, puis se tut. Les aventuriers continuèrent leur chemin dans le désert jusqu'à la nuit. Ils installèrent alors un petit camp autour d'un feu. Dès qu'elle le put, Imiris se retira dans sa tente, laissant Haru, Blaize et Théophile dans un silence un peu tendu.
- Alors... euh... quelle magie maîtrises-tu, Théophile ? demanda Haru, essayant de faire de la conversation sur un ton presque mécanique.
- La magie des plantes de type offensive et de guérison.
- Une magie à la fois offensive et réparatrice ? C'est assez rare ! commenta le blond.
- Ouaip, il peut appeler des grosses racines à piques du sol et elles bougent comme des gros serpents, ou alors sa main brille d'un verdâtre chelou et la pièce sent les fleurs... résuma la félinienne.
- C'est une forme concentrée de l'aromathérapie, pas un truc pour parfumer ta chambre... Il te suffirait d'ouvrir une fenêtre... râla le frère, ennuyé.
- Je t'ai déjà dit que cette fenêtre n'ouvre plus depuis X134... répliqua-t-elle.
Haru masqua un rire en regardant les deux se railler. Blaize fut la première à se rappeler de sa présence :
- Et c'est quoi ta magie, Haru ?
- Je suis un lumien, alors...
- Je croyais que tous les lumiens avaient au moins quarante ans aujourd'hui ? l'interrompit Théophile, surpris.
- Tu m'as perdue, frérot... Il a pas quarante ans là, suffit de le regarder quoi.
- Les lumiens ne sont pas des êtres naturels. Les premiers sont le résultat d'une expérience à Makkura sur le développement du cerveau humain : une cinquantaine de volontaires ont participé à une "augmentation des capacités du cerveau" par des pulsions électriques placées stratégiquement. Comme le cerveau humain n'utilise qu'un pourcentage de ses capacités, les scientifiques s'étaient persuadés qu'il fallait trouver un moyen de se servir de tout son potentiel. Ils avaient construit une machine pour le faire qui a marché plus qu'ils l'espéraient : tous les participants ont obtenu la capacité de contrôler les photons, et la presse les a appelés les lumiens. Ce qu'ils ne savaient pas, c'était que la machine produisait un effet nocif si elle était trop utilisée sur un seul individu, et l'un d'entre eux est devenu fou avant de détruire la machine. Du coup, plus de lumiens. Ça, c'était il y a près de trente ans, expliqua Haru, qui manifestement avait l'habitude de la question.
- D'accord... Alors t'as vraiment quarante ans ?
- Non ! s'exclama l'intéressé, un peu vexé, Je n'ai pas l'air aussi vieux, quand même !
- J'ai pas dit que tu les faisais, se rattrapa la félinienne avec un sourire gêné.
- Je suis le premier enfant de deux lumiens, donc le premier lumien naturel à la connaissance des médias. En même temps, sur quarante-neuf individus, il y en a peut-être un autre qui arrivera, on ne sait jamais. Mais bon, je doute qu'il y ait une troisième génération.
- Et donc tu peux contrôler les photons ?
- Exactement ! Je peux les concentrer en un point -ce qui crée de l'énergie- et cette énergie peut être projetée sous forme de rayons, comme explosions spontanées, ou juste comme boule lumineuse si j'arrive à maintenir une concentration stable.
- Waaaah ! Des explosions ! s'émerveilla Blaize en y pensant.
- Ne sois pas si gamine... s'exaspéra Théophile qui jusque-là se taisait pour écouter les explications d'Haru.
- Et toi, Blaize ? Haru changea rapidement de sujet afin d'éviter une nouvelle dispute qu'il sentait plus sérieuse que la première.
- Bah ! fit-elle, tournant son regard vers le feu, J'ai pas de magie, on vous l'a dit ! J'ai juste de quoi me défendre en cas de besoin.
Elle tapota le fourreau de son katana. Une grande bourrasque froide manqua d'éteindre les flammes et projeta du sable comme des balles de fusil. Haru leur proposa d'aller dormir ; il se chargerait de surveiller le camp. Blaize était sur le point d'entrer dans sa tente quand elle se rappela de la réaction du lumien lorsque le Directeur leur avait parlé de leur coéquipière sur l'île :
- Dis Haru, tu la connais, cette Omen ?
- Oui, nous étions voisins de palier à Makkura. Je l'ai aidée avec le déménagement. Le monde est petit, non ? se réjouit-il. Manifestement, il s'agissait de bons souvenirs.
- Elle est vraiment aussi forte qu'on le dit ? J'ai lu qu'elle était responsable de la décimation d'un groupe terroriste... Dead Angel, celui qui menaçait le Conseil il y a quelques années... C'est vrai ?
- Je ne sais pas, je ne l'ai jamais vue utiliser la totalité de sa puissance, et je crois que ceux qui l'ont vu ne sont plus là pour en parler, somma-t-il simplement. Tout ce que je peux te dire, c'est qu'il faut s'éloigner quand elle s'énerve, c'est une terreur.
- Mais l'article disait qu'elle a envoyé plus de 400 hommes dans le coma... Ils ont exagéré, hein ? demanda-t-elle, puis voyant qu'Haru faisait "non" de la tête, murmura : mais qu'est-ce que je fous avec les surdoués, moi ? Et elle partit se réfugier sur son matelas gonflable.
***
Silence. Silence de mort. Tapie dans le feuillage, la chasseuse retenait sa respiration. Ce soir, c'était son tour d'être la proie. Une grande bête noire reniflait autour de sa cachette : elle serait bientôt débusquée si ce larbin poilu se rapprochait encore. Voilà sept ans que cet homme la traquait avec ses animaux... Voilà sept ans qu'il l'ennuyait !
Le familier était à quelques mètres, la tueuse entendait les pas de l'homme au loin, et bientôt, elle put distinguer sa silhouette noire. Et si cette fois elle le confrontait une fois pour toutes ? Seuls dans cette jungle, ce serait un duel d'égal à égal. Elle avait toutes ses chances. La bête poilue grogna. Elle l'avait repérée.
D'un bond, elle rejoignit l'arbre le plus proche, le monstre sur ses talons, l'homme non loin derrière. Il hurlait des instructions à son familier. Pourchassée, ses ongles crissant sur l'écorce durcie, elle escalada l'arbre agilement. Son cœur battait fort, pas de peur, mais d'excitation : elle savait que ce chien de Baskerville n'était pas autorisé à la tuer même s'il l'attrapait.
En rejoignant la cime, elle inspira, jugea la distance et sauta dans le vide. Les quelques secondes en chute libre lui parurent des minutes. Elle lâcha même un rire amusé, ses cheveux fouettant furieusement l'air. D'un coup elle tendit les bras, et s'empara de la branche d'un arbre adjacent, et commença son élégant spectacle de gymnastique. Virevoltant entre les feuilles telle une trapéziste d'exception, elle sema ses chasseurs de nouveau. Après quelque temps, assurée qu'ils ne la retrouveraient pas, elle grimpa en haut d'un large baobab, et, avec une force invisible, créa dans le bois un trou semblable à un large terrier d'écureuil puis s'y glissa, fatiguée, pour s'y endormir paisiblement.
---- Fin du Chapitre 3 ----
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