25) Premier pas vers le Paradis

- Blaize ! cria Haru après elle.

- Haru ! Tu ne peux pas la poursuivre ! On a besoin de toi ici ! l'arrêta Hikagué, esquivant de peu l'offensive de Nagari. Il continua, faisant référence à leurs amis qui s'éloignaient lentement, emportés dans leur affrontement endiablé : Va aider les autres !

Le lumien acquiesça et courut les rejoindre, laissant Omen, Hikagué et Samuel se battre contre Hermionie et Nagari. Tandis que la première restait en retrait, presque immobile sans sembler participer au combat, la deuxième s'activait au corps-à-corps, munie de ses éventails à plumes qui dissimulaient des lames acérées. Omen travaillait d'arrache-pied pour protéger Samuel des coups de la commandante, de temps en temps elle arrivait à toucher son armure de sa main gauche, laissant des traces de doigts en rouille. Hikagué sortit un couteau pour se défendre, mais fut soudain soulevé par une force invisible.

- Hikagué ! s'exclama Omen, effrayée, puis se retourna pour s'adresser à Hermionie : Repose-le ! Repose-le tout de suite !

- Qu'est-ce qui se passe ? paniqua l'exorciste, agitant les bras pour essayer de se libérer de l'emprise transparente.

- Que c'est drôle, de les voir se débattre contre l'inévitable ! rit la voix mielleuse d'Hermionie qui maintenait une pose de danseuse, le regard concentré sur Hikagué.

- Lâche-le ! s'énerva Samuel.

Soudain, son mentor le poussa sur le côté, il tomba au sol. Des millisecondes plus tard, Nagari heurta la terre avec une force effrayante exactement où le jeune garçon se tenait quelques instants plus tôt.

- Ne te déconcentre pas ! ordonna Omen.

Elle se retourna pour tenter de rejoindre Hermionie et libérer Hikagué de son emprise. Nagari la bloqua et en un éclair de métal lui lacéra le bras avec ses éventails. La peau blanche se tacha de rouge tandis la commandante jubilait.

- Tu n'es pas aussi forte qu'on le prétend ! se moqua-t-elle. C'est donc ça, une chevalière d'Or ? Un peu de rouille et un corps d'enfant ? Je vais me faire un plaisir de te découper en rondelles !

Omen ne répliqua pas, mais tenta de nouveau une offensive contre la prophétesse grise. Quelque chose n'allait pas chez Omen, Samuel le savait. Elle était bien plus puissante d'habitude, plus assurée, plus futée... Pourtant elle semblait frustrée, elle se retenait. Pourquoi ? D'un coup, le pouvoir mystérieux d'Hermionie intervint de nouveau : Omen fut soulevée elle aussi. Nagari sauta sur l'occasion pour rayer ses bras de plaies et ses vêtements de déchirures. L'apprenti ne put rien faire ; il ne comprenait pas d'où venait le pouvoir de ses ennemis. Nagari continua de blesser Omen et Hikagué, leur sang coulait le long de leurs bras, mains, doigts, puis gouttèrent sur les cheveux de Samuel.

- Non... pleurnicha-t-il, les yeux portés vers le ciel.

- Samuel, fuis ! cria Omen.

- Non...

- Samuel, c'est un ordre ! réitéra-t-elle durement.

- Non ! désobéit Samuel.

Il se releva d'un coup, et courut vers la prophétesse. Elle sourit, et l'apprenti fut soulevé pitoyablement de la même façon que ses coéquipiers. Omen était presque en pleurs.

- T'as bien vu que ça ne marche pas comme ça ! Qu'est-ce qui t'a pris ?!

- Ça !

Samuel ouvrit la main, et dévoila une pierre. Nagari vit ce qu'il tenait et éclata de rire.

- Un caillou ? Sérieusement ? Ce pauvre petit est trop naïf pour le champ de bataille !

- Au contraire, il est très doué pour son âge ! répliqua Omen, soudain confiante, elle se tourna vers son élève : Je n'attends que toi.

Aussitôt, la pierre trembla et prit vie. Soudain des chaînes en roc en surgirent et fouettèrent les adversaires. Prises au dépourvu, Nagari esquiva avec difficulté le granit vivant, Hermionie se défendit avec ses champs de forces, cassant des maillons des liens plus fins. Cependant, diviser sa magie ainsi faiblit les liens qui retenaient les prisonniers flottants, si bien qu'ils chutèrent jusqu'au sol.

Tout arriva d'un coup : le corps d'Omen fit comme marche arrière, brillante d'une aura blanche immaculée, ses blessures se refermèrent presque instantanément. Le sang d'Hikagué qui lui avait coulé le long du bras activa la rune près de son poignet, et un portail noir s'ouvrit dans le sol. La géante bête canidé, Noctis, en jaillit avec un rugissement féroce. Ses deux queues fouettèrent l'air furieusement; elle était prête au combat. 

Elle se jeta sur Nagari tandis que celle-ci repoussait encore les attaques de pierre. La commandante donna un coup d'arme dans le jarret du monstre, mais elle passa à travers sans sembler gêner l'animal. Noctis la mordit, brisant son armure, avant de retourner en position défensive, ses crocs teintés de rouge. 

Une fois écartée, à l'étonnement de l'assemblée, la blessée sourit : son bras découvert, écarlate, était couvert de tatouages semblables à celle d'Hikagué.

- Grave erreur, déclara-t-elle, rictus déformant son visage.

 Des portails immenses trouèrent la terre et des mugissements infernaux firent vibrer l'air. La petite sorcière, se relevant, trembla en reconnaissant les hurlements des enfers. C'étaient les mêmes que les bêtes qui avaient détruit son campement et qui avaient massacré ses précédents coéquipiers. Nagari était l'auteure de ce soir de malheur ! Cette fois, Omen fut catégorique :

- Samuel, cours !

***

- C'était quoi ça ? s'inquiéta Blaize, regardant par dessus son épaule en entendant les cris de géhenne.

- Continuez chaton rouge ! Vos amis auront besoin de ce qu'il y a dans la grotte ! l'encouragea l'Oracle sur son dos. Avançez ! Nous y sommes presque !

- Si vous le dites... hésita-t-elle.

- Petit poneeeey... Petit poneeeey... chantonna-t-il pour toute réponse.

"J'espère que je ne suis pas en train de suivre les conseils d'un fou..." pensa la félinienne.

- Je ne suis pas fou ! hurla le vieillard dans les oreilles sensibles de la lionne, qui manqua de tomber de surprise.

- Moins fort ! S'il y a des pions de la Kuroi Namida dans le coin, je suis morte avec toi sur le dos ! le tut-elle.

Elle reprit son chemin rapidement, longeant toujours la paroi du Mont Élémentaria. Les voix de la bataille s'éloignaient encore. Soudain, l'Oracle lui tira sur la queue de cheval, provoquant un miaulement irrité.

- C'était quoi ça ? protesta-t-elle.

- C'est ici ! se justifia le vieil homme.

- Où ça ? demanda Blaize, qui ne voyait rien.

- Là, répéta-t-il en pointant la falaise du doigt.

Blaize s'approcha du détail qu'il désignait, mais ne voyait toujours rien. Le vieux chantonnait un nouvel air qu'elle n'avait pas entendu. Elle se pencha si bien que le bras disproportionnellement long de l'Oracle lui permit de toucher le calcaire en même temps que la dernière note mourait dans l'air. Soudain, une brèche s'ouvrit. Blaize prit peur et recula. L'Oracle reprit joyeusement une autre chanson tandis que la fissure se transformait en caverne grand ouverte.

- Bah, qu'attendez-vous, chaton rouge ? Entrez, entrez ! pria-t-il en lui tapotant les côtes des talons comme s'il montait à poney.

Elle passa le seuil, et aussitôt la caverne se referma derrière elle. Devant le duo se trouvait un large canyon profond avec de l'autre côté une majestueuse porte dorée. Entre les deux rives, il y avait un unique pont rocheux avec à peine la largeur pour passer en file indienne. Le vieil homme descendit du dos de la félinienne et la poussa frêlement à faire la traversée.

- Allez-y, chaton rouge, vous êtes attendus.

- Tu ne viens pas avec moi ? s'étonna-t-elle, lui résistant facilement.

- J'ai déjà vu ce qui s'y trouve, affirma-t-il. Je m'y ennuierais si j'y étais dès le début. Vous avez les écailles, c'est tout ce qu'il vous faut. Allez-y, dépêchez-vous. Ne soyez pas en retard.

Elle hésita encore, mais l'Oracle lui adressait un sourire plutôt rassurant. Il baissa la tête et l'espace d'un instant elle vit ses yeux derrière ses lunettes rondes : bleu électrique, vivaces, intelligents et... jeunes ? Très jeunes... Comme s'il avait conservé l'innocence d'un enfant. Blaize hocha la tête, puis s'engagea sur le pont. La pierre crissait et craquelait, elle posa délicatement ses pieds. À pas de velours, elle atteignit l'autre côté. Elle se retourna pour saluer une dernière fois le vieillard, mais il avait disparu.

- Bon... soupira-t-elle, tentant d'évacuer son angoisse. On va y aller toute seule comme une grande... La puissance d'une déesse, voyons voir ce que ça a à m'offrir.

Elle sortit les écailles de sa poche, et contempla les quatre enfoncements dans la porte dorée. C'était le moment. Elle les approcha des serrures, et comme magnétisés, elles s'insérèrent à leur place désignée. Un grand claquement annonça que la porte était déverrouillée. La félinienne prit une grande inspiration, et s'appuya sur la lourde barrière métallique de tout son poids.

***

- Mais c'est qu'elle a de l'esprit, cette petite fée... 

Iragan se moqua joyeusement d'Imiris, qu'il tenait entre les bras. Elle se débattait furieusement, mais elle ne put se dégager de l'emprise dégoûtante de l'ennemi. Sa lance plaquée contre son côté, elle tenta de balayer les jambes du nécromancien, sans succès. Il se tenait derrière elle, entourant fermement sa taille d'un bras, s'emparant de son visage de sa main libre, il la força à se contorsionner pour le regarder. Ses yeux fluorescents brûlaient d'excitation. Il lui souffla à l'oreille d'une voix qui la fit frissonner :

- Vous vous débattez maintenant, mais bientôt vous serez mienne. Vous ferez partie de ma collection, voyez-vous ? Tellement belle, tellement belle... Comme toutes les autres. C'est dommage que vous vous mettez à décomposer après quelques mois si je ne prends pas soin de vous... Des fois j'oublie, et puis c'est trop tard...

Il la tourna pour qu'elle observe les espèces de marionnettes demi-poupée, demi-chair qui avaient réussi à maîtriser Imiris par la force. C'était donc cela, le harem d'Iragan. C'était le groupe qu'il voulait qu'elle rejoigne. Ces femmes, dont la peau était grisâtre, les yeux, s'ils n'avaient pas été remplacés par des yeux en verre, étaient laiteux, fixés dans le vide. Leurs bouches béantes maquillées de rouge à lèvres noir ou pourpre semblaient crier de peur, mais aucun son n'en sortit. Il ne les autorisait pas à protester. L'une d'entre elles avait l'air d'être la victime la plus récente : elle avait encore tous ses membres, et seulement un œil était celui d'une poupée. Habillée d'une petite robe de nuit, elle semblait se battre intérieurement entre avancer avec les autres et rester où elle était.

- Vous voyez, chère fée, que quand je vous ravive, vous ne tenez pas forcément à me remercier assez pour la vie que je vous redonne, et parfois avec les jeunes filles comme vous, passionnées et enflammées, il faut que je vous apprenne un peu d'obéissance. Vous pleurez trop fort encore, quand vous êtes jeunes dans la mort, radota Iragan, comme s'il lisait dans les pensées d'Imiris.

Il lui tourna le visage pour la forcer à dévisager la jeune morte. Elle regardait Imiris avec une sorte de pitié, la même pitié qu'une personne aurait pour un agneau devant un abattoir : la souffrance n'était pas encore là, mais elle allait arriver. Encore consciente, mais contrôlée par un autre, et elle sentait son corps tomber en lambeaux... La fée ne pouvait pas s'imaginer la torture qu'elle vivait.

- Je ne deviendrai jamais une de tes marionnettes ! rétorqua-t-elle, enragée, se débattant de plus belle.

- Hoho, et pourquoi je devrais vous croire plus que cette chère Arabella lorsqu'elle m'a dit la même chose ? demanda-t-il en désignant l'une des femmes-marionnettes. Ou qu'Ylinji là-bas ? Ou que Sinna à votre gauche ? Si vous comptez sur votre coéquipier, je crains qu'il ne soit trop occupé avec des problèmes de famille. Pourquoi ne pas vous laisser aller et venir jouer avec moi ? Vous vous sentiriez libérée de toute inquiétude.

Désespérée, Imiris jeta un œil sur Théophile ; il se faisait attaquer de tous parts par l'air même qu'il respirait. Yurao était impitoyable, il utilisait la pluie à son avantage : il accélérait les gouttes avec le vent si bien qu'elles eurent l'effet de balles. Heureusement pour Théophile, cette méthode ne permettait pas une grande précision, et la moitié des gouttes servirent à trouer sa cape plutôt que sa peau. Il tenta plusieurs fois de se rapprocher d'Imiris, mais son frère menait le combat : il le coinça contre la montagne et l'y maintient.

Iragan caressa les cheveux mouillés de la fée.

- Vous voyez bien, rien ne sert de partir, vous serez tellement mieux avec moi, dans mes bras. Vous n'avez pas besoin de lui. Je vous aime, sincèrement, ne vous en plaignez pas...

Soudain, une explosion de lumière le fit sursauter, et força Imiris à plisser les yeux. C'était sa chance ! Elle se retourna et plaça un coup de pied en plein dans le ventre de son agresseur et fuit. Libérée de l'emprise du nécromancien, sa lance pouvait de nouveau lui servir. Elle slaloma entre les pantins, en décapita quelques uns qui entravaient son chemin sans la moindre hésitation ; la mort leur avait donné des os fragiles. Ce pervers allait crever gelé dans un bloc de glace !

Déjà, ses mains s'entourèrent d'une aura bleutée. La pluie autour d'elle se transforma en grêle. Elle se concentra, deux mains autour de sa lance qu'elle planta d'un coup dans le sol boueux. Sa vue récupérait encore de l'éclat lumineux, mais elle apercevait très bien la silhouette de son capteur. Un chemin de glace se traça de la pointe de son arme à Iragan, puis forma le périmètre d'un carré autour de lui. Des barreaux s'élevèrent aux coins, puis se joignirent entre-elles pour former des murs. Cependant, une prison n'était pas suffisante, il n'y aurait pas de deuxième cas comme Akuma. Imiris puisa dans sa magie et remplit peu à peu la cage d'eau solide. Après quelques minutes, Iragan était complètement entouré, immobilisé à jamais, ou du moins jusqu'à ce qu'elle se décidasse de le libérer. Un jour, peut-être lui laisserait-elle la place pour tourner sur lui-même. Les poupées s'effondrèrent en un tas de chair et de plastique.

Rassurée, la fée laissa le temps à son cœur de ralentir, ou du moins, c'était ce qu'elle voulut faire. Le combat du côté de Théophile faisait encore rage, et même si Haru avait apparement rejoint la bataille avec sa bombe lumineuse, les explosions et grondements qui provenaient de derrière les arbres prouvaient qu'ils n'en avaient pas encore fini avec Yurao. Imiris reprit son souffle et sa lance et courut leur porter secours.

---- Fin du chapitre 25 ----

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