2) Les mercenaires
Derrière la porte se trouvait une grande pièce luxueuse aux murs rouges à motifs élégants. En son centre trônait un large bureau en acajou poli, et, assis derrière, le Directeur les observait, la tête reposée sur ses mains. Debout, derrière lui se tenaient deux personnes : les mercenaires.
Le premier était très grand — il dépassait Théophile d'une tête — ; il avait des cheveux blonds soyeux attachés lâchement qui frôlaient le bas de son dos. Son long manteau blanc à col bleu cachait en grande partie une chemise verte et des jeans azur. Son visage était calme, ses yeux lilas légèrement bridés posaient sur les féliniens un regard accueillant, contrairement à sa compagne qui leur tournait presque le dos.
Elle était plutôt petite de stature par rapport au géant à côté d'elle, et dans cette pièce aux murs chaleureux, sa peau paraissait plus blanche que le linge. Ses cheveux neige chatouillaient ses épaules et une longue mèche bleue masquait en partie sa joue gauche où se trouvait une petite cicatrice. Des longues oreilles pointues trahissaient sa nature : c'était une fée, sans doute une fée de glace originaire du Tsumétai, le pays le plus nordique d'Orphélia. Elle portait une robe bleue assez semblable à un kimono, des chaussettes à hauteur mi-cuisse sous des sandales longues en tissu. Une belle manche soyeuse couleur ciel brodée de flocons d'argent couvrait son bras gauche. Une lance sophistiquée était appuyé contre un fauteuil près d'elle ; la lame luisante était ornée de deux joyaux de la couleur du firmament nocturne.
En dehors de leurs expressions respectivement trop détendue et trop désagréable, ils avaient l'air de prince et princesse d'une terre lointaine ; Blaize demeurait admirative de ces deux experts. Elle n'avait pas besoin de pouvoirs pour sentir que, malgré leurs âges peu éloignés du sien, ils étaient des maîtres magiciens. L'air vibrait lorsqu'il passait près d'eux de la même façon qu'il le faisait avec le Directeur, qui était le Chevalier Paladin avant de prendre sa "retraite" et s'établir comme chef de son ancien établissement.
- Bonsoir mes amis, les accueillit le vieil homme, se levant de sa chaise. Je vous présente Haru Chroman, ressortissant de l'Université de Makkura à Asalas, et Imiris Blanchefleur, sortie majeure de promotion au Tsumétai. J'espère que vous saurez collaborer pour mener la mission à bien.
La félinienne adressa un grand sourire à ses nouveaux coéquipiers. Haru le lui rendit, Imiris le rejeta sans pitié avec un regard désapprobateur. Théophile se vit recevoir le même accueil. Ce n'était pas bien parti pour de la coopération sans problèmes. Sentant que sa coéquipière était sur le point de faire une remarque désagréable, Haru intervint :
- Pourrions-nous en savoir plus sur la tâche ? Il s'agit d'une mission d'État, je me trompe ?
- Oui, en effet, acquiesça le chef qui prenait un air plus professionnel que lors de sa conversation holocom avec les féliniens. Ce travail est un peu particulier : ils demandent une escouade de sauvetage sur une île non-loin de la côte Ouest de Félinia.
- En quoi c'est particulier ? demanda Imiris, son ton froid donnait l'impression qu'elle n'était d'accord avec rien de ce qui avait été dit jusque-là.
- Cette île récemment découverte est suspectée d'abriter le repos éternel d'Orphélia.
- Quoi ?! s'exclama le félinien ahuri. Vous voulez dire que ce n'était pas un mythe ?
- Je croyais que les déesses ne pouvaient pas mourir... murmura Blaize, personne n'y prit attention. Surtout pas une qui a le pouvoir de créer une planète...
- Si c'est une île qu'on vient de découvrir, pourquoi le gouvernement nous envoie en mission de sauvetage ? s'enquit la fée irritée par les paroles qu'elle jugeait inutiles. Pourquoi ne pas nous envoyer en mission d'exploration, ou déployer leurs armées plutôt ? Ça leur changerait de vraiment faire leur boulot au lieu de nous refiler tout ce qui ne leur donne pas le beau rôle.
- Vous êtes engagés pour sauver l'équipe qui a découvert l'île, Mademoiselle Blanchefleur. Ils ont rencontré quelques difficultés, l'informa le Directeur, la mine grave.
- Quel genre de difficultés ? Et puis, pourquoi la trouvaille de la tombe d'Orphélia n'est pas passée aux infos ? C'est important quand même... Ou alors c'est moi qui n'ai pas suivi l'actualité ? l'interrogea la félinienne.
Imiris lâcha un soupir hautain. Blaize lui rendit une grimace.
- L'équipe d'origine n'a pas eu le temps de diffuser l'information. Ils étaient vingt, dix archéologues, cinq marins, une escorte de quatre Chevaliers et un apprenti. Ils étaient menés par Omen Ryuu, vous en avez entendu parler, j'imagine ?
Haru frissonna, mais ne dit rien. Blaize intervint :
- L'une des quatre Chevaliers Dorés ? Ils sont pas censés être super forts, ces gens-là ?
- Ouais, c'est sous-entendu par le fait qu'il n'y en ait que quatre dans le monde, boule de poils, répliqua Imiris avec mépris.
Blaize ouvrit la bouche pour lui répondre, clairement énervée par l'attitude de sa nouvelle coéquipière, mais le Directeur la coupa avant qu'elle ne puisse lancer la guerre.
- Nous ne savons pas ce qui leur est arrivé exactement, mais il y a deux jours nous avons reçu le message suivant. Il y avait des trous par endroits, mais nous avons pu assez facilement trouver la signification : "Dix-huit morts, un blessé grave. Survivants : Omen Ryuu, Samuel Oji. Signes de l'objectif sur l'île, mais grand danger. Perte de provisions. Besoin d'aide." Après délibération avec le Conseil, nous avons décidé de vous envoyer sur place avec des soins médicaux et des provisions. Vous rejoindrez Omen et son apprenti, puis vous terminerez ensemble leur travail d'origine, c'est-à-dire trouver le tombeau d'Orphélia.
- "L'objectif" est vraiment précieux pour ces chers politiciens, bien plus que des vies en tout cas, ironisa Imiris. Dix-huit sont morts et ils vont en envoyer encore des dizaines dans la gueule du louvix...
- Vous y irez seuls, la contredit le vieux sage. Comprenez : bien que cela ne me plaise pas, cette mission est dès à présent un secret national. Si le mythe est vrai pour une partie, il est possible que ce soit entièrement vrai. Si la puissance de la légende existe et se trouve bien dans la tombe de la Créatrice, nous ne pouvons pas prendre le risque de diffuser cette information dans le climat actuel. Cela entend de petites équipes de membres dignes de confiance mais au profil bas, pas de transports trop visibles, bateau privé et ainsi de suite... Pour l'instant vous n'êtes que six, mais nous attendons encore la réponse d'un septième membre déjà engagé dans un travail de long terme... Demain vous vous mettrez en route pour le Port Morphée. Je vous ai préparé des montures et des provisions, et une auberge vous garde une chambre pour votre arrivée en ville dans quatorze jours ; il ne vous reste plus qu'à préparer vos valises et prendre une bonne nuit de sommeil. Vous me rejoindrez au grand portail demain matin.
- Oui, Monsieur ! firent Haru et Imiris à l'unisson avec une discipline militaire, puis partirent de la pièce.
- Euh, Monsieur ? appela presque timidement Théophile, Cette mission a déjà fait des morts parmi des Chevaliers confirmés... Vous êtes sûr qu'il est judicieux de proposer ma sœur ? Vous savez bien qu'elle n'a pas de magie.
- J'ai confiance en mon choix, Théophile, et j'aimerais que tu m'accordes le bénéfice du doute... Et puis, si j'annulais maintenant, j'aurais peur de ce qu'elle ferait par rancune ! plaisanta-t-il en décoiffant les cheveux de la sœur qui boudait. Allez, dodo !
***
Une fois de retour dans sa petite chambre d'interne, la félinienne se mit à chercher de quoi faire sa valise le plus discrètement possible pour ne pas s'attirer la colère de la surveillante. Rien n'était rangé dans cette pièce aux murs jaunis où elle passait la plupart de son temps libre. Elle maudit intérieurement les trois mètres carrées d'espace vital qu'il lui restait et qui rétrécissait au fur et à mesure qu'elle délogeait des affaires.
Soudain, un vieux carton lui tomba sur la tête et un vieux fourreau de katana en cuir terni atterrit sur ses genoux : que de souvenirs en un seul objet ! Elle frotta la bosse endolorie que la boîte avait frappé, mais on esprit se perdait dans le temps où elle chérissait ce fourreau, où elle s'entraînait à manier l'épée sans relâche, tous les jours, sous le tutorat attentionné d'Orihime, une maîtresse du maniement de l'arme. Un temps où elle voulait ressembler à son frère, le rendre fier d'elle... Mais il ne remarquait jamais ses progrès. Pas étonnant, déjà à l'époque il n'était jamais là.
Elle remit la vieille chose dans sa boîte et prit son katana — l'Akai Kokoro — bien au chaud dans son fourreau neuf de couleur cramoisie et l'accrocha à la ceinture qu'elle allait porter le lendemain. Enfin, tous ces cours, tout cet acharnement allaient servir à quelque chose !
Sa valise n'était pas bien grande, beaucoup de ses possessions étaient des souvenirs d'enfance qu'elle ne mettrait en danger pour rien au monde. Un paquet de vêtements et de quoi les réparer furent jetés méli-mélo dans un sac au pied du lit et ce fut prêt. En se rêvant le lendemain, elle se coucha et plongea rapidement dans un sommeil profond.
***
La nuit était bien avancée dans une petite ville de campagne. La seule lumière visible provenait d'une petite taverne. Un homme en sortit et marcha en vacillant vers une petite ruelle sombre, une bouteille à la main. Il trébucha, puis se rattrapa in extremis contre la pierre froide de la maison. Une élégante silhouette était adossée au mur, une chandelle à trois bougies à la main.
- Hé hé... Ça va, beauté ? railla l'ivrogne avec un rire.
Il affichait un sourire abruti qui se voulait charmant. La femme s'avança lentement vers lui, la faible lueur de la flamme éclairait le masque blanc et rouge qui cachait l'entièreté de son visage. Les yeux de l'homme s'écarquillèrent et son expression de béatitude le fuit : il avait reconnu la chasseuse. Elle pouvait sentir l'odeur de sa peur, voir sa terreur. Son âme frémit de plaisir lorsque ce parfum acre atteignit ses narines, mais cette délicieuse odeur était empoisonnée par l'alcool. Cette ange de la géhenne adorait voir l'expression d'horreur sur le visage de ses victimes, entendre leurs cris de douleur, mais elle savait que dans ce cas précis elle ne pourrait pleinement apprécier le goût : il était beaucoup trop ivre et gras pour cela. Aucune finesse de fumet ne passerait.
Ses cheveux raides, semblables à de longs fins fils d'améthystes se balançaient de droite... à gauche... de droite... à gauche... au rythme de ses pas silencieux. Un bref éclat de lumière pourpre attira le regard de la proie. Il tremblait, mais ses pieds refusaient de décoller des dalles. Soudain, dans un mouvement à la précision mortelle, elle plaqua sa victime contre les briques avec un craquement d'os qui se brise. Une force inconnue transperça le ventre obèse. Le sang jaillit. Il tomba à terre. Calmement, elle posa la chandelle, de la cire goutta au ralenti sur le sol inégal. Les flammes furent soufflés par le vent automnal. Elle s'agenouilla. Dans l'ombre elle retira son masque et des yeux écarlates percèrent l'obscurité tandis qu'elle dégusta le sang de sa proie du bout des lèvres.
***
Le lendemain matin, Blaize était la première levée. Son sac à dos soutenu par son épaule gauche, elle descendit les marches en pierre une à une, le fourreau de son arme tapotait légèrement contre sa jambe à chaque pas. À sa surprise, le Directeur discutait déjà avec Haru devant quatre montures. Ils avaient l'air d'être de vieilles connaissances. La jeune fille les approcha et posa ses affaires à ses pieds.
- Bonjour Blaize ! Ravi de te voir enthousiaste ! la salua le vieux.
- Bonjour Messieurs...
- Blaize, c'est ça ? lui sourit Haru en lui tendant la main, Enchanté ! On n'a pas vraiment pu se parler hier, j'espère que nous allons apprendre à nous connaître lors de cette mission.
- Enchantée, Monsieur Chroman... répondit-elle, en lui serrant la main, Je l'espère également.
- Appelle-moi Haru ! Nous allons travailler ensemble, les questions de rang ne m'intéressent pas, nous sommes égaux en ce qui me concerne.
- Peut-être ne serait-ce pas une très bonne idée pour Blaize, si tu la considères comme ton égal en magie tu risques de lui demander des choses au dessus de ses moyens, lui signala le Directeur.
- Comment ça ?
- Je n'ai pas de magie. Je sais que vous êtes habitués à avoir des coéquipiers puissants. C'est le cas de mon frère, il est très fort, lui, mais moi je... je ne sais pas trop pourquoi je suis là... avoua l'élève, l'air gênée. Pas que je ne sois pas contente d'être là.
À cette nouvelle, Haru prit un air dubitatif et jeta un regard inquiet au sage, qui comprit le sous-entendu et précisa :
- Ce n'est pas pour autant qu'elle est sans défense. J'ai confiance en ses capacités actuelles. Elles lui permettront de vous servir ; je vous demande simplement de la ménager, toi et Mademoiselle Blanchefleur. Je sais qu'elle fera de son mieux pour répondre à vos attentes, elle se surpassera même, c'est ce que je veux. Mais elle ne saura pas s'arrêter, je compte sur vous pour l'aider à apprendre ses limites.
- Je suis là, vous savez, intervint Blaize, encore plus gênée.
- Ouais, on avait vu, boule de poils, t'es pas super discrète... ajouta Imiris en posant son sac à terre près d'une monture. L'orange c'est pas une couleur idéale pour le camouflage.
Imiris et Théophile venaient d'arriver, tous deux arborant des expressions graves. Sans un mot de plus, ils attachèrent leurs sacs à la selle de leurs syrex ; ces animaux quadrupèdes presque infatigables avaient une fourrure formée de minuscules filaments de basalte, et, bien qu'inconfortables, atteignaient des vitesses impressionnants peu importe le terrain. Blaize les avait vus plusieurs fois, puisqu'avec la topographie très variée du continent de Félinia, leurs six pattes puissantes et sûres faisaient d'eux les montures les plus adaptés à l'environnement. De plus, ils étaient la seule créature domestique capable de traverser les déserts du Sud.
La félinienne imita son frère et enfourcha son syrex. Lorsqu'ils furent tous les quatre à cheval, ils saluèrent une dernière fois le Directeur puis se mirent en route.
---- Fin du Chapitre 2 ----
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