18) Silence
- Bzzzt ! Bzzz... zzzz... zzzz ! Chatons ! Bzzzzzzung ! Chatons ! Chaton rouge, chaton blanc, chaton n... zzz !
La chanson joyeuse de l'Oracle se distinguait à peine à travers la mauvaise connexion de l'holocom de Hikagué. Samuel essayait de contacter le groupe depuis deux jours déjà, mais l'antenne qu'il avait montée à l'Est lors de l'installation du premier groupe d'archéologues avait été abîmée au moment de l'attaque sur le campement d'Omen, laissant un service plutôt insuffisant assurée seulement par celle à l'Ouest, la plus éloignée des côtes de Félinia. Sans image et au son médiocre, la voix de l'apprenti parvenait tout juste à leurs oreilles, et peinait à se faire entendre par dessus celle du vieux et Camélia qui lui donnait des conseils.
- Tu ne peux pas... taire... bzzz ! Vieux ? demanda Samuel à l'intention de la dragonne qui riait en fond.
- Tu as fait ami-ami avec une dragonne légendaire à ce que je vois, Samuel, sourit son mentor.
- Il le faut... Suis la seule ici qu'il... comprendre... bzzzng ! leur dit Camélia. Attendez, je...
Soudain, un terrible son strident sortit de la montre de l'exorciste. Omen se couvrit les oreilles, mais le bruit perça les tympans du pauvre Hikagué.
- Vous nous entendez mieux ? questionna Samuel. Camélia a déplacé l'antenne.
- Deux secondes, le temps que je récupère mon audition... grimaça Hikagué. Pourquoi vous nous appelez ?
- Juste pour vous dire qu'on a établi le réseau holocom sur l'île en plus des appels vers l'extérieur. Vous devriez pouvoir contacter les autres maintenant, résuma la dragonne.
- Petit poney ! chantonna l'Oracle, sa voix faible se déplaçait comme s'il dansait autour de la tente.
- Vous m'avez pété les oreilles pour ça ? s'exaspéra l'exorciste.
- Avoue qu'on entend mieux, plaisanta la jeune fille en référence à la meilleure connexion. Il y avait autre chose ?
- Oui ! s'exclama l'Oracle. Le chaton rouge est là ! Chaton rouge... Âme écarlate ! Petit poney ! Mais chaton noir arrive avec ses amis. Méchants amis... Vilains amis... Pas beaux. Des pas beaux en bateau. Avec un râteau qui mangent un gâteau.
- Comment tu sais ça, toi ? s'étonna l'apprenti.
- Qu'il y a des pas beaux qui mangent un gâteau ? répéta Omen, amusée.
- Non ! C'est comme ça qu'il parle, le vieux. Mais il dit vrai en partie. Le Directeur m'a prévenu qu'il y avait un navire non enregistré parti d'un port au Sud de Félinia qui menait le cap par ici. C'est possible que ce soient des pirates, ou pire. Soyez sur vos gardes : s'ils ont eu un vent favorable, ils devraient être bientôt sur la côte Est.
- On ne risque pas de les voir avec toutes ces montagnes... remarqua Omen, observant le paysage. Et s'ils accostent ici, ils vont avoir le même problème que nous la première fois.
- Attention, attention aux méchants ! Hi hi hihihihihihihi ! ricana le fou.
- Oui voilà, faites attention quand même... traduit Camélia.
- On est déjà bien sur nos gardes avec Hikagué qui essaye de draguer des monstres meurtriers, se moqua la petite sorcière.
- Elle avait l'air d'une jolie femme ! protesta l'intéressé. Avançons un peu, tu veux ?
- On va vous laisser, il faut qu'on contacte les autres. À bientôt ! les salua l'apprenti avant d'interrompre l'appel.
La montre s'éteignit et le duo se sentit plutôt seul d'un coup. Ils se remirent en route sans un mot. Le mont Mortel n'était plus très loin : c'était le seul pic en pierre noire, facilement reconnaissable parmi les falaises grisâtres. Ils marchaient laborieusement sur des chemins de cailloux mobiles lorsqu'Omen questionna son coéquipier :
- Pourquoi m'as-tu posée toute ces questions sur ma famille l'autre jour ?
- Je voulais apprendre à te connaître, répondit-il simplement.
- Et moi, je peux te demander d'où tu viens ?
- Non, fit-il. Puis, voyant la tête que tirait la sorcière : je rigole. Je vivais à la cour jusqu'à mes six ans avec ma mère et ma sœur jumelle.
- Ah, ravie de te connaître, messire De Gesmary ! ironisa-t-elle en imitant l'accent de courtisane qui exagérait toutes les voyelles.
- Arrête, je me souviens à peine de ces années-là, nous avons emménagé à la ferme peu après. C'est là que ma sœur et moi avons appris à devenir des chasseurs de vampire. Elle était bien meilleure que moi, des débuts à la fin...
- Elle devient quoi aujourd'hui ?
- Ma sœur a eu le même sort que la tienne, elle repose dans les bras d'Audacia...
- Oh, je... Alors quand je parlais de... s'horrifia-t-elle.
Quelque chose n'allait pas, la réaction d'Omen était trop parfaite, comme si elle s'était entraînée à le faire devant le miroir. Hikagué ne remarqua rien, trop absorbé par son passé.
- Tu n'étais pas la seule à avoir des mauvais souvenirs. Ne t'inquiète pas, je sais que Sola vit dans un monde meilleur maintenant. Elle était une bonne fille. Elle croyait qu'elle pouvait faire un traité de paix entre les vampires et les humains, tu sais ? Malheureusement les vampires n'étaient pas du même avis...
- C'est... Admirable... commenta-t-elle.
Ce n'était plus surjoué, mais la lumière derrière ses yeux était partie. Elle avait retrouvé le ton presque ironique qu'elle avait utilisé avant, plus violemment que la première fois. À l'entendre on aurait dit qu'elle lui reprochait quelque chose, mais Hikagué ne comprenait pas pourquoi.
- Dis-moi, as-tu déjà entendu le nom de Shizuka ? s'enquit-elle enfin.
- Je... oui, je crois... Pourquoi ?
- Rien. Allons-y, conclut-elle froidement.
L'exorciste, confus, lui emboîta le pas. Il se retourna le cerveau dans tous les sens, cherchant où il avait entendu le nom de Shizuka. C'était familier, et même s'il ne se souvenait pas d'où il la connaissait, l'entendre le mettait mal à l'aise. Ça ne présageait rient de bon, et il sentait que ç'avait un lien avec Sola... Qui était-ce ? Il avait le sentiment qu'il s'agissait d'une fille.
Cependant, il fut rapidement distrait par l'entrée de la grotte Spectre : c'était une bouche ouverte, aux piliers en forme d'immenses canines aiguisées de part et d'autre du vide noir qui mordaient très littéralement le sol. La caverne entière était une sculpture de la mâchoire supérieure d'une créature que l'exorciste reconnut du premier coup d'œil :
- C'est un crâne de vampire... souffla-t-il.
- Ne traîne pas.
Déjà, Omen s'enfonçait dans l'ombre. Ils se trouvèrent dans un couloir rocheux illuminé seulement par une mousse bioluminescente verdâtre. L'atmosphère était tendue ; dans la semi-pénombre ils ne voyaient qu'à quelques mètres devant eux. Soudain, ils virent une lumière au bout du tunnel. Une large salle triangulaire s'étendait devant eux. Au plafond, une sculpture de dragon rugissait vers le sol, sa gueule ouverte était percée jusqu'à l'extérieur, laissant passer des rayons du soleil et exposant la poussière suspendue en l'air. Un grand pentagramme était tracé par terre, et au centre, un trône fait d'ossements humains et vampires régnait. Sur ce siège régal était posée une jeune femme.
- Hermionie ? s'étonna Hikagué.
- Qu'est-ce que tu fais là ? se méfia Omen.
- Je vous avais proposé mon aide, dit la nymphe simplement. Vous cherchez ceci, n'est-ce pas ?
Elle leva la main ; elle tenait une large écaille de jais, luisante.
- Donne-la-nous, ordonna la sorcière.
- Je vous la donne en échange d'un cadeau de la part de ce jeune homme, sourit-elle à l'intention de Hikagué.
- Je sais ce que tu es maintenant, Omen m'a prévenu, déclara le chevalier, muscles tendus.
L'ange changea aussitôt d'attitude. Sa posture gracieuse s'évanouit en un clin d'œil, ses gestes devinrent plus brusques, ses lèvres pulpeuses formèrent un sourire moqueur, son regard sympathique changea d'air et n'avait plus rien de rassurant. Elle devenait agressive, Hikagué prévint sa coéquipière :
- Préparons-nous au combat Om... !
D'un coup, Hikagué lâcha un cri atroce. Il avait l'impression d'avoir été transpercé par une épée. Il fut soulevé en l'air avec un nouvel éclair de douleur. Il regarda son ventre : il ne vit rien à part un large trou dans son t-shirt et une tache rouge qui grandissait. Il vit une goutte flotter en l'air, comme si elle giclait le long d'une arme invisible. Le visage de Hermionie manifestait autant de surprise que le sien.
- Ne perdons pas de temps, annonça une voix rauque derrière lui.
Il tourna la tête tandis que toute sa chaleur semblait s'échapper par sa blessure. Sa conscience se dissipait lentement. Lui apparut soudain une vision d'horreur : le visage d'Omen était transformé, yeux rouges ardents, une joue déchirée par une large cicatrice en fractales, l'autre parsemée de runes, la peau plissée par la rage. La traînée de sang lévitant menait directement à elle.
- Ceci est pour Shizuka, annonça la nouvelle Omen pleine de colère.
- Que... ? Omen, qu'est-ce que tu racontes ? s'affola-t-il. Sola n'a jamais tué...
Soudain, il se rappela : Shizuka, le nom de la vampire folle que Sola avait été envoyée tuer dans un village près des Plaines de Minuit. C'était sa dernière mission. Elle était revenue en pleurs, balbutiant le nom du monstre.
- Elle regrettait ! Elle regrettait ce qu'elle a fait ! s'exclama-t-il, désespéré.
- Ne mens pas, elle a tué la sœur de ma petite Omen de sang froid. Elle méritait ce que je lui ai fait, cette meurtrière ! C'était à moi qu'il incombait montrer à tous quel genre de criminel ils hébergeaient. Le message en sang sur le front n'était-il pas clair ?
- Tu l'as tuée ?! Omen ?
- Non, non, Omen ne s'est pas sali les mains en personne, répliqua la démone d'un air supérieur. Elle est trop innocente pour que je la pervertisse ainsi, non. Elle m'a demandée de le faire à sa place.
- Quoi ?
- Dire que depuis sept ans tu me traques, et maintenant que tu m'as devant toi, tu ne me reconnais pas !
Elle s'approcha de lui, pleine de haine, et lui chuchota à l'oreille, pleine de jubilation :
- Je suis Kitsune. Omen m'a cédé son corps le jour où elle m'a demandée d'assassiner Sola. Et maintenant, je vais prendre beaucoup, beaucoup de plaisir à voler ta vie.
- Non ! hurla soudain la même bouche, mais d'une voix différente.
Pendant une fraction de seconde, les yeux de la chasseuse étaient redevenus bleus, et le cri qu'elle avait poussé était aigu, peiné, apeuré... Hikagué sentit la dague invisible se retirer et il retomba au sol, tremblant terriblement. Les dernières forces le quittèrent et il perdit ses esprits. Les deux femmes regardèrent son corps comateux qui peinait à respirer. Hermionie s'adressa enfin à Kitsune, qui haletait comme si elle venait de repousser une attaque bestiale.
- Pourquoi l'avoir épargné ?
- Omen m'a empêché d'en finir, grimaça-t-elle.
- Dans cette situation elle avait raison, s'exaspéra Hermionie. Il pourrait être utile.
- Ce n'est pas l'âme écarlate, c'est évident, non ? Il ne nous sert plus à rien ! protesta-t-elle.
- Non... Ma vision est brouillée, je n'arrive pas à voir lequel d'entre eux est l'âme écarlate, et ça ne nous fera pas de mal de l'allier à nous, commenta la nymphe.
- Comment veux-tu qu'il soit amical après ça ? Ta secte ne va pas l'hypnotiser comme l'autre blonde...
D'un coup, la vampire fut plaquée contre le mur. Hermionie s'était enflammée, lui écrasait la gorge sur la pierre de sa main squelettique.
- Elle t'a prêté son corps pendant qu'Omen était ici, rappelle-toi, sans quoi tu serais morte. Tu lui es endettée, donc tu m'es endettée. Tu fais partie de la Kuroi Namida, que tu le veuilles ou non, et je suis ton chef. Ne l'oublie jamais. Maintenant je vais lui effacer la mémoire, tu vas réparer les égratignures et le tirer dehors. Et donne un souvenir à Omen qui explique pourquoi elle se retrouve hors de la grotte avec l'écaille et un corps évanoui. Compris ?
- Compris... grogna Kitsune.
- Exécution, ordonna Hermionie en relâchant sa proie. Et cette fois, fais en sorte que tes secrets restent sous silence, et ne t'emporte plus ainsi. Nous ne sommes plus à Alamandra.
***
- Hikagué ? Hikagué réveille-toi !
La vision brouillé de l'exorciste se clarifia lentement.
- Omen ? Qu'est-ce qui se passe ?
Les iris azurs veillaient sur lui avec une lueur inquiète. Le ciel derrière ses cheveux améthystes était tempêtueux. La sorcière était penchée sur lui, lui tapotait légèrement la joue pour le réveiller. Elle lâcha un soupir rassuré quand il parla.
- Que les Grâces soient loués ! s'exclama-t-elle. J'ai eu si peur ! Ne me refais plus jamais un coup comme ça, d'accord ?
- Un coup comme quoi ? demanda-t-il, perplexe.
- Arrête de plaisanter, tu sais très bien ce qui s'est passé... rit-elle, l'inquiétude de retour.
- Je ne plaisante pas, Omen... Je ne me souviens de rien après le tunnel avec la mousse cheloue...
- L'éboulement t'a vraiment secoué la tête alors !
- L'éboulement ?
- On est entrés dans la grotte comme tu t'en souviens, puis on est arrivés dans une grande salle. C'était l'antre d'Ungura et on a trouvé une de ses écailles qu'un pic rocheux avait dû déloger. Tu as grimpé pour la récupérer, mais tu es tombé et ça a causé un éboulement. Tu t'es pris une pierre sur la tête et une grosse dans le ventre. J'ai dû te tirer hors de là, j'avais peur que la sortie se bloque...
- On a l'écaille ? s'enquit-il hâtivement en essayant de se redresser, action qu'il regretta amèrement lorsque ses muscles blessés protestèrent.
- Oui, oui, on l'a. Lève-toi doucement, il ne faut pas empirer ta blessure.
Un claquement de tonnerre fit vibrer l'air : la tempête arrivait. Omen ramassa rapidement leur matériel, aida son coéquipier à se remettre sur pied et le mena à l'abri sous une butte tandis que la pluie se mit à battre dans leur dos, sans savoir qu'une paire d'yeux d'acier les surveillait.
---- Fin du Chapitre 18 ----
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