18,5) Mise à nu
Hikagué se réveilla lentement. Il avait toujours mal là où l'éboulement l'avait frappé et un bleu se formait sur son ventre. Ils avaient dormi à l'abri d'une corniche pendant que la pluie battait leur toit improvisé. Il se sentait étrangement calme, malgré la perte de sa mémoire. Ils avaient l'écaille, ils étaient reposés, ils pourraient rentrer tranquillement. Hors quelques douleurs occasionnées, tout semblait aller bien. Il se roula sur le côté pour regarder sa coéquipière, mais elle n'était pas là. L'herbe était aplatie là où elle avait passé la nuit, ça ne faisait que souligner son absence.
- Omen ? appela-t-il, espérant qu'elle ne serait pas loin.
Aucune réponse... Hikagué commençait à s'inquiéter : à deux ils étaient en relative sécurité, mais seuls ils devaient surveiller leurs arrières. Au moins elle était partie tranquillement, n'importe quelle bête se serait attaqué à lui d'abord vu qu'il était plus exposé aux éléments qu'elle. De plus, il était certain que si quelque chose l'avait emportée de force, il se serait réveillé.
Il se leva, toujours étourdi, mais un poids au ventre le turlupinait. Où était-elle passée ?
- Omen, t'es là ? demanda-t-il plus fort.
Toujours rien. Il ramassa son sac, et en ce faisant remarqua que des affaires de sa coéquipière manquaient à l'appel. Elle l'avait abandonné ? Pourquoi aurait-elle fait ça ? Il fallait qu'il la retrouve... Il sortit une dague de sa poche, se piqua le doigt et étala son sang sur son tatouage. Le pentagramme se mit à briller et le portail infernal s'ouvrit. Noctis en sortit, sa crinière blanche avait poussé, lorsqu'il aurait le temps il fallait qu'il s'occupe un peu d'elle. Il ramassa la couverture sous laquelle Omen dormait et la tendit à son familier.
- Tu sens ça ? C'est une fille, dix-huit ans, alliée. Elle ne doit pas être loin. Cherche, ordonna-t-il à Noctis avec sérieux.
L'animal huma le tissu un instant, puis mit nez à terre. Comme tirée par une ficelle invisible, elle s'éloigna rapidement. Hikagué rangea hâtivement le reste de ses affaires et la suivit. Elle le mena plus profond dans le territoire d'Ungura, vers le nord. Plus ils avançaient, plus la terre devenait humide. Après quelques minutes il commença à entendre le clapotis d'une rivière douce. Quelque chose d'autre faisait vibrer l'air, mais il n'arrivait pas à bien entendre. C'est alors que Noctis se figea et se mit à grogner.
- Qu'est-ce qui se passe ? la questionna Hikagué. Noctis, viens...
Il ne l'avait jamais vue comme ça, elle avait l'air confuse, effrayée... Comme elle refusait de continuer, il rouvrit le portail et elle y sauta. Méfiant, l'exorciste suivit le bruit inconnu. Plus il s'approchait, mieux il entendait. Enfin, il reconnut le son : c'était quelqu'un qui chantait, et c'était la voix d'Omen. Elle semblait aller bien, même s'il ne voyait pas encore où elle était. Il longea la rivière au pas, rassuré.
L'air qu'elle chantait était doux, comme une aria d'opéra. Cependant, la mélodie semblait vieillie, son rythme était celui des chants traditionnels. Sa voix vibrait en arrivant aux notes de soprano. C'était très beau, les notes dansaient sur le vent en une douce berceuse pure, avec une innocence que seuls les chansons fredonnés à soi-même ont. Hikagué sourit à lui-même : il avait découvert un talent caché de sa coéquipière.
Il accompagna l'eau courante ; il l'écoutait de plus en plus avidement. Elle chantait en une langue qui lui était étrangère, avec de longues voyelles et peu de consonnes, presque rien pour casser la douceur. On aurait dit qu'elle voulait apaiser la nature toute entière. Enfin, il vit un éclair de violet : elle était dans la rivière. Il l'interpella avant d'avoir pleine conscience de la situation.
- Omen ! Faut me prévenir quand tu par...
L'air s'interrompit et la petite sorcière se retourna, horrifiée. Elle s'accroupit aussitôt pour ne laisser que sa tête dépasser de l'eau, et sous l'onde claire elle entoura sa poitrine de ses bras.
- Ça va pas, non ?! lui cria-t-elle, outrée. Qu'est-ce qui te prend ?!
Hikagué comprit enfin ce qui se passait : elle se lavait. Elle était nue dans la rivière, ses vêtements séchaient sur une branche non loin, une serviette de bain, du savon et une espèce de robe de chambre l'attendaient sur la berge. Il se retourna d'un coup, embarrassé.
- Pourquoi tu m'as pas dit où t'allais ?! Je m'inquiétais pour toi ! lui reprocha-t-il, le regard fermement braqué sur l'arbre en face de lui.
- Parce que j'ai pu remarquer cette dernière semaine que tu dragues très littéralement tout ce qui bouge, et j'avais pas envie de me sentir observée pendant que j'enlevais la poussière et la terre de la grotte d'hier ! riposta-t-elle. Maintenant va-t-en !
- Je peux pas, tu l'as dit toi-même, c'est dangereux ici ! Y'a des bêtes sauvages et tout ! Et puis... J'ai besoin de me laver aussi, et j'ai pas envie d'être vulnérable contre une attaque à ce moment-là.
C'était vrai, il avait soudain conscience de la puanteur et de la crasse qui l'accompagnait après plus de quinze jours sans se laver, en plus d'avoir été traîné dans la poussière sur plusieurs mètres. Sans compter les multiples jours passés à suer dans le désert. Omen n'était pas convaincue.
- T'aurais pu penser à une excuse plus pourrie ? C'est hors de question ! Je sors, ne regarde pas !
Un bruit d'eau signala qu'elle avançait vers la rive, puis une courte pause pendant qu'elle attrapait ses vêtements. Après un silence de plus d'une minute, Hikagué ne tenait plus :
- Je peux me retourner ?
- Absolument pas ! l'interdit-elle.
- Qu'est-ce qui se passe ? Je t'entends pas bouger, habille-toi, histoire que je puisse me laver aussi, vérifier cette blessure.
- Mes vêtements ne sont pas encore secs... avoua-t-elle à contre-cœur.
- Tu ne peux pas juste t'entourer de ta serviette ?
- Pas pour la route, t'es fou ! protesta-t-elle.
- Alors fais-le en attendant que ça sèche et en même temps tu peux monter la garde pour vérifier que rien de vient m'attaquer, proposa-t-il. Comme ça tout le monde est content.
Omen réfléchit un instant, puis accepta contre son gré.
- C'est bon, retourne-toi.
Il le fit. Elle était recroquevillée sur la berge opposée, tenant sa serviette contre elle comme si elle la maintenait en vie. Hikagué fit un pas vers la rivière, mais Omen tressaillit. Cette action blessa Hikagué, mais fit attention à ne rien laisser percevoir dans sa voix :
- Je ne suis pas aussi pervers que tu le crois, je rigolais pour la femme d'hier.
- Je sais ça, répondit-elle, les yeux perdus dans le vide, un léger sourire aux lèvres. Si t'étais sérieux t'es suicidaire. Non, je veux dire... T'as quand même une certaine réputation... Blaize l'a remarqué, vu son commentaire dans la forêt de feu. Dragueur en série à ce qu'il paraît. Et puis, jusque-là tu voyageais en continu, restant dans une auberge différente chaque nuit... L'idéal pour te présenter comme l'homme mystérieux qui brise tous les cœurs du village en passant.
Hikagué passa de l'eau sur ses bras et chassa la terre qui s'était solidifiée sur sa peau, il avait l'impression de perdre une carapace. C'était tellement agréable, l'onde froide servait d'échappatoire à la chaleur de l'atmosphère.
- C'est vraiment comme ça qu'on me voit ? rit-il, en enlevant son haut pour le tremper dans le fleuve, le tissu blanc était marron de boue. Une fille différente chaque nuit ? J'avoue que ce genre de vie ne serait pas de refus, quoiqu'un peu fatiguant.
- Hmmm ? elle le regarda d'un œil désapprobateur.
- Je rigole ! Par Vastra tu me prends pour un connard ! Je ne suis pas comme ça !
- Tu te déshabilles devant moi là, lui rappela-t-elle.
Hikagué marqua une pause, il était déjà torse nu et enlevait à présent ses bottes.
- Moi je prends un bain improvisé, c'est à toi de regarder ailleurs. Ça reflète sur ton caractère, pas le mien, se moqua-t-il, avant de continuer à se déshabiller.
Rougissante, Omen se retourna hâtivement. Hikagué enleva tout et se glissa dans l'eau. C'était si tranquille, si agréable. Le ciel au petit matin était doux, des oiseaux chantaient au loin. C'était un paradis. Il se laissa flotter dans l'onde claire.
- C'était très beau tu sais... commenta-t-il, pensif.
- De quoi ?
- Quand tu chantais, c'était très beau, mais je ne comprenais pas les paroles...
- ... Merci... C'était une berceuse que ma mère me chantait quand j'étais petite.
- Tu es toujours petite.
- Méchant, rit-elle doucement.
Il contempla encore un moment les nuages qui passaient. Quand était la dernière fois qu'il s'était senti aussi bien ? Il ferma les yeux et se perdit dans les pensées.
- Est-ce que t'as déjà aimé quelqu'un ? demanda la petite sorcière enfin.
- Hein ? fit-il, sans ouvrir les yeux.
- Si les rumeurs sont fausses, je me demandais comment tu étais... Tu fais des blagues tout le temps, je n'arrive jamais à savoir quand est-ce que je dois te prendre au sérieux.
- La réponse est quasiment jamais, railla-t-il.
- Mais réponds à l'autre question, sérieusement.
- Honnêtement ? Non, je crois pas. J'ai jamais eu l'impression d'avoir quelqu'un qui s'intéresse à moi pour moi.
- Moi je m'intéresse à toi.
- Et choisira-t-il la candidate numéro 1 ? ironisa-t-il en prenant une voix de présentateur de télé-réalité.
- Tu sais bien que je ne voulais pas le dire comme ça, répliqua-t-elle.
Sa voix était tout proche. Il sentit une feuille ou une herbe lui chatouiller et lui caresser le nombril. C'était tendre, pas loin de sa blessure qui lui avait laissé un énorme bleu sensible, alors le frottement placide était plus qu'apprécié.
- Tu voulais le dire comment alors ? demanda-t-il, intéressé.
Il la regarda enfin, mais tout de suite se crispa et sortit en trombe de l'eau. Il avait flotté jusqu'à l'autre rive, et ce qui le chatoullait n'était pas une feuille, mais le doigt d'Omen qui avait mis les pieds dans l'eau et l'observait passivement.
- Mais ça va pas la tête ?! s'étonna-t-il.
- Quoi ? Si tu le fais j'ai le droit de le faire, non ? s'esclaffa-t-elle malicieusement.
- Je l'ai pas fait exprès, moi ! Je savais pas que t'étais là !
- Mais tu as dit clairement que tu t'en remettais à ma pudeur. Il ne faut pas te remettre à l'innocence des gens que tu connais à peine ! se moqua-t-elle joyeusement.
- J'ai même pas de serviette, moi ! protesta-t-il, essayant de conserver sa modestie.
- Tiens ! Je n'en ai plus besoin !
Elle lui lança sa serviette et alla prendre ses vêtements à présent secs sous les yeux ébahis de son coéquipier. Il la rattrapa peu dignement et l'entoura autour de sa taille.
- C'est ta réputation qui a besoin d'être revisitée, grommela-t-il, amusé.
---- Fin du chapitre 18,5 ----
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