15) L'Arène
Le mois qui suivit fut synonyme d'entraînement continu ponctué de bataille sur bataille. Elle vainquit chaque adversaire qu'on lui proposa en un temps étonnant, les manageurs furent furieux de voir leur bête préférée perdre face. Dans l'arène, contrairement aux cours, elle n'avait pas besoin de faire dans la dentelle. Elle avait déjà en elle la puissance monstrueuse de sa télékinésie qui suffisait à tout terrasser, et la foule ne se lassaient pas de voir d'énormes déflagrations d'énergie déchiqueter la scène. Ainsi naquit "Akuma l'Indomptable", capable de gagner d'un claquement de doigts, mais qui faisait bien attention à leur donner du spectacle. Elle avait également une cliente fidèle : à chaque fois qu'elle posait pied sur le sable, elle pouvait épier Hermionie dans la tribune privilégiée.
Puis, le jour inévitable vint : le jour du choc des titans. Le stade était plein à craquer, le bruit assourdissant, la tension insoutenable. Les antagonistes émergèrent face à face de deux arches. Aussitôt passés, des grilles tombèrent violemment et bloquèrent la sortie. Le présentateur agité cracha son excitation sur le microphone lorsqu'il annonça :
« Bonjour à tous et à toutes et bienvenue ! Moi, c'est Pareh Veiller, votre commentateur favori depuis X870. Aujourd'hui, le show n'est pas des moindres ! Ce combat est tout sauf joué, mes amis ! Tout ce que je peux vous assurer, c'est que vous ne serez pas déçus ! Maintenant, nos deux adversaires ! À ma droite, la nouvelle prodige des planches, son étoile est en train de monter, ses pouvoirs sont insoumis aux lois des hommes, voici... Akuma l'Indomptable ! »
Un tonnerre d'applaudissements et de cris d'encouragements s'éleva dans la salle ; elle avait acquis de nombreux supporters à cause de sa victoire sur "Araknia du Diable" quelques jours plus tôt. Jusque-là c'était elle la préférée de nombreux réguliers de l'arène. Akuma avait particulièrement aimé enfoncer sa tête dans le sable.
« Et à ma gauche, le monstre de l'arène aux griffes acérées, voici Drakonis le Terrible ! Que le combat... commence ! »
Sous une nouvelle huée d'acclamations, le dragon se jeta sur la jeune fille sans un moment d'hésitation. Ses écailles pointues luisaient à la lumière des torches jaunâtres. Akuma tressaillit : l'adrénaline montait, elle allait enfin pouvoir détrôner "l'exemple à suivre". Exaltée, elle demeura cependant immobile : elle comptait le ridiculiser, et elle s'en savait capable. Elle sourit.
Alors que Drakonis était à quelques centimètres d'elle, il se figea, flottant au dessus du sol. La surprise se lisait sur son visage. Elle jeta un coup d'œil furtif au mur à sa gauche. La seconde d'après, son rival avait été projeté contre ce même mur, délogeant trois briques. Le lézard, bien que sonné tint le coup et se remit en position d'attaque. Akuma lança une nouvelle offensive, soulevant une tempête de sable, réunissant les grains pour former des balles. Elles éclatèrent la défense écailleuse du jeune homme et déchirèrent sa chair, et la boucherie continua. Le commentateur donna tout son cœur et sa voix pour décrire la situation coup sur coup :
« Drakonis est en mauvaise posture ! Cette tempête de sable est mortelle ! Encore un coup de la télékinésie d'Akuma ! Elle a beaucoup progressé en précision depuis son arrivée ici, et l'inventivité de ses coups donne à voir ! Encore une blessure pour Drakonis, le voilà pris au piège dans un champ psychique ! Mais, oh ! Incroyable ! Notre expert est parvenu à s'en dégager ! Notre petite novice devrait en prendre de la graine, on ne devient pas le plus grand des champions sans son talent ! »
Ce commentaire enflamma la haine folle qu'Akuma scellait en elle. Sa façade calme s'évanouit. Des explosions spontanées firent irruption tout autour du duo. Elle avait perdu le contrôle ; la foule s'en réjouit bruyamment. Drakonis évita les impacts autant qu'il put, mais il fut rossé de coups. La télékinésiste n'en avait pas fini ; elle lança une vague d'énergie psychique sur Drakonis, qui vola en arrière. Il heurta la grille si violemment qu'il la pulvérisa dans un craquement horrible d'os et de métal. Tandis que le bruit résonna, il tomba au sol, immobile.
Akuma se retrouva à genoux, épuisée : elle avait libéré presque toute son énergie d'un seul coup. Elle trouva tout de même la force de crier victoire dans une salle devenue silencieuse. Elle avait réussi ! L'exemple à suivre avait perdu son prestige. Elle regarda Hermionie, elle souriait. Un homme se trouvait à ses côtés, lui aussi satisfait. Mais lorsque les secondes devinrent des minutes alors que le garçon ne se relevait toujours pas, la jubilation de la vainqueure fut contrebalancée par un malaise. Inquiète, elle s'approcha du dragon.
Soudain elle hurla de terreur, ses jambes cédèrent sous elle : les yeux reptiliens étaient révulsés, et une flaque rouge grandissait lentement autour de sa tête jusqu'à venir teindre les pieds de son adversaire.
Paralysée par l'effroi, ses larmes vinrent se mêler au sang de l'adolescent. Elle était allée trop loin... Elle n'avait jamais eu l'intention de le... De le... Elle n'arrivait pas à l'admettre. Soudain, un spectateur s'écria :
- Il est mort ! Drakonis est mort ! Elle l'a tuée, la salope !
Leur héros mort, les nombreux fans de Drakonis se mirent à réclamer vengeance. Ils lancèrent leurs bières vides qui explosèrent en mille morceaux. La plupart n'arrivaient pas à viser, mais un éclat se logea dans la jambe de la guerrière. La douleur lui arracha un cri, et les tribunes s'en réjouissèrent. Elle sonda la foule des yeux, aucun allié ne venait à son secours. Même Hermionie et son compagnon avaient disparu. Elle devait fuir, et vite.
Elle parvint à se remettre sur pied et s'échappa, boîteuse, par le couloir derrière la grille qu'elle avait détruite, contournant le corps du mort tandis que le public commençait à sauter des gradins pour la poursuivre. Le couloir était long et les murs lisses, il n'y avait aucun tournant, aucun enfoncement dans lequel se réfugier. À chaque pas le pic de verre s'enfonçait dans sa jambe.
Enfin, elle arriva de l'autre bout du couloir, mais elle n'y trouva aucun secours : le tunnel se terminait par une barrière de barreaux métalliques pour empêcher les combattants de rebrousser chemin s'ils perdaient confiance avant d'apparaître sur scène. La panique l'envahit, elle tira désespérément sur les barres, comme si ça allait avoir le moindre effet. Son pouvoir était grand, mais son corps était aussi frêle que lorsqu'elle avait été simple écolière. Les sauvages arrivaient derrière elle, elle pouvait déjà sentir leur haleine empesté d'alcool et de tabac. Chaque pulsation de son cœur battait dans ses oreilles comme un tambour.
- C'est ici que je vais mourir... se dit-elle en tremblant. Ils vont me tuer et ce sera la fin... Ça m'apprendra bien, hein Mirai ? Je n'aurais jamais dû partir...
Elle pleurait de chaudes larmes. L'aînée sortit la photo froissée de sa poche. Leur anniversaire... La belle époque. Elle sanglota, tandis qu'elle se retourna pour faire face aux barbares. Elle allait être digne dans la mort, vu qu'elle ne l'avait pas été dans la vie.
Soudain, une bourrasque violente hurla dans ses oreilles.
- À terre ! ordonnait une voix grave. Akuma obéit aussitôt, terrifiée.
Le vent fouetta impétueusement les sauvages tandis que la jeune fille se roula en boule, yeux fermés, protégeant sa tête et sa nuque des mains. Un couinement de métal indiquait que le blocage d'acier allait bientôt céder. L'air devint fin, si bien qu'Akuma put à peine respirer. Elle n'était pas la seule : ses poursuivants s'arrêtèrent et gémirent avant de tomber à terre un à un. Un grand bruit strident suivi d'un tonnerre affreux signala que la voie était maintenant libre.
- Cours ! commanda la même voix.
Profitant de la confusion, Akuma se remit debout et sautilla plus loin. À son bonheur, le couloir se séparait en trois voies différentes ; elle prit à gauche, puis à droite, tout droit, puis encore à gauche... Elle se perdit elle-même. Sa blessure la torturait, mais elle se retint de gémir : s'ils l'entendaient, ils la rattraperaient en deux secondes. D'un coup, le verre toucha un nerf, la douleur la paralysa et elle heurta le sol avec une plainte. Les brutes ne manquèrent pas de l'entendre.
- Elle est par là, les gars ! On la trouve et on la bute ! Je veux que son corps soit pas reconnaissable ! hua l'un d'entre eux.
Akuma rampa au sol, essayant de s'éloigner. Subitement une large main la prit par la taille, une autre couvrit sa bouche et la fit taire. Elles l'entraînèrent derrière une porte dans une pièce minuscule et sombre. La fille frémit : les longs doigts puissants étaient ornés de longues griffes effrayantes. Elle voulait crier, se débattre, se libérer, mais les grognements sourds de ses chasseurs la réduisirent au silence. Le tumulte s'intensifia, fit vibrer la chambre à la force des cent pas du troupeau enragé, puis lentement passa. Les mains ne relâchèrent l'adolescente que lorsque la dernière paire de bottes fut inaudible. Elle se retourna aussitôt.
Son sauveur était un félinien, une rareté dans la région. Dans la faible lumière, elle put distinguer ses cheveux bruns, sa fourrure orangée et ses yeux bleus percés de pupilles en feinte arrondis par le manque de lumière. Une rayure en forme de "V" penché marquait chaque joue. Le reste de son corps était masqué par l'ombre et une longue cape de voyage noire. Les oreilles félines au sommet de sa tête bougeaient constamment, sondant les alentours. Il lui adressa gravement la parole :
- Écoute-moi, nous n'avons pas beaucoup de temps. Je te propose un choix : soit je te sors d'ici mais en retour tu dois écouter ma requête, soit je te laisse mourir ici, que ce soit par la main des humains ou à cause de ta blessure.
- Je... Comment ? Tu... Je suis... balbutia-t-elle, paniquée.
- Ton choix, pressa le félinien.
Un cri d'homme ivre retentit au loin, Akuma se précipita :
- Sors-moi de là, je ferai ce que tu veux. Pitié, sors-moi de là !
Un nouveau vent violent les poussa vers le ciel. Son sauveur brisa le plafond fragile et en quelques instants ils planaient au dessus de la ruelle par laquelle Akuma était passée il y avait un mois de cela. La rescapée rit pour la première fois depuis longtemps : la tempête balayait ses cheveux, le soleil éclairait les alentours avec une magnifique lumière blanche, les nuages se faisaient la course dans un ciel azur. L'hiver se faisait sentir : l'air sec était frigorifié, rien à voir avec l'atmosphère chaud et humide de l'arène. Ils continuèrent à monter, et une fois arrivés à une centaine de mètres de haut, le lion les déposa sur le toit d'un immeuble gris.
Voyant que la jeune fille grelottait, le félinien enleva sa cape et le mit autour ses épaules, relevant une tenue à la chinoise avec un haut soyeux turquoise à motif nuage et un pantalon bouffant. Il s'étira pour se dégourdir et contempla la ville, dos à elle, pensif.
- Cette ville est de pire en pire à chaque fois que je viens...
- Que me veux-tu ? demanda Akuma, méfiante. Qui es-tu ?
- Je suis Yurao Céléstra, lui apprit-t-il. Je suis un des chefs de la Confrérie des Larmes Noires et un prêtre de la Nouvelle Religion. Je veux simplement que tu nous rejoignes en tant que membre.
- Tu... Tu m'as sauvée pour que je rejoigne ton club ? s'étonna-t-elle, incrédule. Pourquoi moi ?
- Tu es la seule télékinésiste du continent à être classée au niveau cinq, cela fait de toi la plus puissante des télékinésistes après Hemionie. Nous avons besoin d'une alliée aussi puissante que toi pour aider à diffuser la parole de la prophétesse. Nous, ou enfin notre "club" comme tu dis, veut t'aider. La puissance innée est reine de l'esprit à moins d'être maîtrisée. Ceux possédant des dons doivent apprendre à les contrôler, à les soumettre à leurs volontés pour atteindre la Terre Promise. Ceux sans magie n'ont aucune chance de l'atteindre, mais commettent tout de même des péchés envers nous, c'est pour cela que la confrérie des Larmes Noires est chargée de protéger les nôtres.
- C'est tout ? Tu crois que je peux aller au paradis après ce que j'ai fait ? s'indigna-t-elle, dégoûtée par elle-même. Et puis, ceux sans magie sont comme nous...
- Tu ne contrôles pas encore ta puissance, tu ne peux pas être considérée comme responsable de tes actes. Nous nous chargerons de tout t'apprendre. Nagari, notre chef des armées est une très bonne professeure. Et pour ce qui est des sans-magie comme nous... N'as-tu pas vu leur animosité il y a deux minutes à peine ? Ils sont bien gentils si on leur plaît, si on leur fait du beau spectacle, mais au moindre écart, ils se délaissent, ils nous blessent et ils nous tuent. Nous avons plusieurs noms, la Confrérie des Larmes Noires, la Kuroi Namida, l'Église du Mal Nécessaire, mais quoi que tu veuilles nous appeler, nous sommes la justice, nous vengeons les victimes. Nous avons tous une puissance naturelle qui nous a été confiée par les Grâces pour apaiser les âmes maltraitées et nous offrons une famille à ceux qui ont survécu.
Akuma regarda longuement Yurao. Une famille... Un refuge... Elle avait été seule si longtemps, même quand elle vivait encore chez ses parents elle l'avait été. Yurao lui sourit amicalement. D'un coup, elle fondit en larmes. La journée l'avait épuisée, elle avait affreusement mal et de nouveau nulle part où aller. Ce félinien savait ce qu'ellle avait fait, et non seulement lui pardonnait, il voulait l'aider, lui offrait un professeur, un abri, et il l'entourait à présent de ses bras puissants pour la réconforter. Elle hoqueta faiblement, s'agrippant à sa chemise comme si sa vie en dépendait.
- Sauve-moi, je t'en supplie... chuchota-t-elle, la voix rauque.
- J'en ai l'intention, affirma doucement Yurao.
Enfin, une nouvelle vie qui promettait d'être meilleure que la précédente.
***
Akuma replia enfin la photo vieillie du jour de son anniversaire et la remit en sécurité dans sa poche. Voilà deux ans que sa sœur et les jours heureux qu'elles avaient passés ensemble l'accompagnaient partout où elle allait, cet immense voilier en pleine mer ne faisait pas exception. Le vent arrière les poussait à de grandes vitesses, les anneaux au bout de ses tresses tintaient joyeusement. Son cœur tremblait d'excitation : elle avait été choisie pour participer à la plus grande mission de la Kuroi Namida, menée par la Prophétesse elle-même ! Leur destination l'intriguait, elle n'arrivait pas à se l'imaginer, mais son esprit était en surchauffe à force d'essayer. Exaltation et anxiété se mêlaient à mesures égales à l'idée d'accoster sur cette île lointaine.
Nagari, sa commandante la rejoignit. C'était une jeune femme de vingt-huit ans aux longs cheveux lisses et écarlates. Cette maîtresse aux yeux de jade avait plusieurs années d'expérience en tant que nonne de la Confrérie, elle avait trouvé sa vocation dans le combat.
- Esper ? Tu vas bien ?
- Oui ! acquiesça-t-elle, distraite par un homme richement vêtu qui venait de monter sur le pont.
- La première mission est toujours la plus difficile, mais tu t'y feras vite. Je t'emmène avec moi parce que j'ai confiance en tes capacités, même si Iragan n'est pas d'accord, la rassura sa commandante, remarquant son regard mal à l'aise.
- Il me fait peur... confessa la nouvelle.
- Mon frère est là pour faire peur, c'est probablement son seul point fort, sourit la guerrière. De toute façon, il est sous mon autorité. Yurao a validé mon choix, il sait de quoi tu es capable aussi.
Akuma étouffa un rire gêné puis porta de nouveau son attention sur l'eau. Soudain, elle s'écria de joie : elle avait aperçu ce qu'elle attendait depuis le début.
- La voilà enfin ! L'Île des Quatre Dragons !
---- Fin du chapitre 15 ----
Grades du chevalier indépendant du plus au moins prestigieux (avec effectifs mondiaux) : Paradémonium (x1, siège au Conseil), Or (x4), Argent (x15), Bronze (x40), Expérimenté (x10 000), Officiel / Policiers (le reste, menés par les grades d'État).
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