b. Mênace
TROISIÊME STRATE : CAVERNE
b) Mênace
Épouse, Docteur, Rêveur, Êpouse
Putain-Mère, Héros-Brute
Nuisibles
Vortex. Strate. La caverne est éclairée par de multiples lanternes et lampes-torches que les Nuisibles tiennent et placent. Ils y sont foule et plus hardis qu'en haut. Des photos argentiques volètent partout. Leurs ricanements éveillent le Docteur et l'Épouse tour à tour. À jardin, un buste de mannequine dressé en Putain-Mère. À cour, un buste de mannequin apprêté comme l'Héros-Brute. Des offrandes et libations nombreuses sont disposées à leurs pieds.
Docteur - Où sommes-nous atterris ?
Épouse - Sur le cul.
Docteur - Je pencherais plutôt pour les soubassements de la charpente, les zones grises où se tissent les rêves. Il fait trop clair encore pour le gouffre. Pouah ! Ça empeste la myrrhe.
Épouse, en ramassant une photo - Qu'est-ce que... On dirait lui !
Docteur, comparant avec l'original - C'est bien lui.
Épouse - Oh, il a recraché sa sève ! Réveille-toi, petit Rêveur, nous avons besoin de toi pour sortir d'ici.
Docteur, tandis que les Nuisibles font coulisser des pendants de cristal, inspectant les deux mannequins - Ça ressemble à l'antichambre d'un temple. Style mésopotamien revisité.
Épouse - Rien ne nous séparera plus ; je me bouturerai à toi.
Docteur, humant les fétiches propitiatoires - On y a sacrifié récemment. Très récemment.
Épouse, frôlée par les Nuisibles, l'un d'entre eux la pince, elle se masse l'épaule - Aïe !
Docteur, déchiffrant des inscriptions, en tout petit, marmonne charabiament - C'est bien ce que je pensais. Nous sommes dans un autel, dédié à deux divinités jumelles. Il est question d'un rituel invocatoire. Puis les glyphes sont effacés.
Épouse, qu'on ragrippe - Mais ! Vous savez lire le glyphosate, vous ?
Docteur - Plus on s'enfonce, plus les lois naturelles se distordent. Déjà la logique onirique a fait son entrée : nous pouvons soudain savoir ce que signifie le pire baragoin. Suffit de garder son sang froid. De même qu'en cas de panique, notre propre langue maternelle peut nous échapper.
Épouse, rerepiquée par un Nuisible - Merda então, quem está a fazer isto?
Docteur - Tiens tiens.
Épouse - Désolée, c'est sorti tout seul. Je me fais bouffer de partout.
Docteur - C'est la nuit des taons ?
Épouse - Jamais lu.
Elle se fige, apercevant enfin le Nuisible qui la harcèle.
Docteur - Quoi ? C'est pas grave, vous savez, moi non plus je suis pas très livres. Madame l'Épouse ?
Ses bras s'arc-boutent en essuie-glaces devant sa face déconfite.
Épouse, surarticulé - Derrière vous.
Docteur - Eh bien ?
Il se met à côté d'elle pour profiter du même point de vue. Hausse les épaules.
Docteur - Vous êtes encore à nous inventer des créatures. Je vous répète qu'elles ne sont que dans votre tête, arrêtez de leur faire le plaisir de trembler, ça les rengaillardit. Non. Non. Je sens que vous paniquez. Arrêtez de paniquer. Stop. Stop, sinon vous allez rembobiner sur le portugais.
Épouse, qu'un Nuisible tente de rapter par l'arrière - Socorro !
Docteur - Bah voilà, qu'est-ce que je disais. Ne vous débattez pas. N'essayez pas de les frapper. J'ai dit... Bah voilà, vous volez toute seule dans le vide, bien sûr. Retenez-vous de crier, ça les renforce. Madame. Madame. Bah voilà, ils vous ont assommée, évidemment, quand on m'écoute pas. Ah, ah ! Ils vous traînent par les pieds. Bon bah. J'espère qu'une fois dans les pommes vous aurez la jugeote de faire comme s'ils n'étaient pas là, ça vous évitera de passer à la casserole. J'aurais pu essayer de vous aider, d'aucuns pourraient arguer, mais ça n'aurait fait que leur conférer plus de poids, alors ça, est-ce que vraiment ça s'appelle aider ? Je vous le demande. Ne prenez pas la peine de répondre, vous êtes peut-être trop occupée à crever dans d'atroces souffrances. Putain de merde.
Il pleure un temps. Distribue les claques au Rêveur.
Docteur - Réveille-toi, réveille-toi, réveille-toi...
Le met debout, le secoue, hurle à sa gueule. Un Nuisible tapote toc toc à son épaule. Le Docteur blêmit, lâche le Rêveur qui se cogne en tombant, et, du même coup, se réveille enfin.
Docteur - Est-ce que quelqu'un m'a tapé sur l'épaule ? Non, personne ne m'a tapé sur l'épaule. Pourquoi ? Parce que je suis seul. Seul, c'est à dire que l'unique homme qui peut me taper sur l'épaule, c'est moi. Comme ceci. Voilà, là, c'était moi. Là aussi. Là aussi. Là non. Pour autant, je ne risque rien. Pourquoi ? Parce que je n'ai pas peur, je suis serein, tout à fait serein. Je vais m'asseoir en tailleur et continuer de décrire absolument tout ce que je fais pour me prouver que je suis en contrôle, je vais respirer profond, comme ça, bien, encore, bravo, oh, et je ne me tairai que lorsque je serai sûr sans aucun soupçon que ma survie n'est en rien compromise car après tout que pourrait-il arriver à un homme seul, si seul qu'il est seul à se tapoter l'épaule...
Les Nuisibles s'ameutent autour de lui, sifflent et grognent, commentent comme sa chair semble juteuse. Pour y pallier, le Docteur progressivement ferme les yeux, se bouche les oreilles, et quand il n'en peut plus remplace son monologue par un "la la la la la la" de gamin qui ne veut pas entendre. Il est traîné sans pitié sur la dune, hurlements.
Rêveur, crachant - J'ai avalé une motte de foin.
Les Nuisibles commencent à entonner leur mi-sol-mi. Ils encerclent le Rêveur. Chant.
Rêveur - ♪ Qui va là ?
Qui êtes-vous ?
Nuisibles - Rien qu'un songe
Un murmure
Un brin de nuit qui brûle
Et qui roul' sur les cernes
Rêveur - Vous n'êt' rien ?
Non, c'est faux
Vous êt' là devant moi
Juste ici, juste là
Nuisibles - Rien qu'un souffle
Un relent
Rêveur - Non des hommes, non des femmes
Qui chantent et palpent et parlent
Nuisibles - Alors nous existons ?
Rêveur - Et j'aimerais votre nom !
Nuisibles - Nous sommes les nuisibles et nous venons vous nuire
Nous sommes les nuisibles et nous vous nuirons
La menace invisible inaugurant le pire
Nous ferons frire vos chairs dans un chaudron
Les nuisibles balancent le rêveur de l'un à l'autre comme un ballon.
Attachez-le !
Démembrez-le !
Rêveur - Détachez-moi !
Remembrez-moi !
Nuisibles - Écorchez-le !
Émincez-le !
Rêveur - Rencorchez-moi !
M'émincez pas !
Nuisibles - À table ! ♪
Rêveur - Attendez !
Un temps. Le Rêveur relance la chanson, cringe une petite danse pour les divertir.
Nuisibles - ♪ Eh bien quoi ?
Que fais-tu ?
Rêveur - Êtes-vous sûrs
Que je sois
Le meilleur des p'tits plats
À vous mettre sous la dent ?
Nuisibles - Hein-hein-hein ?
Rêveur - C'est vrai ça !
Vous êtes cons.
Avez-vous
Dégusté
Un morceau de cette chair
Qu'on appelle le Nuisible ?
Il donne un croc de Nuisible à un autre Nuisible, qui fait aïe.
Nuisible - Merdachier, qu'est-ce que t'es bon gueuf.
- Fais voir, fais voir !
Rêveur - Alors, vous appréciez ?
Nuisibles - Et nous aimerions la recette.
Nous sommes les Nuisibles et nous venons nous nuire,
Nous sommes les Nuisibles et nous nous nuirons
La menace invisible inaugurant le pire,
Nous ferons frire nos chairs dans un chaudron.
Les Nuisibles s'entre-dévorent gaîment. Hémotechnie.
Attachons-nous !
Démembrons-nous !
Rêveur - Attachez-vous !
Démembrez-vous !
Nuisibles - Écorchons-nous !
Éminçons-nous !
Rêveur, s'éclipsant sur la pointe des pieds - C'est ça, amusez-vous,
Bande de p'tits fous...
Nuisibles - La la la la... ♪
La voix de la Fée résonne depuis le mannequin de Putain-Mère ; celle du Monstre dans le mannequin d'Héros-Brute. Une fois dispersés, les Nuisibles allument deux ou trois projecteurs qui passent des films muets du Rêveur enfant, du Rêveur adolescent, du Rêveur jeune adulte.
Héros-Brute - Désertez la place, Nuisibles !
Putain-Mère - L'heure a sonné de notre office invisible.
Héros-Brute - Le Rêveur est revenu claquer des dents contre sa mémoire.
Putain-Mère - Laissez-le blanchir ses nuits à la lueur des idées noires.
Héros-Brute - Qu'il macère dans la frustration, qu'il rouvre ses plaies, que coule son fiel !
Putain-Mère - Nous nous en délecterons jusqu'à laper l'écuelle.
Héros-Brute - Et lui donnerons en retour et la force...
Putain-Mère - Et la fougue.
Héros Brute - Qu'enfin sa main rempoigne et la fourche...
Putain-Mère - Et le foutre.
Les lampes fusent vers le fond. Pseudo-roulements de tambours. L'Êpouse paraît, robe d'été, cheveux tressés. Elle rayonne. Elle entre simultanément dans les trois films projetés en fond, pénètre la vie du Rêveur pendant l'enfance, l'adolescence, la jeune adultesse. Elle aspire la caméra.
Rêveur - Qu'est-ce que c'est comme carnaval encore ? Une arène ? Un combat singulier ? Avancez, bande de lâches ! Je vous attends !
L'Êpouse entonne sa bêrceuse. Le Rêveur se raidit.
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