9. Abîme
9. Abîme
Rêveur, Épouse
Épouse – Toujours à chauffer près du poêle, mon pouls ?
Rêveur, ému – Toujours à sautiller partout, ma puce ?
Épouse – Un peu moins depuis que ça fait une éternité que je te cherche.
Rêveur – Tu m'as trouvé.
Épouse – C'est bien. Et toi, tu as tes yeux de nouveau ?
Rêveur – Pas vraiment. Ils n'étaient plus à ma taille. C'est là, le fond du fond du fond du fond... ?
Épouse – ... du fond du fond du fond du rêve, oui. Touche : c'est le crâne du géant qui a bouché le siphon de ton âme par où s'évacuait le trop-plein.
Rêveur, touchant alternativement le crâne puis son visage – Il est lisse tout comme moi redimensionné immense.
Épouse – C'est le cadavre de ton premier orgueil, trébuché trop dur pour filer loin.
Rêveur – J'ai fait une occlusion de l'intestin mental.
Épouse – Tu as toujours été un grand constipé de la tête.
Rire doux. Temps.
Épouse – Je suis contente de te voir.
Rêveur – Moi aussi. Je suis content de rencontrer quelqu'un qui n'est pas moi. Tu n'es pas moi, dis ?
Épouse – Pas que je sache.
Rêveur – Alors qu'est-ce que tu fais dans mon rêve ?
Épouse – Tu as dû m'y laisser entrer.
Rêveur – Pour quoi faire ?
Épouse – Sans doute pour avoir quelque chose à aimer.
Rêveur – C'est donc qu'il y avait si peu de choses aimable en moi ?
Épouse – Tu y as mis beaucoup qui n'y ont pas leur place, je crois. Tous les garçons ne sont pas des mondes.
Rêveur – Je préférerais être un homme, en fin de compte.
Épouse – Tu renonces à grossir comme l'univers ?
Rêveur – Essayer m'a éclaté comme la grenouille face au boeuf. Et je ne suis pas bien plus grand qu'une grenouille, tandis que l'univers est beaucoup plus grand qu'un boeuf. Je serai en proportion de moi et le reste ira s'enfuyant là où il pourra bien loger.
Épouse – Et moi ?
Rêveur – Toi non plus tu n'as rien à faire ici. Tu as voulu nous androgyner en un hermaphrodite commun, et tu as buté contre l'ogre dans ma tête pour qui tu n'étais que miette. Retourne dans ta tête à toi ; c'est là ta place, je crois.
Épouse – Quand je serai retournée devenir moi, est-ce qu'on ne s'aimera plus ?
Rêveur – On verra bien. Il faudra se rencontrer. On ne se sait pas encore.
Épouse – La prochaine fois, on pourrait même s'appeler par nos prénoms.
Rêveur – Ce serait une bonne idée. Mais auparavant il faut te recracher dehors. Tu te souviens de la chambre froide de notre voyage de noces ?
Épouse – Celle où tu as fait l'amour à une carcasse de truie ?
Rêveur – Exact. Cherche-la. Elle, ou n'importe quel puits à glaçons, glacière ou congélateur. Glisse-toi dans le givre, il te hissera jusqu'hors du rêve, comme un sarcophage pour te rembarquer jusqu'au monde des vivants.
Épouse – Tu ne viens pas ?
Rêveur – Pas cette fois. Je dois lever la chape qui pèse sur la bonde, il suffira d'un petit mouvement de levier. La Crêvasse se videra et le typhon m'emportera. Je partirai avec l'eau du bain.
Épouse – Non, tu ne peux pas ! Tu ne peux pas tirer la chasse et t'expulser de toi-même ! Tu as besoin de toi !
Rêveur – Du calme. Nous sommes des millions de Rêveurs ici. Il s'en trouvera bien quelques uns pour survivre au déluge et rebâtir ma tête sur des bases saines. Et puis... qui sait ce qu'il reste à découvrir là-dessous ?
Épouse – Il n'y a peut-être plus rien.
Rêveur – Peut-être. Mais j'ai l'espoir d'un monde où la lumière grêle et tambourine comme les mains d'une foule. Va-t'en. Je compte jusqu'à dix. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf...
Le Rêveur prend une grande inspiration. L'Épouse s'est réfugiée dans le frigo.
Rêveur – J'arrive.
Il souffle la bougie.
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