6. Rave
6. Rave
Voleur, Rêveur, Nuisibles
Les nuisibles entonnent un mi-sol-mi destructuré, décadent comme un râle.
Voleur : Vous entendez, ce drôle me traite de scélérat !
Les nuisibles s'esclaffent.
Voleur : Je suis bien pire, nomme-moi plutôt raclure, enfoiré, innommable.
Les nuisibles insultent le voleur à voix basse : enculé, nigaud, etc.
Silhouette, beaucoup trop fort : Salope !
Un temps. Tous déconcertés.
Rêveur : Tu vas me rendre mes yeux.
Voleur : En échange de quoi ? Tes oreilles ? Ton cœur ? Quoi que tu marchandes tu partiras plus dépiécé que tu n'es venu.
Rêveur : Tu parles comme s'ils t'appartenaient – tu n'as aucun droit sur eux et je ne te dois rien en échange.
Voleur : Ah non ! Voler c'est voler, reprendre c'est voler. Tu parles comme si tu les possédais toujours, mais as-tu oublié qui les a laissés filer ? Qui a joui de travers jusqu'à s'imbriquer dans sa propre tête ? Tu crois qu'une terre perdue peut être reconquise, juste parce que tu t'y repointes poliment ? Tout ce qu'on abandonne part à la dérive, et finit noyé dans les tourbillons du large. Tu t'es voué au néant en embrassant la fée.
Rêveur : Je l'ai repoussée, et le monstre l'a massacrée.
Voleur : Oh, elle renaîtra au premier scrupule. Après tout, elle n'est rien de plus qu'une bonbonne de frustrations avec un sourire de femme.
Rêveur : Je ne me suis pas donné à elle !
Voleur : Quelle différence ? Ton épouse, tu l'as bien éplorée en descendant ici, non ?
Rêveur : Ce n'était pas moi ! C'étaient mes yeux !
Voleur : Tu as dû trahir les conseils du charpentier.
Rêveur : La faute aux yeux ! Je n'ai jamais rien voulu de tout cela.
Voleur : Tu as attendu d'avoir la fée entre les bras pour la jeter dans la gueule du monstre !
Rêveur : Jamais !
Voleur : Tu les as tous abandonnés, rêveur, tous !
Rêveur : Non, pas tous.
Voleur : Ah bon.
Rêveur : Pas mes yeux. Je les ai laissés tomber, un instant, oui, mais abandonnés, jamais. Et désormais que je me suis penché de tout mon long pour les retrouver, je les récupérerai, quoi qu'il en coûte.
Voleur : Si ce que tu avances est vrai, si réellement ces yeux t'appartiennent au point qu'il te semble les sentir toujours, alors oui, tu mérites de les reprendre. Dans ma main gauche, une paire. Dans ma droite, une autre. Laquelle est la tienne ?
Le voleur présente deux paires d'yeux bruns au rêveur.
Rêveur : Aucune des deux.
Le voleur lui rend la véritable paire, verte.
Voleur : Ils sont à toi, mais je te préviens : après leur séjour ici-bas, tu ne verras plus jamais de la même manière. Partout sur ton chemin tu sèmeras les monstres, et tu ne vivras plus que pour corrompre les yeux des autres. Tu seras ton ombre et le soleil te dissoudra.
Rêveur : On n'a que deux yeux.
Nuisibles : On n'a que deux yeux (en boucle, crescendo, entre les mi-sol-mi croissants).
Le rêveur de dos ôte les cotons, les jette, et approche lentement les billes des orifices. Il se retourne, son visage se contorsionne, ses yeux farfouillent par toute la scène, il se met à hurler, et les nuisibles autour l'imitent, gesticulent en augmentant la puissance des "on n'a que deux yeux" jusqu'à atteindre un ton inhumain. Enfin le rêveur retire ses yeux.
Rêveur : Non ! Non ! Je ne peux pas !
Ces faces atroces, ces cœurs difformes !
Le charpentier avait raison, le charpentier avait raison, je suis fait pour être aveugle !
Prenez-les, prenez-les tous !
Il offre les globes au public, recule pesamment en milieu de scène. Les nuisibles se sont rendormis, jusqu'au dernier.
Rêveur : C'est trop lourd que de voir et ne voir que la nuit.
Noir.
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