2. Sciure
2. Sciure
Charpentier, Rêveur
Lumière aveuglante de la pleine conscience. Le charpentier requine autour du rêveur. Couvert de sciure, en salopette de travail, des boisillons dans les poches, marteau et scie en main.
Charpentier, qui outille le rêveur comme s'il avait affaire à une machine de bois : Han, en voilà une carrure, tout pleinement cintré, mais un peu voussu sur la colonne, ça mériterait de se gruter un poil à l'arrière. Oscillateurs performants. Boulons bien gondés. Moellons enchâssables.
Rêveur, recevant une claque sur les fesses : Je ne vous permets pas !
Charpentier : Et ça parle en plus ! Morguienne, jamais vu un arêtier aussi bien déversé. Et c'est qu'il en tombe ici des bûches, tous les jours je fagote, rabote et revernis. Je l'amasse et l'incorpore à la grande charpente.
Rêveur, n'ayant aucune idée de la direction désignée : Où ?
Charpentier : Tu marches dessus, là, là, partout ! Voilà mon œuvre, la grande bâtisse et le champ des souches tombées du ciel.
Rêveur, qui ressent un magnétisme puissant envers le gouffre, situé au niveau du public : Et ça ?
Charpentier : N'en approche pas ! Ici, tout est clair, compréhensible, conscientisable et raisonné, mais si tu dégringoles dans ce gouffre, tu seras dévoré par les ténèbres. C'est moi qui les alimente : toutes les anomalies, toutes les parts pourries du bois qui m'arrive, je les y jette. Mais elles n'y sombrent pas, elles fermentent et gonflent, et parfois le gouffre reflue d'immondes créatures.
Silhouette, depuis l'extérieur de la salle : Ah ! puis rentre poursuivi par un nuisible qui se terre dans l'ombre.
Rêveur : Qu'est-ce que c'était que ça ?
Charpentier : Les plus bénignes de ces abominations, des nuisibles. Surtout, quoi qu'il arrive, ne les interpelle pas, elles se repaissent de tous ceux qui admettent leur existence. Tu trembles, mais tu ne connais pas le monstre... Je te souhaite de ne jamais croiser son chemin, car toutes les chimères du gouffre ne sont que de petits angelots à côté de lui.
Rêveur : Tu m'as convaincu, je n'irai pas là-dessous.
Charpentier : Merveilleux, laisse-moi réfléchir... Je vais t'intégrer à la charpente... Juste là.
Fausse sortie.
Rêveur : Attendez ! J'ai une requête.
Charpentier : Qu'est-ce que tu peux bien vouloir ? Tu as tout, tu es parfait juste ici.
Rêveur : C'est que j'ai perdu les yeux, ils ont roulé dans mes orbites, et je suis venu les chercher.
Charpentier : Tu es sûr d'avoir perdu les yeux ? Il me semble pourtant que tu es complet ainsi, que tu es fait pour ne pas voir, et que tu ferais bien de rester sur ta poutre.
Rêveur : Je dois partir. Je faisais l'amour avec ma femme, et dans un spasme, quelque chose s'est ouvert. J'ai joui et mes yeux se sont retournés à l'intérieur, et j'ai vu la femme qui me comblait, la femme qui me caresse à l'orée du cervelas. Une femme à peine femme, qui brille et fuse et flotte comme un fantasme.
Charpentier : La fée.
Rêveur : Oui, c'est elle que mes yeux sont partis chercher. Je dois l'atteindre.
Charpentier : Je te le déconseille ; elle vit en dessous du gouffre. Elle se nourrit des fonges qui poussent sur les écorces moussues, une mégère toute suppurante d'hallucinogènes. Moi-même j'ai été tenté de l'atteindre, de connaître ses délices : plusieurs fois j'ai délaissé mon chantier, trouvé des champignons, et au lieu de les lui jeter, je les ai consommés. J'étais sur le point de sauter moi-même dans le précipice, la charpente allait s'effondrer, mais j'ai tenu bon. Alors tiens bon, maintiens-toi, fixe, droit, juste.
Rêveur : On n'a que deux yeux.
Transition
Lumière surréelle, violacée. Le rêveur enlève son peignoir et révèle progressivement des vêtements déchirés et tachés de sang, illustration des ronces qui l'égratignent dans son entrée dans le gouffre. Les nuisibles qui ne parlent pas émettent un hululement venteux.
Nuisibles : Quoiqu'averti notre rêveur déjà s'engage
Dans la crevasse où les démons sortent des cages
Où le cœur cymbalant, les boyaux échauffés
Dans un vaste frisson invoqueront la fée
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top