CHAPITRE SEIZE ET DEMI
He came. He left. Nothing esle had changed. I had not changed. The world hadn't changed. Yet nothing would be the same.
André Aciman - Call me by your name
*
Créa faisait des promesses, des promesses qu'elle savait de pas pouvoir tenir. Elle avait juste de quoi assez pour payer le loyer de ce mois-ci. Mais sans bourse, malgré toutes les belles paroles et le sourire qu'elle s'efforçait de garder, elle savait qu'elle n'allait pas passer décembre dans cet appartement. Le propriétaire lui donnait une semaine pour déguerpir.
Grégoire comprit très vite la situation et suggéra qu'elle s'installe dans sa chambre étudiante, au moins le temps des examens. Puis, elle retournerait chez elle pour négocier un nouveau logement.
« Ca ferait un beau cadeau de Noël, qu'est ce que t'en penses ? »
Avait-elle seulement envie de rentrer chez elle ? Oui. Plus que tout. Mais la honte, la déception, les souvenirs l'en empêchaient. Elle savait qu'il n'y avait rien de plus douloureux que de retourner sur les lieux qui l'avaient vu grandir et de ne sans cesse constater que tout cela subsister seulement dans le passé. Les mêmes routes, les mêmes escaliers, les mêmes bâtiments, qui désormais appartenaient à la vie d'autres gens.
Elle prit peur lorsque même le visage de sa mère commençait à se défaire de son esprit. Une éternité semblait s'être déroulée depuis le mois de septembre. Malgré les nombreux appels téléphoniques, où Créa lui avait raconté sa rencontre avec Grégoire et Octave et mentit, aussi, sur son planning quotidien, elle se sentait tout à coup très seule. Seule dans son mensonge, seule dans ses bêtises.
Ses yeux s'embuèrent, alors qu'elle attrapa sa pile de jean et la fourra au fond d'une valise. Ses t-shirts se froissèrent, coincés entre les pulls et les chaussettes. Trois rangées de livre disparurent des étagères, soulevant une léger nuage de poussière, et atterrirent dans son sac à dos.
Elle défaisait un sac poubelle, lorsqu'elle sentit des vibrations dans sa poche arrière. Elle sécha ses larmes, respira un grand coup et décrocha.
« Judi ?
— Hey, dit-il maladroitement à l'autre bout du téléphone. Je voulais prendre de tes nouvelles.
— Tout va bien ici », répondit sans grande conviction la jeune fille.
Le garçon ne répliqua pas de suite, comme hésitant à parler. Créa en profita pour ouvrir la porte fenêtre du balcon et s'engouffrer dans l'air humide de cette fin de novembre.
« Tu en es sûre ? L'université, c'est pas trop dur ?
— Pas plus que le lycée », mentit-elle.
Il émit un long soupir comme las d'entendre des sottises. Une brise rafla les pieds nus de la jeune fille.
« Créa, ils t'ont retiré la bourse, finit-il par cracher sur un ton fatigué. Ta mère me l'a dit. »
Elle observa le ciel se parer d'un jaune chaud et d'un rose presque coquelicot. Elle n'était pas surprise. Les théories sur l'existence de l'âme humaine ne semblaient pas avoir retenu assez son attention, un autre l'avait fait. Sa mère était forcément au courant. Son dernier séjour dans les salles de cours remontait désormais au mois dernier.
Pour toute réponse, elle lâcha avec désinvolture :
« J'ai rencontré quelqu'un. »
Elle ne pouvait pas le voir, mais le jeune homme se tordait de douleur, dans sa chambre, où les dernières lueurs du soleil s'attardaient. Créa se doutait forcément du mal qu'elle lui infligeait, alors elle le laissa encaisser sans un mot.
« Dans un des bars où tu traînes tout le temps ? demanda-t-il, vaincu.
— Comment tu..., commença-t-elle en lâchant presque la cigarette qui pendait à ses lèvres.
— Les réseaux sociaux, Créa.
— Il m'a juste demandé du feu à la sortie des cours », avoua-t-elle dans un haussement d'épaules.
Judi ne reconnaissait plus la voix au bout du fil. Il était pourtant sûr que c'était la sienne. Elle s'exprimait différemment, comme s'il n'avait gardé en mémoire que la douce sonorité de son timbre et avait oublié la dureté de ces mots glaçants. Des sons mélodieux, placés un à un dans un ordre précis, qui crachaient une puérile réalité.
« J'aurais aimé qu'on se rencontre de la même manière. »
Les grésillements de la ligne téléphonique prirent le dessus sur le silence, qui s'installait désormais entre la jeune fille en pyjama et le jeune homme torse nu. Il soupira longuement, comme à bout de force. Les rôles s'inversaient. Ce n'était plus lui qui avait besoin d'aide, c'était Créa.
« Tu gères comment cette situation ?
— On va me virer de l'appartement, déclara-t-elle.
— Tu vas rentrer chez toi ? »
Un éclat d'espoir s'était échappé de ses paroles.
« Non, Judi. Je vais vivre avec mon copain, maintenant. »
Il se sentit soudainement abandonné.
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