CHAPITRE NEUF ET DEMI

Il n'y avait pas assez de place pour tous les quatre sur le canapé. Jean entraina Seb pour s'y installer, obligeant Judi et Créa à s'entasser sur un coussin au sol. D'un coup d'œil, le garçon sut que son geste n'était pas vain, il y avait bien une étincelle entre ces deux-là.

La jolie brune correspondait parfaitement à ce que Judi leur avait décrit. Son air félin, ses cheveux ondulés, ses grands yeux verts, Jean n'arrivait pas à croire qu'une telle créature puisse s'intéresser à Judi et ses amis.

Alors qu'elle leur servait à boire dans le silence, Milly refit surface. Elle s'aventura sur les genoux de Judi, le faisant éternuer plusieurs fois. Jean attrapa la petite bête pour la poser sur le canapé, sous le regard méfiant de Créa.

« Je la mets à l'aise, c'est tout », se défendit-il en levant deux mains innocentes.

Son expression fit rire Seb, qui s'empiffrait déjà de chips et biscuits apéritifs.

« Où sont tes parents ? » demanda Judi, en refusant d'un geste la boisson alcoolisée que Créa lui servait.

Elle attrapa son propre verre et le porta à ses lèvres, tout en s'asseyant à ses côtés.

« Ma mère est chez ma tante pour le week-end. Mon père vit à la grande ville. »

Judi acquiesça et Jean en profita pour allumer la télévision, comme chez lui.

« Allez, on va mettre un peu d'ambiance, non ? »

Il fallait avouer que l'atmosphère n'était pas à son fort. Tout le monde se regardait dans le blanc des yeux, sans vraiment savoir quoi dire. Mais Jean était surexcité, sûrement une conséquence de l'adrénaline provoquée par leur course folle pour échapper au chien de vieux Maurice.

Sur le téléviseur, un présentateur commentait les vagues de chaleur que subissait tout le pays. Des images des côtes où les plages se remplissaient de plus en plus de touristes, des montagnes où les stations accueillaient les randonneurs en quête de fraîcheur, et à la campagne, que tout le monde avait déserté.

« Personne ne veut venir chez nous, se plaint Seb en postillonnant quelques bouts de cacahuète.

— Ils ont torT, répliqua Jean. On a besoin de voir du monde nous aussi.

— J'ai l'impression de toujours croiser les mêmes têtes dans ce village d'attardés. »

Les garçons se donnaient spectacle devant les yeux rieurs de Créa, qui commençait à apprécier leur humour. Ils ne ressemblaient pas du tout à Judi, ils étaient plus normaux et à la fois plus extravagants. À eux deux, ils faisaient la paire.

Ils furent couper dans leur élan, lorsque la sonnette retentit.

« Ça doit être les pizzas », les informa Créa. 

La jeune fille aurait voulu faire l'effort de cuisiner, mais elle ne savait pas vraiment ce que les garçons aimer. Elle s'était alors souvenu que le petit restaurant italien sur la place du village livrait désormais à domicile.

Elle descendit au bas de l'immeuble, sur la route, là où le livreur attendait. Un casque sur la tête, à califourchon sur son deux roues, il tenait quatre boîtes en carton encore fumantes. Dans l'obscurité, elle s'approcha de lui.

« Crépuscule ?

—  Oui, c'est moi.

—  Je sais que c'est toi, ricana-t-il. Il n'y a qu'une seule personne ici pour porter ce nom. »

Derrière la vitre du casque, Créa reconnut un de ses anciens camarades de lycée.

« Je ne savais pas qu'on habitait si proche. Je suis dans la rue derrière, dit-il en désignant une direction approximative.

—  Je ne savais pas non plus, balbutia-t-elle.

— Au faite, je ne t'ai vu pas à la dernière fête de Lutine.

— Ouais. »

Embarrassée, elle abrégea rapidement la conversation en le remerciant avec un sourire, puis elle remonta chez elle.

Avant d'atteindre son palier, elle se rendit compte de la musique qui fusait à présent dans tout l'immeuble. En poussant la porte, elle découvrit Jean danser, Milly dans les bras. Seb à ses côtés essayait de tirer Judi de son coussin.

« On ne fait pas trop de bruit ? demanda Seb en la voyant revenir chargée de nourriture.

—  Si, mais la maison est vide. Les voisins d'en-dessous et d'au-dessus sont partis en vacances.

—  Les veinards ! » s'écria Jean en piquant une part de pizza.

Les murs fins faisaient écho à la voix du chanteur qui pulsait dans les tympans des jeunes gens. Les garçons savaient y faire, ils débridaient l'ambiance et faisaient éclater les rires. Même Judi semblait plus à l'aise. Milly tentait encore de s'approcher de lui, mais Jean la reprenait aussitôt pour se trémousser avec elle.

« Ils sont sympas », chuchota Créa à Judi, alors qu'elle lui tendait une part de quatre fromages.

Il acquiesça discrètement, s'effaçant doucement du trio dansant. Il n'aimait pas toute cette joie. Il n'avait pas le temps pour ça. L'été s'achèverait bientôt et il lui semblait avoir tellement de chose à apprendre encore. Des choses à découvrir sur Créa. Ça ne pouvait pas se finir, pas tout de suite.

« On étouffe ici, s'exclama-t-il enfin après un long moment à grignoter son repas.

—  Tu as bien dit qu'il n'y avait personne en bas ? » s'assura Seb, une idée en tête.

**

Le jardin du voisin donnait directement sur la rue. Une simple rambarde en ferraille le séparait de la route. Eclairés par le seul lampadaire du quartier encore fonctionnel, ils enjambèrent facilement la barrière et se retrouvèrent face à une baie vitrée sombre.

La pelouse humide leur chatouillait les chevilles. La sensation était plus agréable que la boue séchée, encore collée sur les poils des garçons.

Seb attrapa deux chaises de jardin qu'il brandit à Créa et Judi, puis en attrapa d'autres pour Jean et lui. Ils formèrent un cercle sous le ciel étoilé et sous le regard de Milly, penchée au balcon, qui essayait de comprendre ce qu'il se passait.

« On se roule un joint ? » suggéra Jean.

Seb sortit de sa poche une petite boîte de métal. On aurait dit un paquet de chewing-gum, pourtant il contenait tout ce dont ils avaient besoin. Feuilles, toncs et quelques grammes d'herbe dans un sachet en plastique.

« Je peux te parler ? »

Créa n'avait pas entendu Judi se lever et se pencher à son oreille.

« On va chercher un support pour rouler, s'exclama alors Jean en entraînant Seb dans la cage d'escalier.

— N'effrayez pas Milly, les prévient Créa. Je t'écoute. »

Judi s'était entraîné de nombreuses fois, face à son miroir, pour dire ces quelques mots. Il les connaissait par cœur, il avait travaillé son intonation et sa posture, comme au théâtre. Judi n'avait jamais fait de théâtre.

« Je suis inscrit au lycée.

— Tu es inscrit au lycée ? répéta-t-elle.

— Je ne suivrais plus les cours à la maison. »

Il fallut un moment à Créa pour se rappeler que le garçon était déscolarisé. Puis, elle sauta de joie, s'écrasant dans ses bras. Elle réalisait à peine à quel point cette nouvelle était importante pour Judi et elle ne soupçonnait pas le rôle qu'elle avait joué dans tout ça.

« Je suis tellement heureuse pour toi ! s'écria-t-elle.

— Nous aussi ! enchaînèrent les deux autres compères en déboulant sur eux pour se joindre au câlin.

— Merci », souffla Judi, empli d'une joie qui faisait frémir l'esquisse de ses lèvres.

Le contact de ses amis ne lui semblait pas lourd. Il appréciait étrangement être entouré d'eux, il se sentait devenir puissant et plein d'espoir.

« Tu me coacheras, n'est-ce pas ? demanda-t-il à Créa en s'écartant.

— Avec plaisir, lui sourit-elle. Je pourrais même t'accompagner les premiers jours, ma rentrée est mi-septembre. »

**

« Elles sont tellement hautes, les étoiles », murmura Créa, allongée dans l'herbe du jardin.

Jean et Seb les avait laissés pour préparer un plat de pâtes, prétextant une fringale aiguë. On entendait les rires et les bruits de casseroles provenant du palier de Créa.

« Pourtant, parfois, j'ai l'impression qu'en tendant le bras, continua-t-elle, joignant le geste à la parole, je peux les frôler, comme l'air qui frôle la pulpe de mes doigts.

— Les étoiles sont à des années lumières.

— Tu es trop pragmatique.

— Tu es trop déconnectée de la réalité ».

Milly les observait toujours, gardant tout de même un œil sur les deux rigolos qui jonglaient dans la cuisine.

« On est peut-être des opposés, suggéra Créa.

— On est peut-être uniques. »

Créa ne répondit plus. C'était un de ces moments où Judi la perdait. Il attrapa la cigarette délaissée sur une chaise et l'alluma. La jeune fille commençait à somnoler, bercée par le souffle du garçon qui recrachait la fumée blanchâtre. Cette dernière vint masquer la nuit, les baignant dans une atmosphère plus intime. Puis, le vent la balaya d'un souffle.

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