rupture et première cuite

– Où étais tu ? son sourire s'efface. C'est quoi cette trace sur ton cou ? Iro ? Sérieusement ?! Un suçon ! Tu te moques de moi ?! sa voix monte d'un octave. Réponds moi !

Je reste impassible, muet. Ses lèvres s'agitent. Son menton tremble légèrement. Bleue. Verte. Rouge. Bleue à nouveau. Sa peau change de couleur avec les spots lumineux, clignotant au rythme d'une musique dont les basses font trembler le sol collant de la boite de nuit. Le néon indiquant les toilettes se reflète dans ses yeux brillants de larmes. Pourtant, je ne dis rien, n'esquisse pas le moindre geste, pas la moindre expression. Je suis sourd à son flot de paroles haineuses. Elle ne comprend pas. Qu'est ce qu'il m'arrive ? Pourquoi suis je si odieux avec elle ? Tant de questions dont les réponses ont bien peu d'importance.

Ce soir est le soir. Le soir où je sortirai à jamais de la vie de Lynn. Elle ne me laissera que la trace d'une gifle, bien plus éphémère que la marque violette sous ma mâchoire, souvenir d'une des serveuses bien peu farouche. Tout est prémédité. Devant mon absence de réaction, sa main balaie l'air, frappant avec violence ma joue gauche. Je ne bronche pas. Lynn me jette un dernier regard plein de haine et tourne les talons.

Ça y est. C'est fini. Si simplement. La fin de ma courte histoire en sa compagnie. Je devais y mettre un terme. Avant elle. De la façon la plus lâche possible. De sorte à ce qu'elle ne revienne jamais vers moi. Me débarrasser d'elle. Pour toujours. C'est chose faite à présent.

Je jette un coup d'œil à mon téléphone. Il est quatre heures onze. Phyll ne devrait plus tarder.

Je relève un peu le col de mon sweat et range mes mains dans mes poches. Comme prévu, Phyll arrive, accompagné d'un autre jeune. Le plus petit fait tâche dans ce décor trop sale pour lui. Sérieusement. Qui porte une chemise blanche en boite de nuit ?

Lorsque j'échange deux sachets contre quelques billets de Phyll, ses yeux s'écarquillent. De toute évidence, c'est la toute première fois de sa vie qu'il voit de l'herbe ailleurs que sur une pelouse soigneusement entretenue par les jardiniers de sa famille de ministres. S'en est presque amusant. Je glisse alors un de ces paquets dans la main du gamin de riche. Balbutiante, la pauvre petite chose extirpe péniblement un billet de sa poche dont je m'empare avant de me diriger vers la sortie.

Une fois dehors, je respire. Sortant de quoi fumer, je songe. Deux affaires ont été réglées. Simplement. Comme prévu. Mais alors que je porte le joint à mes lèvres, on m'interpelle. Je me retourne, inspirant une première bouffée. Ce n'est que le gamin. Je souffle la douce fumée. Mon esprit s'allège un peu plus.

Le petit me rejoint péniblement. Puis s'arrête un instant, la bouche légèrement entrouverte, comme un stupide poisson hésitant. J'inspire une nouvelle fois et articule mon prénom.

– Iro.

Son expression m'indique clairement que ce mot n'a aucun sens pour lui. Je souffle, crachant un nuage blanc. Pourquoi mon simple nom stimule-t-il toujours une aussi grande incompréhension ? A nouveau je me tends, refroidi par ce simple échange silencieux.

– Je m'appelle Iro. Tu veux quoi maintenant ?

– Ah, d'accord ! Je voulais te rendre ça...

Fébrilement, il sort de son t-shirt le paquet de weed. Un rictus étire la commissure gauche de mes lèvres. Surprenant. Notez l'ironie dans ce mot. Je m'en empare et lui tourne le dos, fourrant mes mains, et le paquet, dans les poches de mon sweat. Mais très vite, le gosse m'interpelle à nouveau.

– Iro ? Je... Je peux te suivre ? Mes amis m'ont lâchés et je ne sais plus vraiment où aller...

Je soupire. Il me fait pitié. C'est sûrement la première cuite de ce fils de riche.

– Si tu veux, finis-je par lâcher.

Un grand sourire illumine son visage alors qu'il se met à mon niveau.

– Au fait, moi c'est Hélios !

Son enthousiasme me rendrait presque malade. Quel être normalement constitué est-il aussi heureux après s'être fait abandonné par ses amis ? Je reste silencieux et laisse le joint se consumer entre mes lèvres sur le chemin nous séparant de mon studio.

Les deux kilomètres et les six étages ont l'air de l'avoir épuisé. Il titube, peine presque à tenir debout. Je ne lui prête pas main forte pour autant. J'entre dans le studio et entend un bruit étrange. Je me retourne vers le dénommé Hélios. Cet enfoiré vient de gerber sur le palier !

– T'es sérieux ?! Nettoie moi cette merde !

Je lui hurle dessus et lui met presque le nez dans sa galette. Ok je devrais peut être pas. Être plus compréhensif avec cette pauvre petite lavette abandonné par ses amis bourgeois. Mais bon je vis dans un trente mètres carrés, je peux pas me permettre d'embaumer l'ensemble d'un parfum de dégueulis. Décidément, les bourges n'ont aucun sens de l'hospitalité.

Je me réfugie sur ma minuscule terrasse pendant que le gamin nettoie l'entrée. L'espace est littéralement envahi par mes plantes, heureusement invisibles depuis la rue. L'odeur est masqué par celle du tabac de mon voisin du dessous qui passe son temps à cracher sa fumée à la fenêtre. Le peu de place restant est occupé par une chaise rouillée dans laquelle je m'installe. J'étends mes jambes entre deux pots et récupère un cendrier coincé entre deux barreaux de la rambarde. Je pose ce dernier sur mes genoux et me roule mon deuxième pétard de la soirée. Je laisse ma tête basculer en arrière, écartant quelques mèches trop longues de devant mon visage. Le ciel est couvert ce soir. Quelques étoiles percent encore entre deux nuages sombres mais bientôt, l'automne emportera avec lui les dernières lumières nocturnes.

Hélios s'est installé sur mon canapé, qui me sert, accessoirement, de lit. Tant pis pour moi. Je n'ai pas le cœur à le faire dormir sur le sol et m'installe donc à la table-plan-de-travail-bureau. Mes bras croisés sous ma tête, je me repose sans dormir quelques heures. La lumière atteint le séjour vers sept heures dix. Le gamin est toujours là, affalé sur mon canapé. Je le réveille sans douceur, d'une claque à l'arrière de la tête. Après un instant d'émergement, il m'adresse un simple regard interrogateur. Le gosse m'a l'air perdu, il ne se souvient peut être même plus de sa soirée. Peu m'importe. Ma gentillesse est restreinte. En particulier pour ceux qui dégueulent sur mon palier.

– Allez c'est l'heure de partir, casse toi de mon canapé.

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