Chapitre 6 - 新世界
Wei Ying remonta sur les tentacules pour quitter la pièce. Il commençait à apprivoiser ses mouvements de pieuvre et s'enroulait de lui-même autour des appendices pour garder l'équilibre. Depuis sa sieste, il avait définitivement perdu toute notion du temps. Aussitôt sorti de leur refuge, les quelques degrés en moins se firent sentir.
— Tu as froid ?
— Un peu. Je suis légèrement... nu, sourit-il en frissonnant au contact du sol. Mais je vais m'y habituer.
Wangji fronça les sourcils. Si son humain restait ainsi à ses côtés, il faiblirait d'ici peu.
Il l'entraîna vers d'autres allées tout aussi luxuriantes que le couloir principal jusqu'à faire face à un précipice.
Devant eux s'étalait une salle gigantesque au fond de laquelle scintillait un immense lac sous-terrain au turquoise parfait. Des plafonds de roche gris, aux courbes lissées par le sel, germaient des bouquets de longs cristaux d'améthyste. L'eau calme mirait la danse hypnotique de ses ondes sur leurs figures polies.
Sur les bouts de plages au sable d'or qui cerclaient le lac se prélassaient nombre d'êtres vivants, sortis tout droit des rêves des aventuriers les plus hardis.
— Lan Zhan, que sont ces animaux ?
— Ce ne sont pas des animaux, du moins plus depuis longtemps. Ici, beaucoup sont des hybrides. Mais nous avons encore de nombreuses créatures antiques. Certaines races géantes datent des premières civilisations humaines et se cachent depuis toujours dans les profondeurs abyssales.
Étreint par les tentacules, Wei Ying se laissa porter le long de la paroi, jusqu'au lac, sans jamais quitter du regard les sirènes, chimères humanoïdes et autres êtres de légendes aux faciès plus ou moins éloignés des contes.
Quand son gardien s'enfonça dans l'eau et l'immergea en partie avec lui, Wei Ying frissonna violemment. Le froid de ce monde serait plus difficile que prévu à supporter. Lorsqu'il comprit qu'ils se dirigeaient vers l'un des regroupements, étendu sur le sable, l'angoisse commença à monter.
— L-Lan Zhan, je ne suis pas sûr... Pourquoi veux-tu me montrer ?
— Tu vas vivre avec moi à partir d'aujourd'hui. Je dois te présenter à eux.
— Pourquoi ?
— Parce que les terrestres...
Il marqua une pause, visiblement contrarié par une ancienne histoire commune.
— Les humains ne sont plus les bienvenus depuis longtemps. Les rares qui se lient encore à notre monde doivent être acceptés.
— Mais... mais je suis nu !
Wangji émit un rire paisible.
— Wei Ying, nous le sommes tous, ici. Et nous ne vivons pas le sexe comme vous. Ta nudité n'a aucun effet sur nous. Enfin...
Son œil lubrique glissa sur son corps alléchant. Il se retint de diriger ses bras vers son entrecuisse.
— Sauf moi.
— Ai ya...
Le nouveau venu attira tous les regards dès qu'il fut déposé sur la plage. Épié par tous d'une manière insistante – et effrayante, pour certains bestiaux à la carrure impressionnante – il recula et se réfugia entre les tentacules de son compagnon.
Quelques mots dans un langage étranger furent échangés entre lui et ses semblables. Les sirènes et tritons, suivis de quelques humanoïdes aux corps d'hippocampes, l'observaient depuis leurs roches, plus curieux qu'apeurés. Ceux-là ne semblaient pas avoir connu les conflits d'autrefois. Trois jeunes filles aux longues chevelures diaphanes lui sourirent ; il leur rendit la même chaleur et se détourna, les parties cachées dans sa paume.
Que lui avait-il pris de s'imaginer vivre dans un tel monde ? Wangji baissa la tête vers lui à cet instant, lui rappelant à travers son doux regard la raison merveilleuse de sa décision. Il sourit, le cœur ardent.
Au vu de la manière dont son ami occupait toute l'attention, il remplissait, de toute évidence, une fonction importante dans le groupe. Cet univers subaquatique l'inquiétait tout autant qu'il le fascinait et l'intriguait.
— Eh, comment t'appelles-tu ? lança un triton échoué, la queue frétillant gaiement dans l'eau.
— Je m'appelle Wei Ying.
— Wei Ying, reprit un homme-pieuvre en approche, similaire à Wangji. Enchanté, je suis Mingjue.
L'inconnu à l'interminable crinière pourpre et à la musculature avantageuse allongea ses tentacules cuivrés pour les enrouler autour de sa taille et l'attira à lui afin de l'examiner de plus près. Saisi comme un objet, Wei Ying camoufla sa gêne et se laissa porter. Si ce monde devait accepter sa présence indésirable, il avait pour mission de se montrer courtois et reconnaissant. Son sort dépendait de son habileté à s'intégrer auprès d'eux, il ne devait pas faire d'erreur – Wangji l'aiderait en cela.
Mingjue le dévisagea longuement.
— Un bien jeune humain que voilà, remarqua-t-il, quel âge d'homme as-tu ?
— Je viens de faire dix-neuf ans.
La créature fut aussi surprise qu'amusée.
— Si petit ! Ha Ha !
Un rictus piqua la commissure de sa lèvre.
— Un terrestre inoffensif, donc ? marmonna-il. Sais-tu qu'un humain plus jeune que toi a déjà failli mettre notre monde en péril ? Sais-tu aussi que le dernier arrivant, il y a quatre-vingts ans, a déclenché un conflit entre nous et nous a tous mis en grand danger ?
Wei Ying garda un silence pénible. Bien qu'ignorant, il n'était guère surpris. De sa courte existence il n'avait retenu des hommes que leur cruauté. Il se cramponna au tentacule qui le soutenait par la taille et baissa les yeux. Étant le représentant de son espèce en ces lieux, il était normal que sa présence éveillât traumatismes et prudences.
— Toi, qu'as-tu de bon à offrir à notre monde, garçon ? siffla Mingjue, incrédule.
« Ne lui fais pas peur » s'exclama un hippocampe humanoïde, dans leur dialecte.
— Peur ? pouffa la pieuvre. As-tu peur de moi, jeune Wei Ying ?
Le concerné jeta une œillade furtive en arrière, à la recherche de son compagnon. Bien sûr, cette créature lui faisait peur.
— Wangji a beaucoup souffert par le passé à cause des terrestres, poursuivit l'hybride sur un ton amer. Je te conseille de ne pas le trahir, ou...
— Ce n'est pas mon intention, je vous le jure.
Mingjue lut la sincérité sur son visage ; il se radoucit. Son but n'était pas de l'effrayer outre mesure. Lorsque son regard fila le long de son corps mince pour s'attarder sur ses zones intimes, Wei Ying sentit la chaleur lui monter aux joues. L'homme-pieuvre eut un sourire taquin.
— Sais-tu que nos tentacules sont le fantasme de nombre d'humains ?
Loin de vouloir confirmer ses dires par la transparence de ses réactions, Wei Ying tourna honteusement la tête. Un appendice s'enroula autour de sa cuisse.
— Cela fait une éternité que nous n'avons pas eu de jeunes mâles de ton espèce...
— Mingjue !
Wangji récupéra son compagnon entre ses bras d'homme, l'œil accusateur.
— Pas lui, Nie Mingjue.
— Ha ! Nous faisions juste connaissance, soupira l'autre. Et puis, s'il venait à intégrer notre communauté, il devrait bien...
— Il vient d'arriver, il n'est pas prêt à... en découvrir plus. Et de toute manière, il est à moi.
Une sirène interloquée s'inséra dans la conversation, poursuivant dans leur dialecte.
— À toi ? Que veux-tu dire ? N'allez-vous pas...
— Non.
Wei Ying se sentit soudain perdu au milieu de leur échange. Découvrir plus ? Que suggérait Mingjue lorsqu'il évoquait son intégration ? De nouveaux fantasmes se chargèrent de répondre à ses questions de manière plus houleuse ; des pensées qu'il n'eût jamais su confesser.
— Petit humain, poursuivit Mingjue, plus léger, dans notre communauté, nous partageons souvent nos partenaires sexuels, il est rare que n'en ayons pas plusieurs. La monogamie n'est pas courante, chez nous. Les trouples le sont beaucoup plus. Mais si vous vous engagez, Wangji et toi, dans une relation unique, elle sera respectée.
Il retrouva son sourire taquin en passant près du couple et murmura à Wei Ying, sous les gloussements de la sirène :
— Mais si un jour tu es d'accord pour une expérience à plusieurs...
— Nie Mingjue ! tempêta Wangji.
L'accusé s'échappa, la malice aux coins des lèvres. Wei Ying grimaça puis se détendit, assis contre le torse chaud de son homme.
— Ces gens... je veux dire, ces êtres...
— Ils ont beaucoup souffert par la faute des terrestres. Nous avons beaucoup souffert...
Wei Ying découvrit une lointaine lueur chagrine dans son regard bas. Son cœur se serra.
— Mais ils ne sont pas méchants, continua Wangji. Nos coutumes sont juste différentes des vôtres.
Rien n'inquiétait plus le jeune homme que la cruauté qu'il avait vécue à la surface. Cette communauté, à son image, avait été abusée par les mêmes responsables ; leur défiance était plus que justifiée.
— N'oublie pas, Lan Wangji, s'écria Mingjue en s'immergeant dans l'eau, avant qu'il ne soit trop tard...
— Que veut-il dire ?
Wangji fixa son protégé d'un air grave. Il le déposa à terre et reprit sa forme humaine pour l'attirer dans un recoin rocheux, à l'écart de l'agitation.
— Mon bǎo bèi*, nous sommes si différents, toi et moi, tu n'es encore qu'un jeune garçon... Mais le jour viendra où ton corps vieillira et où la maladie t'emportera. Et je... je ne pourrai pas supporter de te perdre.
— Tu... tu veux déjà te séparer de moi ? souffla Wei Ying, la gorge nouée.
Avec une infinie tendresse, Wangji cueillit son visage entre ses mains.
— Jamais. Je t'ai fait une promesse.
Sa voix revêtit ses plus profonds velours.
— Wei Ying, veux-tu faire partie de ce monde... pour les prochains siècles à venir ?
*bǎo bèi : bébé ou chéri/trésor
N/A : aimez-vous l'univers de Lan Zhan ? :)
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