Chapitre 3 - 怵惧
Le jour peignait ses premières aurores sur l'horizon sombre de la grande bleue lorsque les deux garçons rejoignaient la plage. À l'instar de son gardien, Wei Ying ôta ses chaussures pour marcher pieds nus sur le sable frais et croustillant. Il frissonna en goûtant l'eau glacée du bout des orteils.
— J'ai froid, grimaça-t-il. Ne pouvons-nous pas rentrer chez toi ? Pourquoi aller à la mer à cette heure ?
Wangji retira le haut de son vêtement et s'enfonça dans l'eau jusqu'à la taille sans frémir un instant sous le regard ahuri de son ami.
— N'es-tu pas gelé ?!
Son sauveur lui rendit un sourire mystérieux, égal à sa sérénité.
— Chez moi, ce n'est pas là où tu crois.
— Pardon ?
— Me fais-tu confiance, à présent ? ajouta-t-il en tendant une main vers lui.
— Je... oui, bien sûr.
— Alors, rejoins-moi.
— Mais elle est glacée !
— Elle ne le sera pas longtemps, ne t'inquiète pas.
Dérouté par son attitude, Wei Ying hésita longuement avant de faire ses premiers pas dans l'eau sombre, grelottant de tous ses membres au fil de son avancée. Son protecteur était-il en réalité un fou ? Prévoyait-il finalement de le noyer de ses propres mains pour une sinistre raison ? Son passif tortueux lui soufflait les pires idées qui soient.
— Laisse ton manteau sur le sable.
— Mais je vais...
— Wei Wuxian.
Surpris par son soudain sérieux, le nommé s'arrêta à un mètre de lui, immergé jusqu'aux cuisses.
— Crois-tu qu'après t'avoir délivré je voudrais te faire du mal ?
Wei Ying se pinça les lèvres et détourna le regard ; la méfiance était tenace. Pourtant, il voulait avoir foi en cet homme, car il était le seul auprès duquel il se sentait en sécurité. Se fourvoyait-il ? Peut-être était-il tombé entre les griffes d'un déséquilibré ? Quelle que soit la vérité, il désirait croire en son sauveur, quitte à lui livrer son âme.
— Wei Ying, reprit doucement ce dernier, avec moi, tu ne seras pas enchaîné. Tu seras toujours libre de partir quand tu le souhaites. Je voudrais juste prendre soin de toi un moment, t'offrir ce dont on t'a privé.
Son bras s'ouvrit davantage.
— Laisse-moi te guider...
Hésitant, Wei Ying finit par saisir sa main et entremêla ses doigts aux siens avec force. La peur était là, mais l'espoir d'un avenir meilleur se nichait au plus profond de son être. Il lutta contre le froid et se laissa mener dans l'eau, jusqu'à perdre pied au niveau d'une pente abrupte.
— L-Lan Zhan, je ne sais pas nager !
Wangji le rattrapa dans ses bras avant qu'il ne boive la tasse et le serra contre lui. Le cœur de Wei Ying battait à tout rompre. Il s'agrippa à son cou comme à une bouée de sauvetage et enroula ses jambes autour de sa taille.
— Lan Zhan... !
— Tout va bien. Je suis la dernière personne avec qui tu pourrais te noyer.
Cette idée aurait pu interpeller l'esprit du jeune homme s'il n'avait pas été à ce point affolé. Toutefois, entre ses bras puissants et contre son torse irradié d'une chaleur anormale, il retrouvait peu à peu son calme. Voyant qu'ils dérivaient déjà au large, il planta ses ongles entre ses omoplates et se raidit.
— Lan Zhan, tu me fais peur...
— Au lieu de me lacérer le dos, regarde-moi.
Wei Ying plongea dans l'ambre de ses yeux de biche. Sa tendresse bienveillante l'enveloppa dans son coton. Il se sentit aussitôt apaisé, bordé par la soie d'une incroyable douceur. Il aurait pu jurer qu'une aura invisible se diffusait autour d'eux tant la froideur ambiante se dissipait. Au milieu de ces dangereuses profondeurs, son équilibre mental chavirait, partagé entre une grande oppression et une confiance aveugle, passionnée. Absurde. Ses lèvres entrouvertes, il les désirait ; elles semblaient crier son nom. Son visage était si proche du sien qu'il percevait le musc naturel de sa peau salée dans ses moindres nuances. Comment diable cet homme pouvait-il l'envoûter à ce point ?
— Lan Zhan...
— Je voudrais t'emmener quelque part, loin du mal. Loin de tout. Mais pour ça, je dois faire une chose qui requiert ton accord.
— Mon accord ? Pour... pour quoi faire ?
— Wei Ying, je dois t'embrasser.
Le concerné vira au cramoisi. Il se crispa de plus belle.
— Si tu m'y autorises, bien sûr. Sinon, nous repartirons sur la rive et...
La déception devint palpable dans la voix de Wangji.
— Je rentrerai, sans toi.
— Sans... sans moi ?
Cette pensée angoissa Wei Ying bien plus que le fait de se trouver dans cette obscurité océanique. Il serait seul dans un pays dont il ne connaissait presque rien, délaissé une nouvelle fois et livré à lui-même.
— Tu avais dit que tu prendrais soin de moi, s'affola-t-il. Je croyais que tu ne m'abandonnerais pas !
Lan Zhan faufila une main réconfortante dans sa nuque.
— Et c'est toujours ce que je veux. Mais pour ça, je dois te montrer des choses que je ne peux t'expliquer par les mots.
— Montre-les-moi, mais ne me quitte pas !
— Alors, autorise-moi.
À défaut d'accord verbal, Wei Ying fondit sur ses lèvres. Ce baiser-là dura, car il n'était pas à fuir. La sensation était d'une tendresse extrême. D'une perfection bouleversante, tant par la délicatesse de leurs bouches caressées que par la saveur de leurs souffles chauds confondus. Une légèreté moelleuse à laquelle il n'avait encore jamais goûté.
Ses membres se décontractaient lentement. Il ferma les yeux et appuya un peu plus ses lèvres contre les siennes, conquis par les vagues de leurs langues effleurées.
Une fine pression l'entoura, étrange mais des moins dérangeantes. La température était soudain la même tout autour de lui et la bise glacée du vent filant à la surface de la mer avait disparu ; le froid n'était plus. Seule la danse de l'eau sur son ventre et les volutes de leur interminable baiser le berçait tandis que de lentes ondées s'engouffraient dans ses cheveux. Cheveux qui effleuraient à présent ses joues. Comme s'il était...
Il rouvrit les yeux. Et se pétrifia. Leurs deux corps avaient coulé de plusieurs mètres sans qu'il ne s'en aperçoive et continuaient à s'enfoncer vers les ténèbres effrayantes des flots. Wei Ying se raidit, en panique, et s'écarta de son protecteur, relâchant au passage quelques précieuses bouffées d'oxygène à travers un filet de bulles.
« Non ! »
La voix de Lan Zhan résonna en vibration, sourde mais audible. Il le captura à nouveau entre ses bras et l'embrassa à pleine bouche. Le contact rétabli, le cœur de Wei Ying s'apaisa, nourri par la vie. Ses yeux s'agrandirent. Quel prodige était-ce donc là ? Ils sombraient ensemble vers la mort, mais il lui semblait être en mesure de respirer sous l'eau... grâce à son souffle ?!
Lorsque, plus calme, il ajusta sa vision floutée, il eut le choc ultime : la chevelure de Lan Zhan s'éclaircissait peu à peu vers un blanc de neige, sa peau luisait par endroits et... diverses protubérances bleutées et translucides grouillaient sous son corps. Son cœur rata un battement. Il chercha à nouveau à s'échapper, mais la crainte de suffoquer le maintint contre sa bouche.
Dans son regard écarquillé, Wangji devinait les larmes qui se noyaient. Il caressa son visage, rassurant, et susurra dans leur souffle :
— N'aie pas peur... tout va bien...
Captif de son air, Wei Ying s'agrippa davantage à son cou, tremblant, et resserra ses jambes autour de sa taille. Une chose avait cependant changé : contre ses cuisses, une peau étrange se mouvait. Lorsqu'il perçut l'immense tentacule velouté qui venait de chatouiller son pied, il manqua d'en perdre une nouvelle fois son oxygène.
Lan Zhan glissa une main dans ses cheveux pour le tranquilliser, le temps de fouler un sol vaporeux. Un gigantesque nuage de sable aveuglant poussa Wei Ying à fermer les yeux. Après une série de mouvements brusques et inquiétants de la part de son guide, il se risqua à les rouvrir.
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