Chapitre 2 - 自由

     Le domaine s'étendait là, non loin d'une plage au sable labouré par la houle. Wei Ying s'arrêta face au portail et leva le menton pour lire le nom du maître des lieux, inscrit sur le bois, au-dessus de l'entrée. « Mo ». Il recula d'un pas. Si ce marin ne lui avait pas offert de faux espoirs, il aurait foulé ce sol comme à son habitude, sans craindre les coups. Mais ce soir était différent, l'appréhension naissait au creux de son estomac.

    Wangji le vit grelotter pour la première fois – les températures n'étaient pas en cause. Il posa une main sur son épaule puis glissa son bras dans son dos en guise de soutien. Wei Ying frémit de plus belle, presque agressé par cette douceur singulière. Quelle était cette sensation étrangère ?

— Je te promets que tout ira bien, murmura Lan Zhan.

— Ne fais pas de serments que tu n'es pas sûr de pouvoir tenir...

    Un long soupir, puis Wei Ying poussa les lourds battants, suivi à la trace par son sauveur.

    À la porte de la grande demeure, deux gardes menacèrent l'inconnu de leurs lames.

— Personne n'est autorisé à part Wei Wuxian ! beugla l'un des sous-fifres.

    Le mince espoir de s'en sortir s'envola. Wei Ying en perdit son début de contenance. Il baissa la tête et fit un pas en avant pour entrer, mais Lan Zhan le retint d'une main ferme autour du bras.

— Tu ne vas nulle part sans moi.

— Mais...

— Appelez votre maître. Nous l'attendons ici.

    Interpellé par leurs éclats de voix, le principal concerné ouvrit la porte en la fracassant contre le mur. Sa tignasse grisâtre ébouriffée, ses lourdes poches aux yeux et son visage enrayé par l'acariâtreté le gratifiaient de dix bonnes années supplémentaires. En l'imaginant auprès d'un garçon encore innocent, Wangji sentit sa haine et son dégoût grandir.

    Maître Mo ne put émettre un son en trouvant son jeune époux accompagné d'un charmant trentenaire bien bâti. Après la stupeur, l'horreur, puis la fureur.

— Wei Wuxian ! Rentre immédiatement !

    Depuis longtemps soumis à ses injonctions, Wei Ying réagit d'instinct et obéit. Lan Zhan le stoppa net et le tira en arrière. La rage au ventre, le marin fit un pas devant lui pour confronter le monstre, bravant les dagues dangereuses pointées en sa direction.

    Le maître eut un tic nerveux, irrité.

— Toi, comment oses-tu le toucher ?!

— Je vous retourne la question ! Vous êtes celui qui avez arraché un enfant de quatorze ans pour vous unir à lui !

— Ha ! Et tu me réponds, en plus ?! J'ai payé ses parents pour l'acquérir, ils n'avaient plus rien ! Je les ai sauvés, ainsi que son frère et sœur !

— En l'enlevant pour le maltraiter et abuser de lui ?! Je ne sais pas ce qui me retient de...

— Ce genre de relation est monnaie courante, dans nos provinces. Petit salopiaud, qui es-tu pour venir donner des leçons à quelqu'un de mon âge ?!

— Je suis celui qui va rompre ce mariage odieux.

    Le maître manqua de s'étrangler.

— Gardes ! Débarrassez-vous de ce vaurien ! Et toi, gronda-t-il à son époux, rentre tout de suite à la maison...

— Wei Wuxian s'exécuta, l'oreille basse. Lan Zhan le maintint un instant pour lui murmurer :

— Va chercher ce que tu veux.

— Ce qu'il veut ?! Qu'est-ce que ça signifie ?!

    Le jeune homme leva les yeux vers son sauveur. S'il suivait son mari, il ne ressortirait plus jamais de cet endroit ; Wangji se ferait assassiner à l'instant même où il franchirait le seuil de la demeure.

    Alors, il se perdit une dernière fois dans l'aquarelle de son regard d'or, heureux d'avoir rencontré l'être qui eût pu lui offrir plus qu'un espoir. Il avait entraperçu son rayon de soleil, avant de sombrer dans le néant.

    La peine en travers de la gorge, il tourna la tête et se dirigea à l'intérieur, frôlant au passage l'épaule de son monstre. Celui-ci renvoya un rictus meurtrier à son insolent rival. Personne n'aspirait à le voler sans en payer le prix. Il somma à ses chiens de gardes :

— Tuez-le.


    Au centre de la pièce de vie, Wei Ying retrouva sa couchette, digne d'un tapis pour animal de compagnie, et s'agenouilla sur le matelas pour récupérer son unique objet précieux. Il retira de sous son oreiller un cadre contenant une photo sépia où se dessinaient ses parents, son frère Jiang Cheng et sa grande sœur Yanli, et la pressa contre sa poitrine, entre ses bras.

— Wei Wuxian...

    Sa voix.

— J'attends que tu t'expliques.

    Wei Ying déglutit. Il devait se convaincre que ce moment ne serait que passager. Avec un peu de chance, il succomberait rapidement à sa brutalité.

    Maître Mo s'accroupit derrière lui et susurra dans sa nuque.

— Tu voulais t'enfuir avec ce garçon, n'est-ce pas ?

    L'accusé resta muet. Le silence se chargerait des aveux.

— Tu es revenu chercher cette stupide photo en espérant pouvoir repartir avec lui ? poursuivit le quadra.

    Il bouscula son jeune époux et lui arracha son seul souvenir des mains. Wei Ying se jeta sur lui en hurlant pour récupérer son image.

— Rendez-la moi !

— Je suis ton mari ! Je suis celui à qui tu dois fidélité !

    Sous son nez, le monstre déchira le précieux cliché en mille morceaux. Wei Ying en perdit son souffle, les yeux exorbités de larmes.

— À partir de maintenant, tu ne sortiras plus. Pas même dans les jardins, déclara Mo en se relevant. Mais avant ça, je vais devoir corriger ce désir malsain de liberté.

    Il l'abandonna au sol, larmoyant, et s'empara de la sentence, posée sur la table à manger : un solide lacet de cuir dont l'épaisseur élimée trahissait de trop longues années de martyr. Supérieur, il l'enserra entre ses doigts et domina son époux avec une placidité effrayante.

— Tu ne me quitteras jamais, Wei Wuxian. Jamais.

    La porte se fracassa contre le mur. Wangji franchissait le seuil, bien vivant. Derrière lui gisaient les corps des deux gardes, inertes.

    Maître Mo entra dans une fureur folle.

— Comment ?! Sors de chez moi !

    En découvrant Wei Ying effondré sur les miettes de son passé, la raison de ses cris fut évidente. Il posa sur le coupable un œil noir et contempla son poing levé, crispé sur la lanière disciplinaire. Son sang ne fit qu'un tour. Jamais il n'avait brisé un serment, aujourd'hui ne ferait pas exception.

— Toi, je t'ai dit de...

    La main de Wangji se referma autour du cou de Mo, qui se pétrifia, agrippé à ses avant-bras musculeux.

— Ce garçon est libre à partir d'aujourd'hui. Si vous tentez de le retrouver ou qu'il lui arrivait malheur, je vous promets une éternité de tourments.

— L-lâche-moi ! Ou je te...

    L'ambre dans les iris de Lan Zhan se mit à scintiller, aussi luisant que le fer battu à chaud. Mo se décomposa, les yeux écarquillés comme s'il rencontrait le diable. À travers les veines saillantes des bras qui le maintenaient, le sang était visible par endroits, lave en éveil.

— Q-qui es-tu ?! s'asphyxia le maître, effrayé.

    Wangji lui confia à l'oreille :

— Je suis celui qui te noiera dans les profondeurs noires de l'océan et te réanimera, encore et encore, sans jamais s'arrêter, si tu approches à nouveau Wei Wuxian.

    Mo se liquéfia, blanc comme un linge, et lui glissa des mains. Lan Zhan le regarda ramper vers l'arrière, entre deux plaintes épouvantées, puis se tourna vers son protégé. Il s'accroupit face à lui, compatissant à sa perte.

— Je suis désolé.

    La lèvre mordue, Wei Ying fondit en larmes, anéanti sous le poids d'un chagrin inconsolable. Wangji l'attira dans ses bras et le serra fort.

— Un jour, tu reverras ta famille.

— À quoi bon... ils ne veulent sûrement plus de moi, sanglota le jeune homme.

— Je t'aiderai à comprendre. Je t'accompagnerai partout où tu auras besoin de moi.

    Wei Ying leva la tête, la bouche tremblante.

— Pourquoi fais-tu tout cela pour moi ?

    Dans le regard de son sauveur, la raison se lisait ; elle était la plus belle de toutes. Pourtant, elle devrait rester inavouée.

    Wangji lui offrit un doux sourire, sans prononcer nul mot, puis essuya ses joues d'un revers de pouce avant de l'aider à se relever.

    Lorsqu'ils passèrent devant les deux gardes, Wei Ying constata les étranges marques rouges qui cintraient leurs cous. Comme si d'immenses liens, larges et puissants, les avaient étranglés jusqu'à l'inconscience. Il jeta un œil curieux à son protecteur. Bien des secrets lui semblaient se cacher derrière sa force sereine.

— Où allons-nous ? Pouvons-nous aller chez toi, maintenant ?

    Wangji passa un bras dans son dos et porta sa tête au creux de son épaule charpentée. Le plus grand choc pour son jeune ami restait encore à venir.

— Si tel est ton souhait...

 

N/A: la dose de fantastique arrive...!

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