Chapitre 7 : Quatrième crise
Il était facile d'imaginer le genre de chambre visibles dans certains films et sur lesquelles on passait plusieurs heures à rêvasser. Et bien, je me trouvais justement dans l'une d'elles.
Un lit deux places en bois d'ébène et à baldaquins occupait le centre de la pièce. Une immense fenêtre offrait une vue magnifique sur la mer, quelques dizaines de mètres plus loin. Je ne pus m'empêcher de la fixer longuement.
Je me ressaisis et observai le reste de la chambre. Le mur de droite était recouvert d'une étagère allant du sol au plafond et un grand miroir rectangulaire était placé comme une bannière au-dessus du lit, donnant l'impression que la pièce était encore plus grande qu'elle ne l'était déjà.
— Gosse de riche.
— Je travaille, aussi ! Mais plus sérieusement, on ira t'acheter des vêtements demain, dit-il en désignant l'armoire noire et vide, contre le même mur que celui où se trouvait la porte. Et des livres, aussi.
— C'est grand, dis-je simplement, me moquant éperdument de ce qu'il racontait.
— Je sais, fit-il avec un sourire en coin. Cette chambre était jusqu'à aujourd'hui une chambre d'amis, et...
La sonnerie de son téléphone le coupa. Il tira son portable de sa poche arrière avec agacement et son sourire se fana quand il vit qui était le responsable du dérangement occasionné.
Je pus apercevoir le nom "Connasse" avant qu'il ne décroche.
— Quoi ? fit-il sèchement en portant le combiné à son oreille.
Je crus entendre les mots "père", "repas" et "obligation".
— Je viendrai seul.
Une personne à l'autre bout du fil lui parla pendant une vingtaine de secondes.
— C'est du grand n'importe quoi, soupira Milo. Lys, repasse moi notre génitrice.
Il attendit encore quelques secondes avant de répondre à une nouvelle question.
— Un ami. Mon paternel est un peu trop curieux.
"Obligation", "fils indigne".
— Je viendrai, c'est bon. Je n'ai visiblement pas le choix de toute façon. Mais prévenez-le que je serai avec un ami et non un fiancé, il ferait dans le cas contraire un infarctus.
Puis il raccrocha et remit son téléphone dans sa poche.
— Qui est Lys ? Avec qui vas-tu aller à ce repas de famille ?
— Pas maintenant, s'il te plaît, soupira-t-il en sortant.
Bien décidé à obtenir des réponses, je le suivis alors qu'il descendait les escaliers.
— Je veux savoir, insistai-je.
— Laisse moi seul une minute...
Je le suivis alors qu'il se dirigeait vers la porte d'entrée.
— J'ai le droit de savoir, m'agaçai-je. Tu m'achètes, tu tiens tête à Johnson mais dès que je dis un mot qui ne te plaît pas, tu te tais ! Ce n'est pas juste. Je suis...
Je me rendis compte de la bêtise que j'allais dire et m'interrompus. "Humain, comme toi". Non, bien sûr que non. Je n'étais qu'une stupide création de laboratoire. Un bon à rien, un détraqué au sens propre du terme.
— Laisse moi, répéta-t-il, confirmant sans le vouloir mes pensées réalistes.
— Milo...
— Je t'ai dit de me laisser tranquille ! cria-t-il.
Je reculai d'un pas, effrayé, alors qu'il se retournait vers moi en écarquillant les yeux.
— Noah, je ne voulais pas crier, je...
Il fit un pas vers moi, le regard empli de culpabilité. Je reculai brusquement.
Dans mon esprit se mélangeaient à nouveau le passé et le présent, j'avais à la fois l'impression d'être de retour à cette fameuse soirée tout en gardant conscience du regard apeuré de Milo.
— Ne m'approche pas... dis-je faiblement en reculant jusqu'à buter contre l'escalier, les yeux écarquillés. NE M'APPROCHE PAS !
Dans mon élan, je basculai et tombai sur la première marche en marbre.
— Noah...
— Va t'en ! Approche pas ! hurlai-je en essayant de le repousser.
Elle était morte juste sous mon regard et sous les cris tantôt joyeux tantôt rageurs de ses agresseurs. Juste sous mes yeux. Il y avait eu beaucoup de sang. Et elle aussi, elle avait crié. Je n'en pouvais plus d'entendre des cris. Ils étaient synonymes de malheur. Stop, stop, stop... stop !
— Noah, ce n'est que moi ! me dit Milo en me prenant la main.
En proie à la pire des paniques, je la lui griffai et essayai de le repousser en lui mettant des coups de pieds qu'il encaissait sans me lâcher. On finit par chuter de la marche pour se retrouver sur le carrelage, toujours à lutter.
Trop de cris ce soir là, un seul aujourd'hui ; or, à mes yeux, les situations se ressemblaient déjà trop de par ce fait. Elle était morte, ils l'avaient tuée et elle était morte...
— Noah, c'est moi, ce n'est que moi ! répéta-t-il.
Il réussit à m'attraper les bras et à m'immobiliser de son mieux pour que je cesse de le rouer de coups. Je me débattis encore, mais il m'écrasait de son poids et me bloquait totalement.
Je me mis alors à pleurer. Je ne sais pas si c'était plus car j'étais terrifié par mes souvenirs, car j'avais honte d'avoir frappé Milo ou bien les deux. Mais en tout cas, je pleurais comme je n'avais jamais pleuré.
— Tout va bien, me fit doucement Milo. Tout va bien, Noah.
Non, tout n'allait pas bien, rien n'allait bien, à mes yeux. Elle était morte. Elle avait appelé à l'aide, elle avait crié, mais elle était quand même morte.
Il passa ses mains sous mes épaules et m'aida à m'assoir.
— Tout va bien, me répéta-t-il encore une fois.
— Non, répondis-je d'une voix entrecoupée par les larmes. C'est faux.
— Tu as raison, dit-il en s'asseyant en face de moi, mais tout va bien pour nous deux. Alors, on peut dire que tout va bien.
Comment pouvait-il avoir une vision si fermée du monde tout en connaissant les horreurs que celui-ci abritait ? Était-ce un moyen détourné de ne pas y penser ?
— Tu saignes, dis-je alors en désignant son front et sa main avant de baisser les yeux. Donc tu ne vas pas bien.
Ma crise de larmes se calma un peu.
— Ce n'est rien. Et toi aussi, tu saignes, dit-il en montrant mon bras droit. Tu as dû t'érafler contre la marche en chutant, tout à l'heure.
— Je t'ai blessé, soufflai-je, ignorant ce qu'il venait de dire.
— J'ai appris à encaisser les coups, me rassura-t-il. J'aurais sûrement des bleus, mais rien de très alarmant. J'ai fait du karaté pendant douze ans.
— Tu aurais pu me maîtriser ou bien m'assommer, dis-je en repliant me jambes contre moi. Comme ça, je ne t'aurais pas blessé.
— Je ne voulais pas te faire de mal.
Je relevai avec perplexité la tête vers lui, la vue encore floue à cause de mes larmes.
— Tu aurais dû, répondis-je en baissant à nouveau la tête.
— Non, Noah.
— Tu perds ton temps, murmurai-je en me relevant. Je suis un cas désespéré. Tu aurais mieux fait de laisser Johnson me déconnecter.
— Non.
Il se releva également, et me fit signe de le suivre.
— Allons sur la plage. Je me sens toujours mieux après avoir regardé la mer.
Je ne le contredis pas, car je me sentais trop épuisé pour trouver une réplique cinglante. On sortit, et on remonta un petit sentier de terre pendant quelques minutes.
— On est arrivés, me dit Milo après une montée particulièrement agaçante.
La vue était en effet très belle. Nous nous trouvions sur une petite colline, et, sous nos pieds, le sable se mélangeait déjà un peu à l'herbe. En contrebas se trouvait une petite plage de sable blanc, déserte.
On descendit l'autre versant de la dune, puis on marcha jusqu'à nous retrouver au bord de l'eau. Je constatai que la plage était située dans un creux, entre deux collines.
Un court instant, la possibilité de monter sur l'une d'elle et de me laisser tomber à l'eau pour me noyer m'effleura l'esprit, mais Milo parut le deviner immédiatement :
— N'y penses même pas. Sur la tablette, j'ai effectué un blocage pour que tu ne puisses pas tenter de mettre fin à tes jours ou alors te mutiler.
Je serrai les dents, mais n'ajoutai rien.
Avec quatre crises de panique par jour, la vie avec Milo allait être un enfer.
Même si cela se finissait bien, s'il arrivait à me rendre mes émotions positives, cela resterait un enfer.
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