Chapitre 2 : Lutter contre ses souvenirs

Sachant pertinemment que personne ne m'approcherait après ma pathétique présentation, je me levai pour rapidement aller chercher un livre dans notre dortoir désert, au cœur du bâtiment le plus proche de la cour.

Cela me fit étrange de voir nos lits soigneusement faits, nos écrans de données vitales éteints au-dessus d'eux, les draps blancs tout juste changés et la moindre trace de notre passage effacée, comme les dessins d'Arayah 92 ou la collection de pierres bleues d'Anna 96. Tout était prêt pour accueillir la session suivante.

Ceux d'entre nous possédant des affaires personnelles les avaient emballées plus tôt dans des sacs de voyage marqués du logo de John Johnson et de leur numéro de création. Ce n'était pas mon cas. Depuis mon Réveil dans un laboratoire excessivement blanc, je n'avais demandé qu'à emprunter les livres d'Ayah sans jamais réclamer qu'on m'en offre.

L'un d'eux était encore posé sur mon lit, gentiment laissé là par un agent d'entretien. Je l'attrapai et quittai nerveusement le dortoir.

Je traversai de nouveau les couloirs où j'avais passé mes quelques premiers mois de vie et retournai sur le banc blanc, dans la cour, avant de me plonger dans ma lecture pour noyer dans les mots l'angoisse que me procuraient les changements d'aujourd'hui.

C'était un ouvrage très plaisant des années 2020, qui parlait d'une enfant censée arrêter des guerres dans un monde parallèle et retrouver son frère enlevé par un peuple ennemi. J'adorais le genre fantastique et ses dérivés, comme cet ouvrage, même si les autres préféraient la politique, les sciences ou les choses « mignonnes ». Quand je lisais, je n'avais plus peur, n'étais plus en colère et n'étais pas susceptible de fondre en larmes pour un rien. Juste... je lisais. Et c'était la chose la plus agréable à ma portée, ces derniers temps.

Pourquoi faire des efforts alors que je pouvais patiemment attendre la fin de cette horrible journée, assis sur un banc de la cour et un livre à la main ? Johnson me tuerait le soir même comme je n'aurai pas trouvé d'acheteurs, même si j'essayais, alors autant profiter des heures sereines qui me restaient. Tout serait probablement fini avant même que le soleil ait disparu à l'horizon.

— 97, c'est ça ?

Je sursautai brusquement. Je pris sur moi et ne levai pas la tête, sachant pertinemment que je perdrais mes moyens si je croisais le regard de l'inopportun.

— Foutez-moi la paix. J'ai autre chose à faire.

— Non, rit-il. Ta présentation en a certainement découragé certains, mais... pas moi.

Comme je ne le voyais pas, je pus me permettre de légèrement m'énerver. De quel droit me tutoyait-il ? Être défectueux ne faisait pas de moi une personne à qui on devait par défaut manquer respect.

— À titre informatif, je ne suis pas un quelconque jouet desservant des intérêts malsains, rétorquai-je lentement sans quitter mon livre du regard. Article sept de la charte de respect des Humains Contrôlables. Un HC ne peut être acheté qu'au titre de compagnon, d'ami, d'employé ou de proche. Toute utilisation des services Johnson dans un cadre autre que ceux énoncés ci-dessus est...

— ... susceptible d'entraîner des poursuites judiciaires menées par les avocats de l'entreprise, pour une peine de prison ferme s'élevant de sept mois à trois ans selon la gravité de l'infraction. Je sais déjà tout ça.

Interloqué par sa connaissance d'une charte que la majorité des acheteurs ne prenait pas le temps de lire, je cessai de fixer mon roman et levai les yeux vers lui. Il était brun, avec des iris de la même teinte brillantes de malice, et semblait s'amuser de mon incompréhension. C'était le type qui me fixait dans la salle, tout à l'heure. Sûrement pas plus âgé que mon âge physique, il ne devait même pas avoir les moyens de s'acheter un Humain Contrôlable ! Que me voulait-il ?

— En te présentant, reprit-il plus sérieusement, tu as dit que tu étais défectueux. Qu'est-ce que...

— Si vous voulez interroger Johnson sur les raisons de mon dysfonctionnement, allez lui demander vous-même ! m'agaçai-je, la colère étant le meilleur moyen de repousser la peur.

C'était donc cela. Il s'intéressait simplement à cette... histoire. Maudit soit-il.

— 97, pourrais-tu venir immédiatement ? m'appela alors la secrétaire. Et monsieur, pourriez-vous patienter un instant ?

— Oui, je peux et vais le faire, répondit-il malicieusement.

Je me levai prestement et rejoignis Ayah, ne sachant si je devais être inquiété ou énervé par cet inconnu qui m'empêchait de lire tranquillement en voulant me harceler de questions effrayantes à mes yeux. C'était sûrement un journaliste.

Je détestais qu'on me dérange lorsque je m'isolais dans une sorte de bulle mentale, par le biais de romans ou de rêveries, surtout pour tenter de me parler de la soirée, celle où tout avait basculé pour moi. C'était mon sujet interdit et le moindre mot dessus me plongeait dans une colère ingérable.

Je ne trouvais pas de meilleure réaction, à défaut de pouvoir tout oublier.

— 97, change tout de suite de ton avec lui.

— Pourquoi ? demandai-je distraitement en essayant de me replonger dans ma lecture, à peine gêné d'être debout.

Tant que je lisais, tout allait bien. Cette soirée n'existait plus, mes cauchemars n'existaient plus... je n'existais plus. Je n'existais plus et mon esprit était remplacé par celui d'un personnage.  Pourquoi serait-il donc étonnant que je veuille le faire à chaque foutu moment de mon existence ?

Elle m'arracha soudainement l'ouvrage des mains et le referma, perdant ma page au passage. Je l'aurais volontiers frappée pour cet énième manque de respect si un élément de mon système ne m'empêchait pas de m'en prendre à John et ses employés.

— Je t'interdis de gâcher ta chance, me sermonna-t-elle, agacée que je ne la regarde même pas dans les yeux. Ce type est intéressé pour t'acheter alors assure-toi qu'il le fasse !

— Et si je ne le veux pas, hein ? fis-je en retirant mon poignet de son emprise. Il est bizarre et me pose des questions qui le sont tout autant !

— Il t'a parlé deux fois ; pour te complimenter et savoir en quoi consistait ton dysfonctionnement. Tu l'as envoyé balader pour ça !

— C'est décidé, je ne partirai pas avec lui, répliquai-je sèchement en essayant vainement de récupérer mon livre.

Je préférais encore me chamailler avec elle que me retrouver seul avec le type étrange. Je crois qu'il me faisait peur. Mais comme d'habitude, elle ne comprenait rien et ignorait mes vaines tentatives de gagner du temps.

— Si tu ne le fais pas, Johnson te tuera. Tu sais qu'il n'y a pas de place pour les invendus dans ses rangs.

Croyait-elle vraiment m'apprendre quelque chose ?

— Je m'en moque. Qu'il aille se faire foutre, et toi aussi !

Elle écarquilla les yeux. C'était la première fois que je l'insultais, même légèrement, mais c'était bien fait pour elle. Cette femme me mettait hors de moi, elle me rendait dingue au sens propre du terme. Son apparente bienveillance disparaissait dès que quelqu'un s'opposait à son patron adoré et cette hypocrisie me dégoûtait.

— Rends moi mon livre, Ayah ! hurlai-je soudainement, furieux.

Au lieu d'obéir, son visage se ferma et elle me poussa vers le banc où attendait patiemment l'homme étrange.

J'avais terriblement envie de lui rendre la pareille, ce qui me déclencha instantanément une migraine qui ne cesserait que lorsque mes pensées violentes à son égard auraient diminué. Ce n'était pas la première fois que mon système de protection d'autrui se mettait en marche, après tout : je commençais à bien en saisir le concept.

Mais à quoi s'attendait-elle, au juste ? À ce que je me jette dans les bras de ce type, oublie tous mes principes et lui serve comme il l'aurait décidé alors que je ne connaissais pas ses intentions ?

Je ne comptais pas accorder ma confiance si facilement. Je ne voulais plus faire confiance à quelqu'un depuis cette fameuse soirée, en réalité, car voir un être aimé disparaître était bien trop douloureux.  Autant garder mes distance et rester naturel, cela suffisait visiblement à chasser tout le monde et à me garder sain et sauf.

— De quoi parliez-vous, sans vouloir être indiscret ? s'enquit l'homme quand j'arrivai à sa hauteur.

Tout le monde sauf lui.

— Vous êtes indiscret, crachai-je en esquivant son regard.

La secrétaire me lança mon livre. Pas besoin d'être un génie pour comprendre qu'il allait tomber dans une flaque d'eau restant de l'averse de ce matin, car la vitesse à laquelle elle l'avait lancé et la distance à laquelle je me trouvais d'elle n'était pas compatible avec la vitesse maximale à laquelle je pouvais courir sans prendre d'élan. Mais au lieu de voir le roman tomber dans la flaque, quelqu'un bondit avant moi, le rattrapa in extremis et me le tendit, telle la valeur que j'avais oublié de prendre en compte dans mon estimation basique.

— Mais qu'est-ce que vous me voulez, à la fin ?! m'écriai-je en reprenant le livre des mains de l'homme qui commençait vraiment à m'insupporter.

— Faire ta connaissance puis t'acheter aux enchères ! dit-il avec assurance, ses lèvres s'étirant en un sourire malicieux devant ma mauvaise foi. N'est-ce pas évident ?

— Mais bordel, laissez-moi tranquille !

Au loin, je croisai le regard d'Ayah qui passait son pouce sous sa gorge en nous désignant, moi puis Johnson qui parlait avec des personnes en costume noir. Elle voulait sûrement me dire que j'allais me faire tuer, mais je m'amusai à penser qu'elle voulait tuer John.

— Et si je n'en ai pas envie ? fit-il avec un demi-sourire.

Toujours pire ! Il venait clairement d'avouer qu'il avait entendu toute la conversation que j'avais eue avec la secrétaire en reprenant ma propre réplique. J'aurais voulu lui dire que la curiosité était un vilain défaut, mais John ne m'en laissa pas le temps puisqu'il débarqua comme une fleur pour m'empêcher de crier une énième bêtise.

— Enchanté, cher monsieur... ?

— Wildstone, se présenta l'homme en serrant la main que lui tendit mon créateur. Milo Wildstone.

Il pâlit et recula d'un pas, livide. Son désarroi me fit froncer les sourcils.

— Wildstone... ? Le fils de Jean Wildstone ? C'est vous qui... ? Je suis confus, je ne vous avais pas reconnu !

— Lui-même, acquiesça le dénommé Milo.

— Je suis honoré de vous voir ici, mais... je ne pense pas que 97 vous conviendrait, il est défectueux.

Ennuyé, je laissai mon regard dériver sur la cour en m'affalant de nouveau sur le banc en pierre. Il allait encore se mettre à déblatérer sur mon dysfonctionnement car il ne savait visiblement rien faire d'autre quand il s'agissait de moi.

Le sol de la cour était en béton, mais deux grands arbres avaient étés plantés là où du bitume avait été grossièrement retiré. La cour était entourée de trois bâtiments – les deux, trois et quatre – ainsi qu'un grillage donnant sur une cour extérieur déserte, celle-ci permettant d'accéder au parking et donc à la sortie. Je les détestais car j'y passais le clair de mon temps. Leurs couloirs étaient toujours parfaitement nettoyés, blancs et encore plus angoissants que ceux d'un hôpital.

Les bâtiments un et cinq se trouvaient derrière les bâtiments deux et trois, il fallait donc traverser ces deux derniers pour y accéder. Mais les bâtiments un, cinq, deux et trois entouraient eux-mêmes une autre cour, celle où nous jouions au basket avec mes camarades de session. Pour faire clair, un inconnu se serait rapidement perdu s'il avait cherché à venir ici tout seul, car il y avait en plus trois autres cours qui bordaient l'ensemble des bâtiments.

En revanche, j'avais mémorisé le plan de cet endroit et n'avais jamais eu de difficulté à trouver mon chemin.

— Il ne ressent que des émotions négatives, j'avais deviné, s'amusa Milo. Et c'est cela qui m'intéresse.

— Qui vous intéresse ? balbutia John, me ramenant à la réalité.

— Je vous propose un marché, poursuivit-il, confiant. Je paye un tiers de sa valeur aujourd'hui et le garde avec moi pendant trois ans. S'il est toujours défectueux une fois ce délai passé, je vous reviendrai vers vous et vous verserai le montant restant plus un petit million supplémentaire. En revanche, si d'ici cette date je réussis à lui faire retrouver toutes ses capacités, je ne paierai jamais les deux tiers que je vous dois !

— Je... monsieur Wildstone, sans vouloir vous offenser, nous avons passé plusieurs heures à essayer de rétablir son système. Il est vraiment défectueux.

Quel menteur. Personne n'avait rien essayé à mon égard, je n'avais fait que récolter des insultes et des menaces censées me faire assez de mal pour que mon système se remette en état.

Peut-être que ce genre de pratique correspondait à l'idée que John se faisait d'un bon travail.

— Vous avez tenté de le réparer en tant que création, rétorqua le brun. Moi, je tenterai ma chance en traitant Noah comme un humain auquel je redonnerai envie de vivre.

Je tressaillis à l'entente de sa phrase, n'en retenant qu'un point : "Noah". Je n'avais aucunement envie de m'appeler "Noah". Que ce Milo Wildstone aille se faire voir avec ses belles paroles. Je ne voulais pas être un "Noah". Ce n'était pas beau. Comme moi, en fait. Alors peut-être que ce prénom m'irait bien ? Non, je ne l'aimais quand même pas.

— Comme un humain, vous dites ? Je... bien, si cela vous chante. Nous réglerons les détails de ce contrat plus tard dans la journée, bredouilla l'autre.

Le voir aussi inquiet me ravit légèrement, même si c'était plus que mesquin. Il semblait vraiment désarçonné par cet étrange individu.

— Très bien, sourit le brun. Je vais profiter de ces quelques heures pour faire connaissance avec Noah – ou, du moins, essayer.

Mon créateur acquiesça et repartit vers les autres potentiels acheteurs présents, nerveux.

— Je déteste le prénom Noah, déclarai-je en croisant les bras.

Je relevai la tête vers Milo et osai soutenir son regard pour appuyer mes propos. Cela ne lui fit ni chaud ni froid, à ma plus grande déception, car ce geste simple d'apparence me coûtait beaucoup de volonté.

— Je le trouve très beau, pour ma part, répondit-il finalement en posant sa main sur mon épaule.

Je reculai brusquement en le repoussant hargneusement. Je haïssais les contacts physiques, encore plus de la part d'un parfait inconnu ! De quel droit se permettait-il une telle proximité ? Croyait-il que son regard étonné par mon rejet allait me faire changer d'avis ? Quel imbécile !

— Mais laisse moi tranquille ! m'énervai-je lorsqu'il m'effleura volontairement le bras, curieux.

— Je n'ai rien fait de mal, renchérit-il en fronçant les sourcils. Quel est le problème, Noah ?

— Je m'appelle 97, pas Noah, PUTAIN DE BORDEL DE MERDE ! hurlai-je rageusement en me levant du banc.

Les mains dans les poches et les poings serrés, furieux, je m'éloignai rapidement et me rapprochai d'Arayah 92. Elle discutait avec quelques personnes mais si rester collé à elle m'évitait d'avoir à supporter la présence de l'autre bourgeois curieux, je n'allais pas faire le difficile.

— 92, aide-moi, l'autre taré est trop collant, crachai-je en constatant qu'il m'avait suivi.

Au lieu de m'aider à le faire partir, elle délaissa l'homme à qui elle parlait et m'attrapa par le poignet. Voilà donc ce que je gagnais à demander un minimum de compréhension chez les autres membres de ma session, même elle n'était pas une exception.

— Il ne t'a rien fait de mal, ce type, non ?

Je lui lançai un regard venimeux ; elle répondit par un sourire amusé.

— Tu sais très bien que je n'aime pas qu'on me touche. Allez tous vous faire voir je vous déteste.

— Il veut t'aider à aller mieux, à ce que raconte Ayah, soupira-t-elle. Fais un effort.

— Je n'ai pas besoin d'aller mieux, ce n'est pas moi le problème dans tout ça ! Quand allez-vous le comprendre ? m'écriai-je d'une voix tremblante en rabattant mon bras contre moi pour qu'elle me lâche.

— Il t'a seulement effleuré, arrête de réagir aussi excessivement !

C'est ça, change de sujet. Comme à chaque fois. 

J'avais gardé le silence une seule maudite fois et évidemment, depuis, elle ignorait soigneusement toutes mes allusions à la soirée, comme si cela m'aiderait à la faire disparaître de mon esprit.

— Comment veux-tu t'intégrer à la société si tu ne supportes même pas que l'on t'effleure dans la rue ou le métro ?

— Je ne veux pas m'intégrer à cette société merdique, qu'elle aille en enfer et vous aussi !

— Monsieur, bonne chance pour l'amadouer.

— J'y arriverai, assura-t-il en souriant. Allez, Noah, retournons nous asseoir pour discuter !

***

Il me dit quelque chose que je n'écoutai pas. J'allais l'ignorer, et on verrait bien qui tiendrait le plus longtemps.

Il émanait de lui une aura apaisante qui m'écœurait. Comment pouvait-il être aussi serein en sachant que le monde regorgeait d'enfoirés commettant des atrocités – dont deux auxquelles j'avais dû assister, cette fameuse soirée — sans se soucier des autres ?

Je m'écartai de lui jusqu'à ne pas pouvoir aller plus loin, car le banc était beaucoup trop court et je n'avais pas envie de rester debout.

Comme pour m'agacer de plus belle, il se rapprocha de moi et passa un bras autour de mes épaules. Je le repoussai violemment avant de me relever le plus vite possible. Milo se releva en frottant son coude droit qui s'était égratigné dans sa chute et me regarda droit dans les yeux en fronçant les sourcils. La peur qu'il dut lire dans mon regard sembla le choquer.

Tous mes camarades de session nous rejoignirent au pas de course, délaissant leurs potentiels acheteurs sidérés. Alex 91 entraîna le Wildstone un peu plus loin et lui hurla dessus tellement fort que leur distance ne suffit pas à étouffer ses paroles.

— Ça va aller ? me demanda Anna 96 avec inquiétude.

— J'ai encore paniqué, m'énervai-je – contre moi, contre eux, contre le monde.

— Tu as vraiment besoin de quelqu'un pour t'aider, insista Arayah 92 en s'approchant doucement, comme pour ne pas m'effrayer. Avec les reproches que lui crie Alex 91, il comprendra qu'il ne faut jamais te tenir comme il l'a fait et ça ira mieux !

Ils me tenaient comme ça en me forçant à regarder son sang, murmurai-je, pris de tremblement incontrôlables.

— Calme toi, 97, fit alors Ayah, jouant des coudes pour passer à travers la foule compacte de curieux qui s'était formée autour de nous.

Je détestais mes souvenirs car à chaque fois que j'étais amené à m'y confronter, je n'arrivais plus à les ignorer et ils tournaient inlassablement dans ma tête. Le sang sur le sol, qui se répand entre les petites dalles de pierre grise... leurs rires satisfaits...

— S'il vous plaît ! appela John. Je voudrais que tous les potentiels acheteurs et les HC se rendent dans le bâtiment quatre pour commencer les enchères, et que ceux qui ne prévoient pas d'enchérir partent maintenant. Je vous souhaite une bonne journée à tous.

Mentalement, je le remerciai d'éloigner ces gens qui m'oppressaient. Physiquement, je le gratifiai par habitude d'un regard haineux.

Ayah revint en courant du bâtiment trois, m'apportant un verre d'eau que je bus lentement en m'asseyant sur le banc.

La cour se vida et bientôt il n'y resta plus qu'Ayah, Milo et Alex 91, qui engueulait toujours ce dernier. Il fut finalement appelé pour les enchères, rejoignant mes autres camarades de session.

— Je suis vraiment désolé, s'excusa Milo en s'asseyant à bonne distance de moi.

Ayah, accroupie devant moi pour voir mon visage rivé vers le sol, me reprit doucement le verre vide des mains.

J'inspirai longuement et tâchai de m'imaginer le trajet de l'air dans mes poumons pour penser à autre chose qu'à cette soirée. Je détestais me montrer aussi faible face à des personnes énervantes.

— C'est moi qui suis désolé, murmurai-je après une très longue hésitation, honteux. Je n'aurais pas dû réagir aussi... violemment.

— Je crois qu'il vous aime bien ! hurla Anna 96 depuis une fenêtre du premier étage du bâtiment quatre pour se faire entendre. Avec nous, il ne s'excuse jamais !

Il fallait quand même le faire, pour oser désobéir à Johnson et espionner une lointaine conversation grâce à nos sens surdéveloppés que nous n'avions pas le droit d'utiliser pour des raisons évidentes de confidentialité. Mais visiblement, tous mes camarades de session s'étaient pris au jeu. Ils n'étaient pas capables de me supporter en temps normal mais quand il s'agissait de paraître soucieux pour impressionner les enchérisseurs, il y avait du monde.

Ce qu'ils m'exaspéraient...

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