Chapitre 14 : Le verre intact et le ballon gonflable
De retour à la demeure de Milo, celui-ci se hâta de faire ses devoirs. J'avais pris de l'avance pour toute la semaine à venir pendant une heure d'étude.
– Dis, est-ce que tu accepterais qu'on aille passer l'après-midi chez des amis, demain ? me demanda Milo au moment du dîner.
Je haussai les épaules. Si je répondais honnêtement, j'allais le vexer.
– Ça fait longtemps que je ne les ai pas vus, continua-t-il.
– Si tu veux.
– Super !
Je laissai passer quelques secondes avant de demander :
– Dans quoi travaille ta famille ?
Son sourire se fana et il détourna le regard.
– Dans une grande entreprise.
– Pourquoi ne veux-tu pas m'en dire plus ?
– Et toi, pourquoi Mélody me répond toujours à ta place quand je demande ce qu'il s'est passé ?
Je serrai les dents. C'était un sacré coup bas. Il se désistait toujours quand je lui posais des questions, et maintenant, il m'accusait de la même chose !
– Je finirai bien par tout savoir, dit-on exactement en même temps.
Il ne put retenir un petit sourire amusé d'étirer ses lèvres en se rendant compte que nous avions parlé d'une manière parfaitement synchronisée ; pas moi.
Cieux, ce moment était terrible.
Il m'énervait, mais je n'avais pas envie de m'énerver contre lui. Je ne voulais pas... l'embêter, pas le vexer.
Je devais devenir fou. Qu'est-ce que j'en avais à faire, de le blesser ou non, d'abord ?!
Énervé, je repoussai mon assiette et quittai la table.
— Où vas-tu ?
— Je n'ai plus faim.
— D'accord, mais où vas-tu ?
Je serrai les poings. Il se foutait ouvertement de moi, en plus !
— Laisse moi, je veux juste aller prendre l'air !
— Tu vas à la plage ? demanda Milo en se levant également. Je viens aussi, alors.
— Mais arrête de me coller ! criai-je, exaspéré.
Il éclata de rire, amusé par ma réaction.
Il me mettait hors de moi. Si un autre HC de ma session m'avait autant fait tourner en bourrique, je l'aurais, sans aucun doute, frappé pour le faire taire.
Alors pourquoi ne frappais-je pas Milo ?!
Sans prendre la peine de mettre mon manteau, je sortis brusquement de la maison en claquant la porte... bien vite rattrapé par mon acheteur. Je marchai sans me tourner vers lui jusqu'à la petite plage calée entre deux dunes qu'il m'avait montrée, le soir ayant suivi le jour des enchères.
Il faisait déjà nuit, et la mer ressemblait à une immense étendue de pétrole. Oh, mais, attendez, c'est exactement ce que certains humains semblaient s'être mis en tête de faire, avec leurs bateaux à la con.
Je soupirai doucement, essayant d'ignorer la présence de Milo derrière moi. Il me perturbait.
Je mis distraitement un coup de pied dans un caillou qui retomba dans l'eau, soulevant au passage un petit nuage de sable. Je fus un peu mouillé par les éclaboussures.
— Pauvre pierre, elle ne t'avait rien demandé, rit Milo.
— C'était un caillou, pas une pierre.
— Excuse-moi, mais quand un "caillou" semble peser une dizaine de kilos, on dit que c'est une pierre !
Bon, il avait peut-être raison, ce qui expliquerait pourquoi je n'étais pas juste un peu mouillé mais trempé.
Je soupirai de nouveau, me passant une main sur le visage. Ce geste me fit grimacer car, contrairement à ce que j'affirmais, les coups de Logan me faisaient encore un peu mal.
— Tu n'as pas froid ? demanda-t-il en regardant mes vêtements mouillés, perplexe.
Lui avait eu la sagesse de ne pas s'approcher de l'eau, lui évitant donc les éclaboussures de mon caillou.
— Non.
Je restai encore quelques secondes à contempler la mer, ne pensant littéralement à rien, avant de soudainement faire demi-tour.
– J'ai froid, dis-je en me dirigeant vers la maison.
— Mais t'es pas croyable, toi ! s'esclaffa Milo en se relevant pour me suivre.
***
La matinée de ce mercredi avait été particulièrement ennuyeuse, au lycée. Ou plutôt, particulièrement normale – et par conséquent ennuyeuse. Il fallait savoir qu'à mes yeux, ces deux termes étaient de parfaits synonymes.
– Tu es prêt ? me demanda Milo depuis le hall de la villa.
– Pourquoi faire ? fis-je, avachi sur mon lit, un livre de fantastique à la main.
– On va chez mes amis, je te rappelle !
– Ah, merde, soupirai-je, ayant totalement oublié ce détail.
Je n'avais pas vraiment envie de fréquenter des gens qui étaient à mes yeux des parfaits inconnus. Mais bon, si je le disais, ce serait au risque de vexer Milo.
Je lâchai mon livre à contrecœur et descendis les escaliers.
– Je commençais à croire que tu ne voulais plus venir !
Ah, parce qu'en plus, j'avais eu le choix ? Il aurait pu me le dire plus tôt.
— Imbécile.
***
Nous étions donc en route pour nous rendre chez ces fameux amis.
Je n'avais pas envie de rencontrer ces gens. J'avais déjà bien assez de Mélody et Milo dans mes connaissances.
Nerveux, je n'arrivai pas à cesser de me craquer les doigts de tout le trajet.
La voiture finit par s'arrêter devant une maison trop colorée typique de Zéphir-sur-mer. Elle était certes petite, mais le jardin qui donnait sur la route était dégoulinant de fleurs aux couleurs vives dont le parfum me fit grimacer. Il y avait beaucoup trop d'odeurs différentes de chez Milo, ou même de chez Johnson : chez mon acheteur, les odeurs du jardin étaient masquées par celles de la mer, et chez mon créateur, aucune odeur particulière ne ressortait tant l'endroit était loin de tout.
— Salut Milo ! s'écria une fille en sortant en courant de cette petite maison.
— Salut Émily ! fit celui-ci en sortant de la voiture.
Je soupirai et fis de même.
— Tu dois être Noah ?
Non, je suis le Pape, imbécile.
Je hochai la tête.
— Ok. Entrez, vous êtes les derniers !
Était-ce un réflexe de préciser ça à chaque fois que Milo et moi arrivions quelque part ?!
Déjà énervé, je suivis néanmoins les deux amis à l'intérieur de la maison. On n'y resta pas bien longtemps car la dénommée Émily nous fit ressortir par une petite porte menant à une partie du jardin invisible depuis la rue, qui comportait une piscine.
Deux garçons, qui s'y baignaient déjà, en sortirent pour serrer Milo dans leurs bras. Ils se moquaient éperdument de ses cris déplorant l'état de ses vêtements désormais trempés.
— Toujours aussi chiants ! couina-t-il en les repoussant, riant pourtant autant qu'eux.
Je restai en retrait, perplexe.
– Noah, voici Émily, Pierre et Julien !
– Ok.
– T'es pas très bavard, hein ? fit le brun nommé Julien.
Je haussai les épaules, à croire que c'était ma réponse favorite.
À vrai dire, si je gardais les yeux rivés vers le sol, ce n'était pas uniquement à cause du caractère malaisant des amis de Milo, c'était plutôt car j'étais gêné de voir les deux être torses nus car en maillot de bain. Oui, gêné.
C'était gênant d'être gêné, d'ailleurs.
— AH CONNAAAAAAAARDS ! hurla Milo, que ses deux amis venaient de pousser tout habillé dans la piscine, y retournant avec lui. SI VOUS M'AVIEZ DEMANDÉ D'ALLER ME METTRE EN MAILLOT JE L'AURAIS FAIT !
Ah. Ses vêtements devaient être foutus.
À côté de moi, Émily éclata de rire. Je ne voyais pas ce que la situation avait de drôle.
Je soupirai longuement. Je ne comprenais vraiment rien aux autres, c'en devenait pénible. J'aurais bien voulu, juste un tout petit peu, réussir à saisir ce qui leur passait par la tête.
— Tu veux venir te baigner ? suggéra mon acheteur en sortant de l'eau pour aller faire sécher ses vêtements. On fait à peu près la même taille et comme je laisse souvent des affaires traîner ici, je pourrais sûrement te prêter quelque chose !
— Non.
Vouloir faire quelque chose et le faire étaient deux notions bien différentes, néanmoins.
— Tu veux boire quelque chose ? me demanda poliment Émily pendant que Julien et Pierre se remettaient à bruyamment jouer dans l'eau.
— De l'eau... s'il te plaît.
J'avais dis "s'il te plaît". C'était déjà un peu mieux que d'habitude, non ?
Après m'avoir ramené mon verre, elle m'invita à m'assoir à une petite table en plastique à l'abri d'un parasol bleu. Du coin de l'œil, je vis Milo sortir de la maison avant de plonger dans la piscine creusée, retombant sur Julien qu'il entraîna dans sa chute – ce dernier avait tenté de s'assoir sur le bord de la piscine.
Je me sentis légèrement bizarre en voyant mon acheteur et détournai le regard, les mains crispées sur mon verre d'eau que j'avais à peine entamé.
— Tu as les joues rouges... tout va bien ? s'inquiéta Émily.
— J'ai les joues rouges ? répétai-je sans comprendre.
Elle hocha la tête, perplexe. Désemparé, je haussai les épaules, ignorant son regard, et bus mon verre d'eau.
Je détestais découvrir des choses que je n'avais pas prévu de découvrir.
J'avais envie de rentrer. Je n'aimais pas être ici. Alors que j'allais en faire part à Milo, il me prit au dépourvu en m'appelant :
— Noah, tu veux jouer à la balle avec nous ?
— Non, fis-je en resserrant un peu plus mon emprise sur le pauvre verre que je tenais.
Je devais faire attention à ne pas le briser. Ça m'était déjà arrivé, dans les locaux de Johnson, après avoir été insulté par un membre de ma session. Ayah avait cru que je comptais me servir des débris coupants comme arme pour gagner la bagarre qui s'amorçait, et j'avais été forcé, malgré mes tentatives d'expliquer que c'était un accident, de nettoyer tous les dégâts que j'avais causés sous le regard amusé des autres. Puis ils avaient fini de manger et la secrétaire m'avait dit de faire de même, une fois que j'eus terminé, et j'avais refusé. Alors on m'avait encore hurlé dessus et Johnson, ne supportant pas que l'on rate des repas, m'avais mis une perfusion pour que j'aie malgré ma "crise de colère" l'apport de calories nécessaire à ma santé.
En conclusion, je n'allais pas casser ce verre. Une fois m'avait suffi.
— Tu peux rester hors de l'eau, si tu veux ! suggéra Pierre en essayant de noyer Milo, me sortant de mes pensées.
— Allez, s'il te plaît ! fit celui-ci en inversant leurs positions.
— Un conseil si tu acceptes, me souffla Émily, ne t'approches pas de la piscine à moins d'un mètre. Autant pour lutter contre les éclaboussures de ces trois bourrins que pour ne pas t'y faire tirer.
Je soufflai longuement avant de me décider à me lever. Je m'assis donc en tailleur à un bon mètre du bord de la piscine.
C'est Pierre qui me lança le ballon en plastique le premier. Je le renvoyai de mon mieux sur Julien, qui le passa à Milo et ainsi de suite.
Jusque-là, tout allait bien. Je n'avais pas cassé de putain de verre et je me comportais comme un adolescent pas trop normal.
— Pourquoi tu viens pas te baigner ? questionna Julien après avoir feinté de sorte à ce que Pierre pense avoir la balle, elle revient à Milo.
— Je ne veux pas.
— Je peux venir te tirer dans l'eau, alors ?
— Si tu fais ça, je te noie, menaçai-je en lui lançant la balle en pleine figure.
Pris au dépourvu, il mit son bras devant son visage pour se protéger, déviant la balle... droit sur Milo, qui se la prit entre les deux yeux, choqué, avant de reculer sous le choc. Puis il perdit l'équilibre et disparut sous l'eau.
— AÏE EUH ! gueula-t-il en émergeant, les yeux fermés car encore trempés.
Je me mordis la lèvre quelque secondes, puis ne pus me retenir plus longtemps. J'éclatai de rire, n'arrivant pas à penser à autre chose que Milo se prenant ma balle et perdant l'équilibre.
Ce serait bien mieux de m'accrocher à ce souvenir plutôt qu'à celui du centre de Johnson si je me sentais sur le point de casser un verre. Ici, je ne l'avais pas fait et mon acheteur s'était pris une balle indirecte de ma part en pleine face.
Il se frotta les yeux, ébahi, en se tournant vers moi. Je me calmai à grand-peine, essayant vainement de reprendre un visage neutre.
— Noah, fit-il, incrédule. Tu viens vraiment de rigoler ?
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