Chapitre 1


Leeloo


Fascinée de dégoût, je suis.

Oui, il m'arrive de parler comme le vénérable maître Yoda lorsque mes émotions partent en vrille, bien que les TOC de langage des personnages de Star Wars ne soient pas le sujet du jour.

Il y a des matins où, au terme d'une excellente nuit de sommeil ponctuée de rêves érotiques torrides avec son chanteur préféré (ou toute une bande de musiciens, pour ma part) on se sent en pleine forme. On se lève le cœur gorgé de soleil, l'esprit débordant de joie, le sourire godiche aux lèvres. On perçoit dès le réveil qu'une superbe journée se profile et que rien ne pourra la gâcher. Pas même les chants liturgiques bizarroïdes qui accompagnent la branlette quotidienne du voisin sous la douche, dont aucune nuance sonore ne nous échappe à cause des murs en carton de l'immeuble.

À l'inverse, il y a des matins où on regrette amèrement de s'être couché bourré la veille, surtout après avoir ramené un inconnu dans son petit nid douillet qui abrite sa prestigieuse collection de figurines Disney – oui, je suis fan de dessins animés à vingt-deux printemps, et alors ?

Aujourd'hui, manque de bol, c'est un matin comme celui-là.

Consternée, mon cappuccino à la vanille fumant sous mon nez, je scrute le type en question, assis de l'autre côté de la table située entre ma cuisine fonctionnelle et mon salon cosy. Torse nu, le parasite en puissance soutient mon regard en sucrant son café. Il agite ses sourcils broussailleux dans ma direction d'un air enjôleur à l'image du pote bigleux aux cheveux bleus de Bart Simpson quand il fait du gringue à Lisa. Mon invité aurait lui aussi besoin d'un bon coup de pince à épiler ! Son agaçant mouvement sourcilier accentue ma migraine. Celle-ci est liée à mon abus de cocktails et de shooters dans la boîte miteuse où nous avons échoué hier soir sur les conseils foireux de Stan pour fêter notre départ imminent aux USA.

Je soupire de dépit.

Ne jamais écouter Stan.

Ne pas faire confiance à Stan.

Ne pas suivre les « bons tuyaux » de Stan.

C'est la base ! Mais hormis Zara qui avait auguré une soirée pourrie d'un ton fataliste, nous avons relâché notre vigilance et avons décidé d'accorder à mon frère une chance de nous prouver qu'il pouvait avoir des idées correctes, à défaut d'être bonnes.

Fous candides que nous sommes !

Pour revenir au parasite géant avec qui je me suis envoyé en l'air cette nuit, il a eu le culot de choisir ma deuxième tasse favorite, une copie de Zip, la petite tasse trop choupinette de La Belle et la Bête, que j'utilise pour siroter mon thé à la menthe le soir.

Ce n'est pas le soir et je suis toujours en possession de ma première tasse fétiche – mon Mickey vintage – mais ça ne me plaît pas du tout.

Mais alors, vraiment pas !

Surtout avec tout ce qui a précédé ce vol scandaleux de seconde tasse préférée !

Zara, alias Sushi, mon amie et presque voisine, qualifie ce spécimen de « Facehugger. »

Lorsque notre geekette asiatique a balancé pour la première fois ce terme étrange au cours d'une raclette party pour décrire une ex collante et étouffante d'Elyas, ça a semé un grand froid dans la pièce. Nous avons échangé des regards médusés autour de la table avant qu'elle ne daigne placidement développer le fil de sa pensée. Précisons que Zara est tellement pince-sans-rire que parfois, même nous qui sommes proches d'elle ignorons si elle plaisante ou si elle est sérieuse. Là, elle était sérieuse. Avec un flegme imperturbable, elle nous a expliqué entre deux bouchées de fromage et de charcuterie que les Facehugger étaient les grandes araignées extraterrestres qui sautent au visage de leur proie dans la saga horrifique Alien. Ces créatures s'accrochent à la tête en enroulant leur queue autour du cou de leur victime, insèrent une trompe visqueuse dans leur gorge et pondent des œufs contenant des bébés Aliens ultra dangereux, qui tuent leur hôte à la naissance en pulvérisant leur estomac dans une ratatouille gore. Impossible de les déloger tant qu'elles n'ont pas pondu leurs merdes : la queue se resserre autour du cou de la victime, dont la tête est prisonnière de l'étau de huit pattes anguleuses. Si on essaie de couper la créature, son sang acide ronge la chair de l'hôte. Un peu plus tenace donc que mon dernier masque à l'argile destiné à purifier mon teint – et j'ai bien ramé pour l'enlever, celui-là.

L'appétit coupé parce qu'il assimilait désormais la bébête à son ex foldingue, Elyas s'est levé de table sous les rires de Stan, Alice et Gabriel tandis que je le couvais d'un regard songeur, légèrement plus obnubilée par sa plastique avantageuse que par ses états d'âme. Pas ma faute, je fantasme comme une midinette sur mon ami d'enfance depuis que mes fourbes d'hormones se sont pointées à la fête du string. Par malheur, l'attirance est à sens unique.

Si j'en crois Zara, le mec en face de moi, qui se tape l'incruste sur mon territoire à mon détriment, est un bon gros Facehugger. Autrement dit, j'ai commis la bêtise de le laisser me fourrer sa trompe dans le vagin cette nuit et, à présent, il compte se cramponner à moi dans le but de me faire tout plein de bébés Aliens qui m'exploseront l'utérus les uns après les autres ! OK, j'exagère un chouia, mais il est évident qu'il s'évertue à entamer une relation de couple avec... avec...

Moi.

La fille la plus volage de l'univers intergalactique du monde de la galaxie de notre système solaire.

(Je sais, ça ne veut rien dire, mais je suis une quiche en astronomie.)

Horreur suprême.

Mon pire cauchemar.

Je ne me souviens pas de son nom, mais si on considère les choses sous un angle différent, il ne me semble pas le lui avoir demandé. On s'est servis de nos bouches pour autre chose que formuler des mots, hier soir. La seule phrase minimaliste que je lui ai adressée aujourd'hui au réveil, avec une joviale confiance, en lui tendant son caleçon rayé du bout des doigts : « Hey, c'était cool ! On se voit plus tard ? » Ma manière subtile de faire comprendre à l'intrus qu'il était temps pour lui de quitter mon pieu, mon appart et ma vie.

Peut-être trop subtile, car Mister Facehugger s'est contenté de me sourire d'une oreille à l'autre en s'étirant les bras avant de s'enquérir d'une voix pâteuse de l'emplacement de ma « modeste pièce d'évacuation anale et rénale », comme la surnomme Gabriel, notre pote gay proctologue, Rec pour les intimes.

Premier désenchantement, bien que relatif, puisque j'avais encore un brin d'espoir que mon amant de la nuit prenne congé après son passage éclair aux WC.

Pas de passage éclair, en fait : ce fut aussi long, lourd et tonitruant qu'un orage estival au Pays Basque. Vingt bonnes minutes. J'en ai profité pour me doucher en ignorant les bruits peu glamour qui fuitaient, si je puis dire, à travers les murs minces et me dévoilaient chaque étape de la tempête intestinale de ce monsieur dont je ne connaissais strictement rien, à part son coup de reins mou et peu glorieux digne d'un paresseux sous Prozac.

Après avoir secoué le bananier et déroulé le tapis brun comme s'il était chez lui, mon invité aussi indésirable que peu désirable s'est présenté devant moi à poil dans le couloir. Très à l'aise, Blaise. L'engin pendouillant entre les jambes, son caleçon taché sur l'épaule : l'idée la plus débile du millénaire, je cherche encore pourquoi il ne le tenait pas à la main. Le parasite désinvolte m'a annoncé qu'il allait occuper ma salle de bains, d'où j'émergeais justement, enveloppée d'une aura de fraîcheur revigorante grâce à mon nouveau gel douche bio senteur des îles tropicales. Mon pétillant sourire s'est étiolé en entendant ses propos. En adoptant une mine faussement embarrassée, j'ai tenté une pirouette dont je tirais, par anticipation, une fierté secrète :

— Ah zut, c'est con, je n'ai aucune serviette à te prêter, elles sont toutes sales !

— Ce n'est pas bien grave, Leeloo ! Je t'emprunterai la tienne. Vu tous nos échanges de fluides corporels au cours de cette nuit, on n'est plus à ça près, non ? a-t-il répondu avec un rire badin.

Mes yeux se sont écarquillés d'indignation. Mes affaires, il me pique !

J'en ai déduit que ce Facehugger, qui aurait pu en effet se prénommer Blaise tellement il prenait ses aises, était en train de marquer son territoire sans le moindre tact.

Ça commence à dauber pour toi, Leeloo ! Et pas seulement parce qu'il a coulé un bronze !

J'ai déniché un compromis afin de mieux lui faire avaler la pilule du rejet détourné. J'ai failli entamer ma phrase par un impoli « Désolée, Blaise... », mais je me suis reprise à temps.

— J'ai une tonne de trucs à faire ce matin, ai-je argumenté avec une pointe de stress alors qu'il me contournait pour se diriger vers l'endroit d'où je venais d'un pas assuré. Je ne veux pas te mettre à la porte (Oh que si, je veux !)...mais si tu pouvais rentrer chez toi après ta douche, ça m'arrangerait.

— Et après le petit-déjeuner, bien sûr ! Je suis à peine capable de marcher si j'ai le ventre vide, a répliqué Facehugger avant d'octroyer une tape pleine d'aplomb sur mes fesses rebondies et de disparaître dans la salle de bains.

Il m'a semblé que, malgré son ventre vide, qu'il n'avait aucun mal à marcher depuis qu'il avait déserté mon lit...

Il a balancé son caleçon puant contre le mur du couloir, comme une absurde provocation à mon encontre, qui aurait pu signifier « Partout où mes affaires passent, le savoir-vivre trépasse. »

Comme il avait eu l'idée lumineuse de laisser la capote usagée dans son caleçon et avait zappé qu'elle y était encore, j'ai assisté avec impuissance à une dégoulinade blanche sur le visage autoritaire de mon grand-père en uniforme militaire dans le cadre photo accroché au mur. Pardonne-moi, pépé Georges !

Son territoire, ce type marquait ! Il a baptisé ma cuvette avec son urine et ses excréments, a tapissé mon mur avec sa semence, et maintenant, il manifeste son intention de dérober ma serviette mouillée, mon gel douche parfum des îles tropicales et ma nourriture gagnée à la sueur de mon front (ou devrais-je dire, à la sueur de mes jambes et de mes pieds, puisqu'ils sont mes outils de travail !) Bref ! Je parie un million d'euros qu'il va aussi me proposer de remettre le couvert pour s'approprier de nouveau ce corps fraîchement lavé que mon ivresse lui a offert cette nuit !

— Si tu as envie de me rejoindre sous la douche pour me frotter, ma jolie, n'hésite pas ! a-t-il justement ajouté au moment où retentissait le bruit de l'eau qui ruisselle sur la faïence.

Mais quel con !

— Je ne suis pas ta jolie, je suis jolie sans pronom possessif, ai-je bougonné en secouant mes indomptables bouclettes d'un geste de la main.

— Tu as dit quelque chose ? a-t-il crié.

— Non, non, rien, je parlais toute seule ! Bonne douche !

Mais quelle conne !

Si je n'avais aucun scrupule et un cœur en pierre, je hurlerais à Blaise de dégager de chez moi en le taxant de tous les noms d'animaux hideux que j'ai en répertoire, à commencer par le blobfish. Peut-être jetterais-je ses fringues par la fenêtre pour me venger de sa fessée déplacée et laisser mes bas instincts s'exprimer. Mais je suis sympa et bien éduquée, moi ! Je m'en voudrais après coup de m'être montrée aussi méchante, car ce n'est pas dans ma nature. Et puis, j'admets que c'est moi qui l'ai invité ici. Je dois assumer mon erreur.

Ce n'est qu'un mauvais moment à passer... Prends sur toi et fais un petit effort, Lee ! Dis-toi que tu ne reverras plus jamais Blaise.

D'habitude, je n'ai pas à affronter ce genre de problème. Les mecs avec lesquels je batifole ont le considérable atout de renfermer le même état d'esprit que moi, puisque je les sélectionne avec rigueur, en fonction de leur degré de queutartitude. Par conséquent, lorsque je dégaine ma question rituelle « Hey, c'était cool, on se voit plus tard ? », les heureux élus acquiescent, m'embrassent (ou pas, ce qui est plus attentionné envers moi s'ils ont une haleine de ragondin putréfié), se rhabillent et prennent la poudre d'escampette. Il s'agit d'un accord implicite qui convient aux deux partis. Après une nuit de débauche, ils s'en vont au petit matin, voire avant. Certains préfèrent éviter les probables ennuis en partant avant le réveil de la nana qu'ils culbutent. Quelques-uns essaient néanmoins de me rappeler, parce que soyons clairs, je suis un bon coup, mais comme je leur refile un faux numéro, aucune suite à notre relation. Ce qui est précisément l'objectif de la manœuvre.

À présent, Mister Facehugger est propre après avoir passé une demi-heure à se récurer avec, je le crains, mon gant de toilette, que je laverai à soixante degrés avec ma serviette une fois que je serai seule. Je prie le dieu de l'hygiène intime pour qu'il se soit bien essuyé après avoir démoulé son cake et n'ait laissé aucune trace de pneu sur mon gant, mais je ne suis pas allée vérifier. Il a tout de même eu la décence d'enfiler son caleçon avant de se verser un café en se grattant les coucougnettes, ce qui m'a rappelé mon frère, le raffinement personnifié. J'ai eu tout le loisir de le reluquer pendant qu'il vaquait à ses occupations de pique-assiette en sifflotant.

Niveau corps, rien à dire, il n'est pas si mal. Des muscles discrets mais présents, torse pas trop velu, teint hâlé, coupe de cheveux classique, ça se voit qu'il s'entretient un minimum.

Niveau visage, dorénavant qu'il est à moins d'un mètre de moi en pleine lumière du jour, que je ne peux pas focaliser mon attention sur une autre partie de son corps et que j'ai quasiment décuvé, je tombe des nues.

Je me démène pour lui trouver un charme en le dévisageant sous différents angles, en pure perte. Aucun moyen d'estomper ma déconvenue. Même quand je louche, le constat est sans appel : ce type est moche. Mais attention ! Pas un faux moche qui bénéficierait d'une beauté atypique. Non, Blaise est hideux à faire pleurer tous les bébés sur son passage. Et plus encore lorsqu'il incurve ses lèvres parcheminées sur des dents de traviole, dans ce qu'il pense être un sourire là où je ne capte qu'un rictus chevalin qui me fait froid dans le dos. Je me tâte à lui transmettre les coordonnées de l'orthodontiste qui s'est occupée de mon cas il y a une dizaine d'années, ce pourrait être ma bonne action du mois. À côté de lui, Quasimodo est une bombe.

Verdict : très, très cuite hier soir j'étais.

Je ne suis pas dure à son sujet, je suis réaliste et mortifiée. Moi aussi, je me suis coltiné un physique ingrat et j'ai subi des moqueries à l'adolescence, alors mon sens de l'empathie est élevé. De surcroît, je ne suis pas une de ces nanas superficielles qui ne tablent que sur des dieux grecs gaulés comme des gravures de mode pour entretenir leur vanité et leur image sociale. J'ai déjà jeté mon dévolu sur des mecs plus âgés que moi, avec quelques poignées d'amour, qui se fringuaient comme l'as de pique, mignons sans être renversants, tout ça parce que j'attache globalement plus d'importance au regard, au sourire et à l'attitude des hommes.

Mais avec ce type-là, on est dans une autre catégorie.

En boîte, à cause de l'alcool sournois et de la lumière artificielle qui brouillaient mon jugement, j'ai confondu sa grosse verrue brunâtre sur le menton avec un grain de beauté, que je croyais deux fois plus petit. Je n'ai pas remarqué qu'il avait un nez épaté plus long que mon majeur, des yeux tombants qui lui confèrent une mine perpétuellement fatiguée et des sourcils asymétriques qui feraient passer la jungle amazonienne pour un jardin à l'anglaise. Le pauvre, j'avoue qu'il n'a pas été gâté par la nature ! Pour mettre le point sur le positif, je ne doute pas qu'il recèle de nombreuses qualités de cœur et d'esprit, même s'il ne me les a pas dévoilées pour l'instant et que je n'ai pas la moindre envie de les explorer. Sous les faisceaux de lumière colorés, je l'ai trouvé potable, dans son style particulier, bien à lui, avec un soupçon de mystère et un petit côté rustique, agriculteur ou bûcheron. En fait, je comprends mieux les signes de dénégation véhéments d'Alicia, Zara qui faisait mine de vomir, Stan qui s'étranglait de rire sur la banquette, les grimaces un tantinet plus discrètes de Gabriel et j'ai même surpris, à un moment, le regard noir d'Elyas sur moi quand je me tortillais contre Blaise sur la piste de danse. Mon ami paraissait un peu tendu sur le moment, mais je ne m'en suis pas formalisée.

Je présume que c'est aussi pour ça que Blaise s'attarde autant chez moi ce matin malgré mes perches. Il est plausible qu'aucune nana qu'il a draguée auparavant n'était assez torchée pour le ramener chez elle. Peut-être même était-il puceau avant de tremper sa saucisse dans mon pain ? Ne tirons pas de conclusions hâtives, bien que je sois presque certaine de ne pas avoir joui et de m'être endormie avant la fin de nos ébats soporifiques.

Ma biographie pourrait s'intituler Leeloo ou l'art de s'attirer des emmerdes.

Je ne peux m'empêcher de fixer sa verrue sur le menton en me demandant si, dans mon égarement, je n'ai pas léché cette immondice avant de sombrer dans les bras de Morphée. À cette perspective écœurante, je repose mon verre de jus d'orange pour ravaler la remontée acide qui m'enflamme l'œsophage.

— C'était incroyable, cette nuit, commente l'inconnu d'une voix traînante. Tu sais, Leeloo, tu es la plus belle fille avec laquelle j'aie jamais couché.

En même temps, si je suis la seule, sa comparaison et son compliment n'ont pas lieu d'être. Un sourire crispé étire mes lèvres en guise de « merci ».

Il me dédie un sourire séducteur qu'il doit estimer irrésistible. Le mien se désintègre. Pitié, mec, ne souris pas ! Est-ce qu'il le prendrait mal si je lui présentais un sac plastique pour épargner mes mirettes ?

— Tu habites avec ta petite sœur ?

Les visiteurs me posent fréquemment cette question, décontenancés par les nombreux objets et figurines que j'accumule depuis toute petite. Je suis passionnée par les dessins animés Disney, je les ai tous vus des dizaines de fois. Mon chouchou jamais détrôné : Aladdin. La réplique en plaqué or de la fameuse lampe magique constitue la pièce maîtresse de ma collection. J'en suis très fière.

— Du tout, je vis seule.

— Ah oui ? On se croirait dans un Disney Store, ici. C'est un peu oppressant, tous ces personnages et ces produits dérivés dans tes vitrines.

A-bru-ti ! Mes bébés ne sont pas oppressants. Le seul truc oppressant dans mon appart, c'est lui !

Toujours très à l'aise, Blaise dévie le sujet comme si de rien n'était :

— J'adorerais passer la journée avec toi. On pourrait aller à la plage, qu'en dis-tu ? Je t'inviterais volontiers au resto. Tu aimes les moules-frites ?

Oula ! Mon cœur s'affole. Des moules-frites, carrément ! Je zieute l'écran de mon portable pour temporiser. Je n'aime pas mentir, mais parfois, un baratin improvisé s'impose.

— J'en dis que je travaille dans une heure, dommage !

— Ah bon ? Tu m'as pourtant précisé hier soir que tu ne travaillais pas aujourd'hui.

Punaise ! Sa mémoire est plus au taquet que la mienne.

— Changement de programme, mon agent m'a envoyé un message. J'ai un shooting photo de dernière minute.

Le regard brillant d'admiration du boulet se balade sur mon visage, puis sur le décolleté de mon top. Il se rince l'œil sans vergogne en se pourléchant les babines, beurk. Mes narines se dilatent sous l'effet de la colère. Fais-toi plaiz, Blaise !

— Tu es mannequin ? interroge-t-il d'une voix langoureuse ridicule.

— Euh, oui.

Inutile de rentrer dans les détails, je ne souhaite pas alimenter la discussion avec ce monsieur disgracieux à la verrue proéminente et aux manières de goujat.

— Ce n'est pas grave, je vais t'attendre ici et ensuite, on prendra du bon temps ensemble. Ton shooting ne va pas durer toute la journée, décrète-t-il avec conviction.

Je me raidis de nervosité. Il est très buté ! 

Très bouché ! 

Très bête !

Ou alors, il fait tout ça exprès...

En toute franchise, je ne sais pas comment me sortir de ce bourbier glaireux. J'ai l'impression que, quelle que soit l'excuse que je lui servirai, Blaise dégotera une parade pour rester dans mes pattes le plus longtemps possible. Je lui ai bien dit que j'avais plein de trucs à faire tout à l'heure, mais il n'en a pas tenu compte. En plus d'avoir le charisme d'un bigorneau moisi, c'est un vrai sans-gêne à l'oreille sélective.

J'ai insinué que j'assumerai mon erreur nocturne, certes. Mais l'idée de le mettre dehors de façon cavalière, alors que c'est peut-être un brave type en dépit de ses défauts, flanque de l'eczéma à mes neurones migraineux. Tous mes amis et les membres de ma famille s'accordent sur un point : j'ai mon caractère. Paradoxalement, j'esquive les conflits avec des gens que je ne connais pas ou peu. Avec mes amis, je conçois les choses autrement. On se prend souvent la tête sur le coup, on s'insulte et on se renvoie les vieilles casseroles au passage, puis on tourne la page autour d'une bouteille d'alcool. C'est aussi simple que ça dans notre groupe. Enfin... sauf entre Elyas et moi, là c'est un peu plus complexe.

Tout ça pour dire que, finalement, je ne vais pas assumer mon erreur. Je vais implorer l'aide d'une personne fiable, intègre, sur qui je peux compter en toutes circonstances. « Quand une crise est en vue, contacte la reine des morues ! »

Pendant que mon squatteur petit-déjeune en me décochant des œillades lubriques qui m'assèchent la gorge, j'envoie un SMS à Zara sous la table. Elle habite à deux minutes de chez moi et possède un double de ma clé : je n'aurai pas à aller lui ouvrir la porte.

[Code alerte Facehugger. Le pot de colle ne veut plus quitter la trousse. Je répète : le pot de colle ne veut plus quitter la trousse.]

Pas de réponse. Je guette l'écran en me rongeant l'ongle de l'index, tendue comme un micro-string sur un sumo. Elle devrait être réveillée à cette heure-là ! Mais qu'est-ce qu'elle fiche ? Je relève la tête avec brusquerie en entendant le raclement sinistre d'un paquet de céréales sur le plan de travail.

Et là, c'est le drame.

La panique me gagne pendant que la situation se détériore à vitesse grand V. L'inconnu tout sourire s'empare d'un bol Mulan qu'il remplit de lait, avant d'y déverser mon carburant quotidien, mes précieux Chocapic, ceux que je déguste chaque matin depuis près de deux décennies. Oh non, tout sauf ça ! Ploc. Ploc. Ploc. Un désespoir sans fin m'envahit, pétale chocolaté après pétale chocolaté qui atterrissent dans le liquide immaculé les uns après les autres, comme une scène tragique au ralenti...

— Tu... tu mets le lait... avant les... céréales ? je gargouille, en aberration devant son effroyable méthode.

— Mais oui, comme toute personne sensée le ferait, s'esclaffe-t-il avec insouciance, piétinant mes valeurs ancestrales avec un mépris sidérant.

Je suis outrée ! Comment ose-t-il ? C'est lui qui n'est pas sensé ! Mettre le lait avant les céréales est un crime ! Un acte contre-nature ! Une preuve de folie ! Si Elyas était là, il en ferait une crise cardiaque. Mon cœur à moi saigne à cette vue, en tout cas. J'hyperventile, impuissante, les mains contractées sur le bord de la table. Une larme invisible coule pour chaque céréale sacrifiée. Mes malheureux petits Chocapic se noient dans cet océan de lait impitoyable et se gonflent de douleur alors qu'ils auraient dû être délicatement arrosés par une tendre cascade. Je capte presque leurs terribles cris d'agonie d'ici... J'imagine leurs bras minuscules en chocolat brandis vers moi, me suppliant... « Leelooooooo comment as-tu pu nous laisser mour... blurb ! »

Blanche comme un cul – l'expression pourrait être amusante vu que je suis métisse, mais là je ne ris pas du tout, je suis affligée – j'expédie un SMS un poil plus vindicatif à ma meilleure pote pour la presser. Je ne lésine pas sur l'emploi des majuscules et des points d'exclamation pour qu'elle assimile mon état d'esprit.

[HEEEEEELP !!! RAMÈNE-TOI TOUT DE SUITE MEUF, IL ME VOLE MES CHOCAPIC ET A MIS LE LAIT AVANT DE LES VERSER DANS LE BOL !!!!]

— Il va falloir que tu en rachètes, lâche Blaise avec un petit rire cruel en agitant le paquet vide, très tranquille alors qu'il vient de perpétrer un Chocapicide.

Je hoquette de stupeur en relâchant mon portable.

C'est la goutte de lait qui fait déborder le bol.

Il ne restait des céréales que pour UNE personne.

Je ne pourrai jamais faire mon deuil.

Jamais !

Son offense égoïste me plonge dans une rage péniblement contenue. Je souhaite à ce monstre malveillant d'être frappé par une diarrhée fulgurante ! Mais pas chez moi, évidemment.

— Alors, parle-moi de toi, Leeloo ! énonce-t-il sans transition en étudiant mes seins, comme s'il s'adressait directement à eux. Tu es quoi, mannequin lingerie ? Tu vis depuis longtemps à Montpellier ?

Scrounch. Scrounch. MES Chocapic morts, imbibés de lait, craquent sous ses dents de cereal-killer. Je bouillonne sur ma chaise en le pourvoyant d'un regard assassin, même s'il ne semble pas le noter. Je me visualise en train de lui fracasser mon bol Mulan sur le crâne en lui rugissant de débarrasser le plancher. Trop c'est trop !

Je me redresse avec lenteur. Je suis tellement vénère que je tremble et que mes paumes sont moites. Ses yeux interloqués se lèvent vers ma figure tandis qu'il mâche paresseusement.

— Tout va bien ? Tu as l'air... bizarre.

À bout de nerfs, j'ouvre la bouche en grand et inspire afin de lui passer un savon monumental qui lui cramera tous les sourcils jusqu'au dernier, mais la cavalerie débarque et m'en dispense.

J'éprouve du soulagement mêlé à de la gratitude lorsque le cliquetis de la clé de Zara tourne dans la serrure. Le parasite tourne la tête vers la porte d'entrée qui s'ouvre.

— Mais... tu m'as dit que tu vivais seule, non ?

Je secoue la tête en réprimant un rire machiavélique. Blaise blêmit. Il doit croire que c'est mon mec qui rentre.

Bien pire que ça : c'est ma meuf.

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Bonjour mes agneaux !

Voici le début de ma nouvelle romance déjantée, Crazy Wild West ! Au programme, de l'amour, de l'amitié, de l'humour, de la folie, de l'émotion et de l'aventure. Je reviens donc dans un registre loufoque, plus léger, que j'avais déjà abordé dans LPCE et AFM, avec une bonne touche de dépaysement en prime. En espérant que mes nouveaux personnages barrés vous plairont ! 

Voici les deux premiers chapitres pour vous donner un petit aperçu. Ce roman sera publié chez Black ink éditions en numérique et en broché au cours de l'année 2021.

N'hésitez pas à commenter et à me dire ce que vous pensez de cette mise en bouche !

Je vous laisse en compagnie de deux montages pour illustrer cette histoire et vous embrasse !


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