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Lorsque Wooyoung eut fini sa tasse de café, il fit quelques pas en direction du salon et se posta devant la petite pile de cartons érigée à côté de la porte d'entrée.
― Vous êtes sûr que vous ne voulez pas que je vous donne un coup de main pour déballer vos affaires ?
Il avait remarqué un carton rempli de livres, certains d'entre eux étaient des revues scientifiques sur la génétique. Il découvrirait peut-être quelque chose d'intéressant dans les affaires du jeune homme ?
― Non, je vous assure que ça va aller. Et puis je dois absolument aller faire des courses, je n'ai pas encore mangé.
― Très bien, alors je vous laisse tranquille - répondit l'homme aux cheveux noirs d'un air doux en plaçant sa main sur la poignée de la porte d'entrée, ne voulant pas paraître trop insistant. Merci pour le café.
― Oh, je vous en prie. C'est gentil d'être passé me proposer votre aide.
Wooyoung fit un signe de la main et quitta le pallier de la porte, refermant cette dernière derrière lui. San se laissa tomber sur une chaise, soulagé. Il pouvait enfin respirer.
Il n'arrivait pas à cerner les agissements de ce soi disant chef de gang, il ignorait s'il devait lui faire confiance ou non.
Est-ce qu'il fait ça avec tous les nouveaux venus ? Pour s'assurer qu'ils ne causeront pas de problèmes sur son territoire ?
Ce gars joue les gros durs mais n'a pas l'air si méchant, au fond. Ou alors peut-être qu'il cache simplement bien son jeu, c'est même très probable ! Il a sûrement déjà torturé et tué plein de gens !
San ne savait pas sur quel pied danser, Wooyoung était-il un gentil chef de gang ou bien un gros gangster prêt à lui tordre le cou au moindre faux geste ? Cette incertitude le tracassait et il ne pouvait pas s'empêcher de se sentir extrêmement mal à l'aise en sa présence. Pourvu qu'il le laisse tranquille une bonne fois pour toute...
✧ ✧ ✧
Wooyoung avait passé la nuit à cogiter, lui aussi. Ce Choi San lui cachait des choses et il ne supportait pas qu'on lui mente ou que l'on défie son autorité.
Ses soupçons étaient loin de s'être évaporés et il avait réfléchi à un moyen de mettre au clair cette histoire. Il retournerait le voir ce soir. Mais en attendant, il poussa ses recherches au delà de Choi San.
Il était sa piste principale, certes, mais il ne devait pas fermer les portes à d'autres possibilités. Il passa des coups de fils et demanda à ses hommes d'enquêter dans différents quartiers de Chicago au cas où le jeune brun n'était pas la personne qu'il recherchait.
― Alors Will, pas de nouvelles du côté du quartier Nord ?
― Non, mais le fournisseur de meth de South Loop aurait reçu une grosse commande il y a quelques jours de la part d'un client anonyme - répondit le Pitbull en coinçant un pistolet dans sa ceinture. Je vais passer le voir avec mes gars.
― D'accord, moi je vais me rendre au commissariat pour voir s'ils n'ont pas des infos à nous donner.
― Okay, alors à ce soir, chef.
― Je ne rentre pas ce soir.
― Ah non ? Une piste à explorer ?
― Oui, celle de ce Choi San.
― Ce gars est vraiment louche, j'espère que t'arriveras à savoir s'il est lié à cette histoire.
― J'espère aussi.
Wooyoung se rendit ainsi au commissariat de Chinatown. La majeure partie des agents y travaillant étaient des mutés et le reste avait été mis au courant pour Crazy Bark.
Malheureusement pour les humains informés de leur secret, ils étaient suivis de prêt par la mafia et Aaron n'avait pas hésité à en faire exécuter un ou deux par le passé car il avait des doutes sur leur loyauté envers la communauté.
Évidemment, la police ne cautionnait pas une bonne partie des méthodes d'agissement de la mafia, mais leur alliance était indispensable à la protection de la meute. Wooyoung et son gang tentaient de se positionner entre les deux, évitant au maximum d'user de moyens extrêmes mais n'hésitant pas à se salir les mains quand c'était vraiment nécessaire.
― Bonjour Sergent Yu.
― Oh, bonjour Wooyoung !
Le Sergent Christian Yu était à la tête des unités de patrouilleurs et de détectives depuis près de cinq ans. Son caractère de chien de chasse lui avait permis d'effectuer un travail remarquable au sein du commissariat de Chinatown. Issu de la deuxième génération de mutés et descendant du Braque, il était un excellent pisteur, intelligent et inépuisable.
― Tu as dû entendre parler de cette rumeur à propos du scientifique, n'est-ce pas ?
― Oui, un homme qui essayerait de recréer et de modifier Crazy Bark...
Le Sergent Yu fit assoir Wooyoung dans son bureau et lui offrit une cigarette qu'il accepta volontiers.
― Un homme ou une organisation : et si le scientifique avait été mandaté pour recréer cette drogue sans savoir qu'elle a modifié le génome d'une partie de la population dans les années soixante ?
― Oui, ce n'est pas impossible. Mais le plus important pour l'instant est de savoir si cette personne ou organisation agit depuis Chicago ou non. J'ai contacté plusieurs agents un peu partout dans le pays. J'attends de leurs nouvelles.
― Très bien. Je suis différentes pistes de mon côté, mais il y en a une en particulier qui a attiré mon attention.
Les deux hommes continuèrent leur échange durant plusieurs dizaines de minutes, partageant leurs soupçons, idées et intentions.
Une fois leur réunion terminée, Wooyoung sortit du commissariat et leva la tête vers le ciel, debout devant les marches du porche. De gros flocons de neige s'étaient mis à tomber des nuages avec frénésie et avaient déjà commencé à recouvrir la route d'un fin drap blanc. L'hiver touchait pourtant à sa fin.
L'homme aux yeux bleus souffla longuement dans l'air et un épais nuage de condensation sortit de sa bouche. Il affichait une expression sérieuse mais de fins observateurs auraient pu lire une discrète étincelle d'émerveillement briller dans ses yeux.
Il avait beau avoir vingt-sept ans, il aimait toujours autant cette sensation. Il avait été forcé de grandir trop vite et se laissait rarement aller à ses réactions enfantines. Mais il adorait la neige. Et même s'il restait sérieux la plupart du temps, elle lui donnait envie de jouer, de sauter dedans et de faire des batailles de boules de neige.
Il cacha ses mains dans les poches de sa veste et enfonça sa tête dans son col pour se protéger du vent glacial puis il retourna jusqu'à son pick-up.
✧ ✧ ✧
Après être passé en ville pour faire quelques courses et avoir avalé un déjeuner rapide, Choi San avait passé l'après-midi à mettre en terre ses graines hybrides. Il avait préparé une vingtaine de pots qu'il avait délicatement placés sous incubateur dans son laboratoire.
Il mourait d'impatience de savoir si son dur travail allait porter ses fruits. Il était bien ici, il ne voulait pas tout recommencer à zéro. Et puis, que penseraient ses parents de lui s'il échouait ? Ils avaient insisté pour qu'il devienne chirurgien ou médecin, ils n'avaient jamais su comprendre sa passion pour les fleurs. Il voulait leur prouver qu'il avait fait le bon choix.
Il était ressorti dans la soirée pour prendre un peu l'air, longeant le Lac Michigan à vélo. C'était vraiment magnifique et San se délectait de la vue tout en pédalant lentement. Le lac avait gelé et brillait sous la lumière du jour. Les arbres démunis de feuilles ornaient le ciel de leurs branches arpentantes. Il était étonnant de découvrir des espaces si paisibles et sauvages tout en étant si proche d'une ville de l'ampleur de Chicago.
Le jeune homme suivait le sentier longeant la berge avant de se faire surprendre par le ciel qui se mit soudain à le bombarder d'épais flocons blancs. San fit rapidement demi-tour, la neige se mettait à accrocher au sol et il peinait de plus en plus à pédaler.
Il aperçut finalement sa maison à travers l'épais brouillard de flocons et accéléra légèrement pour tenter d'échapper au mieux à la tempête. C'est à cet instant qu'un chien noir apparut juste devant ses roues, sortant de Dieu ne sait où, et San freina d'un coup sec en tournant son guidon pour éviter de percuter l'animal.
― AAH !!
Le vélo de San dérapa dans sa manœuvre et glissa sur le côté, laissant tomber son conducteur, et un aboiement de douleur résonna dans un nuage de neige.
― Oh mon Dieu, non ! Je n'ai pas réussi à t'éviter ! - lâcha le garçon en se redressant et en se déplaçant sur les genoux pour se positionner à côté de l'animal.
Il se pencha au dessus de lui. Le chien était étalé là dans la neige, allongé sur son flanc droit et levant faiblement une patte en l'air. C'était un Border Collie avec de magnifiques yeux bleus, un mâle de toute évidence...
― Tu es blessé ?? Tu as mal à ta patte ?? Oh mon vieux, je suis vraiment désolé ! - débita San en panique.
Sa voix était tremblante, il se sentait tellement coupable qu'il avait envie de pleurer. Il passa ses mains au dessus du chien, alternant entre sa patte et son corps, ne sachant pas s'il devait le toucher ou non.
Il pourrait lui faire mal, ou bien le chien pourrait le mordre, et il ne le blâmerait pas s'il le faisait. Il posa finalement ses mains sur les côtes de l'animal, le caressant doucement comme pour le rassurer. Ses mains étaient gelées et retrouvaient un peu de chaleur dans la fourrure noire du chien qu'il avait blessé.
Ce dernier tourna les yeux vers San et remarqua qu'il était à deux doigts de laisser couler une larme.
― Je vais t'aider, ne t'inquiète pas ! Ne bouge surtout pas, ça pourrait aggraver ton état.
Il sortit son téléphone portable et chercha le numéro du vétérinaire le plus proche. Il tapa sur l'écran du bout de ses doigts rougis par le froid puis amena son téléphone à son oreille.
― Allez, décroche... - bredouilla San inquiet, il était vingt heures passées et le cabinet avait probablement déjà fermé.
― Allô ? Vétérinaire de Fern Wood, je vous écoute.
Le jeune homme afficha un sourire de soulagement en entendant la voix féminine à l'autre bout du fil.
― Bonsoir ! Désolé de vous déranger tardivement, je viens de renverser un chien à vélo en face de chez moi et il m'a l'air d'être blessé ! Il est allongé au sol et garde une patte en l'air... et il me regarde d'un air furieux...
― D'accord, n'essayez pas de le déplacer. Quelle est votre adresse, s'il vous plaît ?
― 119 Lake Avenue.
Le chien se mit à aboyer d'un air agacé, essayant de se relever mais San le tenait fermement pour qu'il reste allongé.
― Arrête, reste tranquille !
― Je serai là dans quelques minutes, je vous laisse patienter le temps que j'arrive.
― Très bien, merci beaucoup !
La femme à l'autre bout du fil raccrocha et San rangea son téléphone dans la poche de son manteau.
― Tiens bon mon pote, quelqu'un va venir te soigner ! Ne meurs pas, s'il te plaît... - murmura-t-il en vérifiant s'il ne trouvait pas d'autres blessures apparentes sur le corps du pauvre chien.
✧ ✧ ✧
Bien-sûr que Wooyoung n'allait pas mourir, le vélo ne l'avait qu'à peine effleuré. Il avait fait semblant d'être blessé à la patte pour que le brun lui fasse passer la nuit chez lui par compassion. Il s'était dit qu'il pourrait ainsi découvrir ce que San lui cachait. C'était le plan qu'il avait imaginé mais il ne pensait pas que le brun serait si désemparé en le voyant blessé. Wooyoung commençait à se sentir un peu mal pour lui.
Le jeune homme était accroupi là, les genoux mouillés dans la neige et les mains tremblantes. Il caressait sa fourrure humide tout en balbutiant des excuses et des encouragements insensés.
― Ne t'en fais pas, la vétérinaire va venir soigner tes bobos et tu pourras courir dans la neige autant que tu veux ! Ohlala si tu savais comme je m'en veux !
Il semblait réellement triste pour le chien et Wooyoung sentait un sentiment de culpabilité naître en lui. Il voulut rassurer le garçon en lui montrant qu'il pouvait se lever et qu'il n'avait pas aussi mal qu'il le pensait mais c'est à cet instant qu'une voiture apparut dans l'allée.
La vétérinaire, Sallie Westwood, descendit de son véhicule avec une petite mallette puis rejoignit le jeune garçon et le chien.
― Woo ?? Oh mon Dieu, tu vas bien ? - demanda-t-elle inquiète en reconnaissant son ami et en s'accroupissant à côté de lui.
Wooyoung se sentait ridicule, il avait fait pleurer ce jeune homme pour tenter de s'introduire chez lui. Ce n'était pas la première fois qu'il usait d'une méthode douteuse, et c'était moins pire que beaucoup de choses qu'il avait déjà faites mais ça restait une situation plutôt humiliante.
Et en plus de ça il fallait que son amie, Sallie, soit témoin de son stratagème ridicule. Mais d'un autre côté, elle pourrait l'aider à conclure son plan. Il se mit à aboyer pour lui répondre.
Je ne suis pas blessé mais fais comme si c'était le cas. Il faut que je passe la nuit chez lui.
― Vous connaissez ce chien ? J'ai glissé à vélo et la roue l'a probablement cogné, je suis vraiment désolé ! Dites-moi qu'il va bien !
― Calmez-vous, il n'a l'air d'avoir rien de grave - répondit la vétérinaire en examinant le chien, déplaçant doucement sa patte sous ses faux gémissements.
― Vous l'avez appelé "Woo", est-ce que c'est son nom ? Est-ce qu'il appartient à quelqu'un ? Il ne porte pas de collier mais il a une plutôt fière allure pour un chien errant alors je ne sais pas trop...
Wooyoung regarda Sallie d'un air sévère.
― Non, je disais "Wooh" parce que j'ai été un peu surprise en le voyant. Et je connais pratiquement tous les chiens de ce quartier, je suis presque sûre que celui-ci n'appartient à personne. Malgré sa "fière allure" - railla-t-elle en lançant un regard taquin à Wooyoung.
Celui-ci se mit à grogner, refusant que l'on se moque de lui alors qu'après tout, il ne faisait que son travail.
― Eh, reste poli ! On ne grogne pas comme ça !
― On devrait le ramener à l'intérieur, il doit être frigorifié à rester allongé comme ça dans la neige. Vous aussi d'ailleurs, vous êtes trempé...
― Vous êtes sûre qu'on peut le déplacer ?
― Oui, il n'a pas l'air d'avoir de blessure profonde.
San parut soulagé, il s'apprêtait à prendre le chien dans ses bras mais celui-ci se leva tout seul. Le jeune homme lança un regard incertain à la vétérinaire qui hocha la tête pour lui certifier qu'ils pouvaient le laisser marcher seul.
𝐂𝐎𝐍𝐂𝐋𝐔𝐒𝐈𝐎𝐍 𝐃𝐔 𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟒 :
Woooyung ne va pas mourir.
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